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 My two legs are broken but look at me dance [Poison Ivy, Katheleen Grandt]

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MessageSujet: My two legs are broken but look at me dance [Poison Ivy, Katheleen Grandt]    My two legs are broken but look at me dance [Poison Ivy, Katheleen Grandt]  EmptyDim 30 Juin 2024 - 14:37




  • Type de RP : flashback
  • Date du RP : 17/01/2020
  • Participants: professeur Lillian Green (Pamela Isley- Poison Ivy), docteur Katheleen Grandt
  • Trigger warning: mort, deuil, dépression, botanique (à compléter)
  • Résumé: Invitée comme intervenante dans le cadre d'une série de conférences thématiques sur l'éthique professionnelle en science et en médecine, le dr Katheleen Grandt a surtout l'esprit occupé des souvenirs de ceux de ces anciens amis qui en ont fait bien peu de cas. Mais ce café des sciences est peut-être aussi l'occasion de retrouver une participante atypique sous ses airs de banale chercheuse en botanique, quelqu'un qui à propos d'éthique et de trahisons autant que de regrets aurait sans doute aussi bien des choses à raconter.


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MessageSujet: Re: My two legs are broken but look at me dance [Poison Ivy, Katheleen Grandt]    My two legs are broken but look at me dance [Poison Ivy, Katheleen Grandt]  EmptyDim 30 Juin 2024 - 14:40

I'm an object in motion, I've lost all emotion
My two legs are broken, but look at me dance
An object in motion, don't ask where I'm going
'Cause whеre I am goin' is right where I am






« Ainsi, je ne prétends pas ici vous prêcher ce que vous devez choisir. Tel n’est en effet pas mon rôle. Ce n’est pas sans raisons que nous autres médecins, promettons avant l’entrée en exercice de maintenir notre indépendance contre vents et marées, que toute publication est signée d’une déclaration d’intérêt. Notre métier, et il en est tout autant de même pour vous autres futurs ingénieurs, vétérinaires, professeurs, vulgarisateurs, chercheurs… sont et seront toujours des métiers d’hommes libres.

Ce que je tenais en revanche à vous rappeler, c’est ce qu’au moment de choisir vous ne devez jamais oublier. Quel qu’en soit la nature, le contexte ou la méthode, tout choix que vous faisiez vous engage et vous engagent bien au-delà de vous-même et des seules, mais primordiales conséquences factuelles qui découleront de vos décisions. Votre responsabilité est toujours beaucoup plus grande que vous le supposez car ce que vos choix engagent, c’est votre profession, et même plus loin encore l’Humanité entière. Il n’est en effet pas un de nos actes qui ne choisit le journaliste, le chercheur, le médecin… mais surtout l’Homme que nous voulons être, ce faisant affirme et porte une image de ce que doit être, et votre profession et l’Homme.  

Celui qui, médecin, fait ou laisse souffrir un malade qu’il pourrait aider nie que la mission de profession soit de soulager les souffrances. Le savant qui se montre avec ses cobayes d’une inhumaine cruauté nie que la Science s’adresse en l’humain à son humanité. Celui qui, indigné, assiste en spectateur à l’insoutenable d’une situation injuste et abandonne à l’esprit de fatalité les chances d’y mettre fin, affirme qu’au fond la lâcheté et la résignation sont au fond la solution qui convient à l’Humanité.

Cette responsabilité et le vertige de la charge qu’elle apporte peut vous sembler angoissante. C’est pire, elle est l’angoisse. Il serait vain, et surtout malhonnête que d’essayer de l’oublier au nom de la peur qu’elle empêche d’agir, elle est la condition de l’action. Car dans une décision ce qui donne sa valeur à la possibilité choisie, c’est précisément le fait qu’elle ait été choisie. Votre rôle d’être humain, et ce dans quoi il s’incarne, ici de chercheur, d’intellectuel, de médecin, ne se sépare pas du même coup du difficile devoir d’exemplarité, c’est-à-dire pour tout Homme face à tout choix, d’agir comme si sur lui étaient fixé le regard de tous les autres hommes, présents, futurs ou passés, comme si de son choix dépendait la définition universelle de l’Humanité.»





Le silence se fit sur ces derniers mots. Elle cligna les yeux, aveuglée par le projecteur qui illuminait la scène, tandis que dans l’ombre face à elle, les fantomatiques silhouettes d’une foule endormie se dégageaient du noir de la salle. Cartables, visages et carnet de notes pour les plus assidus ressortaient, par touches de reflets mouvants, perçant la pénombre comme des esprits.

Quelques instants attendirent confirmation que c’était bien là la conclusion avant que des applaudissements ne retentissent dans la salle et que ne commencent à ramasser leurs affaires et se lever les ombres auxquelles la lumière rallumée redonnait enfin visage humain. Avec la bouche sèche d’avoir longtemps parlé et le léger vertige de retombée de l’adrénaline qui lui avait permis malgré la fatigue de mener jusqu’au bout son exposé, la jeune femme regarda s’égailler par petits groupe les rangs de l’un de ces amphithéâtres où elle avait elle-même fait ses classes, se demandant ironiquement s’ils applaudissaient ses mots ou seulement la fin de la dernière prise de parole de la matinée et la possibilité d’aller manger. Repliant ses affaires, elle adressa un vague sourire à quelques collègues, professeurs, chercheurs et autres intervenants. Parvenaient-ils, eux qui assistaient à ses conférences, y parlaient ou l’avaient organisée, à voir dans leurs paroles autre chose qu’un sujet de discussion éthéré dont on distrayait les élèves pour nourrir leur culture générale, des abstractions intellectuellement divertissantes, mais sans réalité, des conceptions théoriques sans concrètes applications. Et eux, les étudiants des diverses universités qui en bandes éparses fuyaient vers leur déjeuner, que retiendrait-ils dans deux heures, six jours, dix ans de ce qu’ils avaient entendu aujourd’hui ?

Un jour elle avait eu leur âge. Un jour ils avaient eu leur âge. Loin du brouhaha de la foule scolaire, elle ressortit dans le long couloir qui menait aux grandes salles des cours magistraux et son cœur se serra. La machine à café à côté de la porte avait été remplacée par un autre appareil, plus neuf, enfermé dans une étrange sorte de gaine plastifié, mais à part cela, rien ou presque n’avait changé, ni la grande baie vitrée couverte de trace de doigts et de pluie séchée, ni la vue sur le parc s’étendant aux travers, ni les couleurs caléidoscopiques des emplois du temps, tracts et annonces de réunions de ces éternels panneaux d’information, ni le sol noir, toujours un peu cabossé malgré l’apparence lisse, toujours gris de la poussière des pas. Les larmes lui semblaient couler lentement de ses yeux, pourtant lorsqu’elle porta les mains à son visage, ses joues étaient sèches. Cette sècheresse, c’était celle de ce qu’était devenu son cœur, une terre nue, stérile, ou rien ne pouvait plus pousser. La douleur avait encerclé son cœur, elle ne ressentait rien.

Les arbres de l’allée regardaient depuis des années les étudiants passer. Eux étaient restés, toujours là, toujours fidèle. Si droits, si bienveillants, si fidèles qu’on finissait par les oublier, ne les remarquant qu’une fois disparus, lorsqu’au nom d’une rénovation d’urbanisme ou de quelque autre marotte ils étaient abattus. Son regard pour fuir les lieux trop chargés de souvenirs se perdit sur les silhouettes sombre et altières des troncs dressés devant la grisaille sinistre des bâtiments, songeant qu’ils étaient beaux, vivants, bénéfiques, rassurants, authentiquement sympathiques et totalement non-violents. Parmi les êtres humains rassemblés ici, combien pouvaient en dire autant ?

Les plus fines de leurs branches ployaient sous la neige de Noel qui fondait lentement. Lorsque meurt la neige où va le blanc ? Derrière la vitre, longue silhouette immobile, elle ne sentait plus son visage, la douleur dans son regard ou si ses yeux pleuraient, mais la neige fondue le long des branches de l’érable ou du sapin, celle-là elle les sentait. C’était cela son bonheur et ses rêves, ce n’était plus que cela, les souvenirs, les rires et les promesses de ses amitiés passées : de la neige du jour dernier, fondue, liquéfiée, disparue.

Le dernier arbre de la rangée était mort. Mort comme Alex que l’on avait retrouvé baignant dans le sang qu’il ne supportait plus de voir, dans les toilettes des femmes au bout du couloir. Mort comme Alan, sorti de l’hôpital comme interne, retourné à l’hôpital comme patient par les roues de la voiture qui l’avait percuté, et qui n’en était jamais ressorti vivant. Mort comme les promesses d’Harley, Konstantin, Ronald, Millicent, Jonathan… morts comme médecins et pourtant encore vivant. Les arbres qui les avaient vue discuter de littérature et rédiger leur comptes-rendus de TP, assis dans l’herbe à leur ombre bienveillante, se tenaient encore droits à l’exception de la souche inerte, que n’irriguait plus la sève, ouverte en son cœur aux éléments, attaquée par les moisissures, les cloportes et l’infiltration entre ses fibres de la pluie. Et elle qui se tenait, rare élément, encore droite et médecin, survivante parmi le charnier de ceux qu’elle avait cru être ses amis, ses alliés, respirait peut-être, semblait vivante encore, mais si elle avait dû s’exprimer, se serait plutôt à la souche morte qu’elle se serait comparée.

Debout, elle l’était encore, dressée contre le monde, contre vents et marées, même si elle se demandait quelle force, qu’elle ne sentait plus la tenait encore contre la gravité. Vivante, il lui fallait coller un stéthoscope contre son pouls pour s’en persuader. Cela faisait onze ans qu’Alan était mort, onze ans que son monde s’était écroulé. D’un coup elle avait perdu son amour, son ami, son bonheur et la seule famille qui lui était restée. D’un coup elle avait perdu celui qui lui donnait la main dans les moments difficiles et dont elle séchait les larmes lorsque le monde devenait trop cruel ou trop compliqué. Ses projets, ses espoirs et ses rêves s’étaient envolés en même temps que le souffle de celui avec lesquels elle les avait construits.

Onze ans elle avait continué à tenir, gravissant une route pavée d’embuches, sans phare ni boussole, atteignant, sort plus terrible encore, le maximum de ce qu’elle pourrait accomplir et avoir, consciente de ne plus réussir ni y a y donner du sens ni à sourire, écrasée de l’impression de l’absurde et du dérisoire. Elle n’avait pas trente ans que sa vie était arrêtée, qu’elle n’avait plus qu’à devoir tenir jour après jour un fort encerclé et fragile comme un château de cartes et dans lequel elle usait plus chaque jour ses forces sans espérances. Elle n’avait pas trente ans qu’elle n’avait plus dans la vie qu’à attendre, sans rien attendre de la vie. Onze ans elle avait tenu, bon gré mal gré, toujours plus cynique, toujours plus épuisée. Elle avait vu au fil des ans partir dans une direction ou l’autre ceux qui avait appris sur les mêmes bancs, avec lesquels elle avait cru partager le même idéal et les mêmes idées. Beaucoup étaient morts, la plupart n’étaient pas morts en médecins, ce qui était pire encore. Elle avait pleuré mais elle avait tenu, investissant la foi et le sens qu’elle n’avait plus pour elle en les quelques camarades en lesquels elle avait cru. Ils s’étaient révélés les pires de tous. Elle avait découvert la trahison, la souffrance des victimes et son propre désespoir du même coup de poignard. Son cœur, l’organe de chair et les sentiments de l’esprit en avaient été en même temps mis en pièces, foudroyés. Seul le premier avait guéri.  





Elle affronta des yeux le long couloir. Elle avait vécu ici les plus belles années de vie. Une grande baie vitrée donnant sur un parc, de l’herbe et des arbres, un sol noir et sali, des alcôves menant vers la porte des salles de cours, des panneaux d’information en faux liège terni… le centre névralgique de toute l’énergie d’un campus étudiant bouillonnant d’effervescence intellectuelle et de vitalité. Cela ne ressemblait jamais qu’à un couloir, mais c’est là qu’étaient affichés les résultats des examens, des affectations et des horaires des TD. C’est là qu’avait lieu la cérémonie d’intégration des primo arrivants et des étudiants étrangers. C’était là qu’étaient organisées les fêtes de l’école et les soirées dansantes du mercredi après-midi que les clubs de danse et de théâtre se retrouvaient pour répéter. C’était là qu’étaient affichés, suprême récompense, les panneaux scientifiques des travaux les plus réussis. C’était là qu’ils entraient en cours, sortaient de cours, parlaient des cours entre futurs confrères et se retrouvaient après les cours entre amis.

Marchons puisqu’il faut marcher. Je marche encore, tournant en rond, sans but, sans savoir où aller. Je marche encore, immobile, sans quitter le désert aride de mon enfance. J’ai fui aussi loin que je l’ai pu ce monde sans avenir, leurs pensées dépassées. J’ai fui cette vie sans but ni sens, ces journées passées à attendre la mort ou l’heure du diner pour retrouver chaque jour la même répétition du même vide et des mêmes peines, la même inéluctabilité de la mort contre laquelle je ne peux rien, et l’absurde de toujours, sans espoir recommencer. J’ai coupé tous les ponts, j’ai fui à l’autre bout du pays mais rien n’a changé et je mourrai dans la maison où je suis née.

Cette année avait été cruelle, frappant là où c’était le plus sournois, le plus violent, le plus douloureux. Ils avaient perdu plus qu’elle pouvait compter. Elle se retrouvait seule, au milieu du cimetière de ces rêves et de ses illusions, ne respirant plus que les cendres de ses affections et de ses espoirs passés. Si elle regardait autour d’elle, elle les verrait encore, les fantômes des jeunes gens, discutant et riant, qu’ils avaient été, si elle fermait les yeux, elle entendrait encore leurs voix et la musique de leurs pas.

Le tableau des résultats était toujours là, avec sa fissure diagonale et ses grands écriteaux blancs scotchés. Devant, un peu à l’écart des autres un grand jeune homme maigre au regard sombre lisait les résultats, s’habituait à partout finir premier jusqu’à ce qu’une étrangeté fasse sur son visage se dessiner un sourcil froncé. Là, en mathématiques, une autre étudiante l’avait dépassé. C’était la première session d’examens de leur première année, cadets de leur promo, ils n’avaient que seize ans lorsqu’ils y étaient entrés. A à peine quelques pas de là, il avait abordé sa rivale à la cafétéria. C’était cette amitié qui venait de se terminer.
 
Non, Jonathan, ta toxine peut faire mourir de peur, mais je n’ai pas peur de mourir. Je ne la ressens plus, la crainte. La ligne de ce couloir fait cinquante-huit mètres, j’y suis piégée depuis onze ans. De quoi aurais-je peur encore ? Depuis onze ans je vis enfermée dans le souvenir maintenant détruit et dégradé de ce temps passé, et même pire encore, dans le regard nostalgique et maintenant dévasté que je porte en arrière sur un bonheur qui n’était peut-être qu’illusoire et que je ne pourrai jamais plus rencontrer. La mémoire est une prison dont on ne peut se débarrasser, et je ne veux pas oublier les gens que j’ai aimé.

La porte de la salle 24.B s’écaillait toujours de sa peinture usée, soulevant un nuage de petits fragments cassés chaque fois qu’elle s’ouvrait sur le cours supposé les aider à savoir interagir avec les patients. C’était ici qu’elle avait repris la conversation avec cet étudiant étranger venu de Russie. Ils avaient été choisis ensemble pour l’exercice de mise en situation parce que le hasard des noms plaçaient Grandt et Glinsky à côté, mais c’était elle qui avait décidé après le cours de continuer à lui parler, empathique pour celui qui à peine arrivé, avait du réaliser dans une langue étrangère cet exercice assez compliqué, amusée des plaisanteries que pour détendre l’atmosphère il avait tenté de formuler. Dix-sept ans plus tard et dans les pires conditions qu’elle puisse imaginer, elle avait réalisé le manque d’empathie qui se cachait derrière cette légèreté.

Ils ont raison ceux qui disent que j’exagère de m’épuiser au travail ainsi mais je préfère encore exagérer ainsi. Ils ont raison ceux qui disent que je vais me tuer d’y passer ainsi mes jours et mes nuits, mais savent-ils à quoi ressemblent mes insomnies ? Quand j’ai de la chance, je vois les morts danser la nuit.

Devant mes yeux, il est là, encore, aussi vivant qu’il l’a été, le fantomatique souvenir du bal de l’école, la fin de l’année tous ses gens assemblés, Harley cheveux blonds encore débarrassés des couleurs qui allaient la caractériser, rit aux éclats d’un rire qui n’a pas encore pris tous les accents de l’hystérie. Millicent est sans doute déjà bourrée, mais pas encore voleuse. James plaisante, toujours aussi maladroit et dispersé, mais pas encore radié et le rouge sur ses mains n’est pas du sang mais le jus de fruit qu’il a renversé. Donovan Chandler est déjà un crétin et un sale type, rabaissant les étudiants mal à l’aise socialement ou isolé, mais celui qui deviendra l’Épouvantail ne l’a pas encore tué pour se venger. Konstantin regarde ses mœurs américaines avec étonnement et curiosité. Un peu à l’écart, Jonathan et lui débattent de toxicologie. Peut-être les deux rats de bibliothèques ne sont-ils pas d’accord sur l’une ou l’autre des controverse du métier mais aucun d’eux n’a encore pour l’instant disséqué de patients vivants pour tester leurs théories. A mes côtés, comme nous l’avons toujours été, Alan est là aussi. Je ne crois pas aux fantômes, aux regrets, si.  

En guirlandes illuminées scintillaient les guirlandes de Noel colorées. C’était le premier Noel qu’elle passerait à Gotham, ce serait sans doute celui le plus beau de sa vie. Il y avait toujours une fête pour célébrer la fin de la grosse série de partiels et l’arrivée des jours festifs de fin d’année. Dans l’angle du mur qui permettait de se tenir un peu à l’écart du mouvement et éviter de mourir prématurément écrasée par la foule en mouvement, elle s’était écartée pour discuter avec Jonathan de leur futur choix de spécialité. C’était là qu’elle l’avait rencontré, le jeune homme aux yeux verts qui lui avait souri et tendu la main : « La cardiologie ? A titre personnel pour l’instant, c’est surtout le cours sur les gliomes qui m’a passionné mais étudier le cœur, c’est très beau comme spécialité. Vous dansez ? »

Un objet, une figurine de plastique, grise et inanimée, voilà ce que je suis devenue. Devant mes yeux amputés des saveurs je me vois bouger, comme une de ces figurines en stop-motion des dessins animés, un sourire absent, le corps raide et figé. Mon corps amputé des couleurs se voit sans sentir ses gestes d’une pièce à l’autre déplacé dans l’hôpital que je pourrais parcourir les yeux fermés, mais j’ai perdu le charme qui donnait à mes mouvements l’illusion de la vie et d’un rôle à jouer dans cette réalité. Tout le monde rêve de fuir, mais le quotidien et ses cruciales et médiocres échéances savent si bien retenir les humains. Quelle cruelle ironie à fait de l’accomplissement de mon rêve de liberté la plus efficace des prisons, dont jamais je ne saurais m’échapper, d’autres couloirs de la clinique, inlassablement parcouru chaque jour, dans le même sens avec la même finalité. Lutter contre la Peste, cela consiste à recommencer. Tout le monde rêve de fuir, mais je ne peux pas abandonner mes patients qui ont besoin de moi. Tout le monde rêve de fuir, mais je n’ai pas la force de bouger et de toute façon nulle part d’autre où aller. Moi aussi, fuir j’en ai souvent rêvé, mais je refuse d’abandonner. Et je serai toujours celle qui aura été tous les jours là pour l’éternité.

Nous étions dans cette salle, et c’était la dernière année. J’avais déjà une pierre à la place du cœur et cette robe de deuil qui n’allais jamais plus me quitter et avec laquelle un jour où l’autre je serai enterrée. Parmi les larmes d’émotions les miennes étaient celles du chagrin. Le moment qui aurait du être notre apothéose m’avait été volé par le destin. On nous a appelé les uns après les autres en nous énonçant par nos noms et spécialité pour nous nommer pour la première fois du titre que tant d’entre vous ont gâché. Nous nous sommes réunis en lignes pour la photographie où vous êtes encore à côté de moi et pour une promesse qui a été si souvent bafouée. La mort récente d’Alan me faisait souffrir le martyr, mais vous étiez là, pas forcément pour moi, mais pour la Médecine et c’était tout ce qui m’importait tant c’était la seule chose qu’il me restait. Comment ce moment si lourd a-t-il pu rétrospectivement devenir, par comparaison, un beau souvenir ?

Devant le buste d’Hippocrate sorti pour l’occasion de sa vitrine nous avons promis. Nous avons promis nous tenir loin de la soif du gain, te souviens-tu, Millicent ? Nous avons promis de ne jamais provoquer la mort, te souviens-tu, Harley ? Nous avons promis de protéger faibles et vulnérable, de ne pas user de nos connaissances contre les lois de l’humanité, te souviens-tu, Konstantin ? Nous avons promis de préserver la santé et de soulager les souffrances, te souviens-tu, Jonathan ?  Vous aviez promis ! J’y ai cru.  

Jonathan, Konstantine, d’avoir voulu arracher les mécanismes des sentiments, disséquer les émotions, vous m’avez drainé des miennes, comme si un vampire m’avait aspiré le sang. Disparues, évanouies inatteignables pour mon cœur, pour vos scalpels aussi. Si je n’avais pas perdu le rire, je sourirais de cette ironie. Mais je regrette trop le son de vos rires pour plaisanter encore. Il ne me reste plus assez de vie pour cela, mais pour me battre il me reste encore.

Dans le fin sac en bandoulière qu’elle portait, serré contre elle comme une nichée d’oisillon nouveaux-nés, se cache le dossier sur lequel depuis dix jours elle n’a pas arrêté de travailler, l’article qu’au journaliste du Globe elle portera demain, après une ultime relecture avec la première concernée.
Vous avez éteint mes espoirs, mouché le dernier écran de confiance qui me protégeait du complet désespoir, soufflé le fragile et dérisoire édifice d’existence que j’avais reconstruit depuis le tsunami qui m’a pris mon bonheur et ma vie, mais vous n’avez pas détruit ma volonté.

Vous avez pensé que n’avaient aucune valeur, aucune incidence les promesses que vous avez jetées aux orties et foulées aux pieds. Vous avez pensé que les mots que vous avez poignardés étaient sans conséquences. Vous vous trompez. J’ai perdu plus que je ne peux compter, mais la mienne de promesse, je ne l’ai pas abandonné.  

Vous m’avez cru sans importance, vous m’avez oublié. Vous avez pensé que j’étais lâche comme vous, que je serais de ceux qui regardent l’horreur sans broncher. Konstantine, tu m’as cru loin et occupée ailleurs. Jonathan, tu m’as cru faible, manipulable, m’avoir brisée. Vous avez pensé que je vous laisserai encore indéfiniment faire souffrir ceux qui devraient être vos patients. Non, je ne vous laisserai pas faire, telle horreur ne peut plus continuer.

Oui, j’ai le cœur en morceau, les deux jambes cassées, mais regardez-moi danser !

Elle leva son regard bleu vers la pancarte, accrochée au-dessus de la porte, et qui, désignant la salle où elle était quelques instants plus tôt, affichait en grandes lettres noires sur fond rouge « Ethique professionnelle de la science et la médecine. »

Oui, là où je vais est là exactement là où je suis. Là où je suis est exactement là où je vais.
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