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 Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ]

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MessageSujet: Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ]   Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ] EmptyVen 2 Sep 2022 - 15:10




  • Type de RP : flashback
  • Date du RP : novembre 2010
  • Participants: the Dollmaker; Katheleen Grandt
  • Trigger warning: description de cadavres un peu crues/ gores probablement à venir
  • Résumé: Première rencontre entre le Dollmaker et le docteur Grandt, l'un fou dangereux interné et l'autre médecin humaniste à Arkham.




Autoportrait de Kathleen Grandt dans son cabinet:


Dernière édition par Katheleen Grandt le Dim 6 Aoû 2023 - 23:31, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ]   Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ] EmptyVen 2 Sep 2022 - 15:11

« La vie est courte, la science est longue, l'occasion fugitive, l'expérience trompeuse, le jugement difficile. Il faut non seulement faire soi-même ce qui convient, mais encore faire que le malade, les assistants et les choses extérieures y concourent »
Hippocrate, Aphorismes: Ars longa, vita brevis (littéralement: « L'art est long, la vie est brève »)




La bâtisse est haute, massive et trapue. Les façades sont sombres sous le ciel de novembre mais l’on peine à croire qu’il puisse ici advenir un phénomène joyeux aussi banal et insignifiant qu’un brin de ciel bleu. Les grilles pointues et la muraille de pierre qui enferment l’asile semble marquer la frontière vers un autre monde.

Lorsque l’on faisait face à ces murs sombres posés là comme une pierre tombale dans ces lieux où battues par les vents, les pierres renvoyaient un gémissement lugubre qu’on aurait pu croire être celui des patients, l’on ne pouvait  que comprendre que les légendes d’horreurs et récits de fantômes courent sur des bâtiments habités par des désespérés qui ne parvenaient plus à attendre autre chose qu’une fin que l’on refusait de leur laisser s’offrir, des furieux qui avaient tué, et qui si l’on cessait de les surveiller sans doute tueraient sans doute encore, hantés par les derniers cris de leurs victimes ou par le manque du frisson de plaisir qu’ils avaient ressentis en les entendant, des déséquilibrés condamnés à vivre au bord de l’abîme de leur jugement, d’émotions trop fortes ou trop fuyantes, pour lesquels la frontière entre le réel et leur psychose, d’Hommes qui étaient tout cela à la fois même quelquefois pire encore, et de cent ans de souffrances qui même de l’extérieur semblaient suinter sur les murs. Les rumeurs disaient les lieux sinistres parce qu’hantés et parce qu’hantés voués à ce que la guérison y soit impossible. Telles descriptions avaient sans doute une forme de beauté dans leur poésie macabre, mais Katheleen rejetait pareille hypothèse, par trop romanesque. C’était là inverser les causalités. Si le complexe de bâtiments, qui avant tout était un HOPITAL psychiatrique était hanté, c’était par son propre échec, échec à guérir ses patients, ce qui était sa mission, mission à laquelle l’atmosphère sinistre des lieux ne pouvait que nuire.

L’atmosphère lugubre des lieux ne pouvait que contribuer à ce qui était malheureusement le principal accomplissement de l’hôpital: laisser les patients sortir – car malheureusement, et c’était triste de le dire, les patients en sortaient que ce soit par faute de moyens financiers pour pouvoir demeurer pour les moins dangereux pour autrui ou parce que la sécurité était celle d’une passoire– encore plus dérangés qu’ils n’y étaient entrés, rarement pour le meilleur et toujours pour le pire.

Certes, une part conséquente des patients de l’asile étaient selon toutes probabilités incurables dans l’état actuel des connaissances, voire incurables tout court. Mais s’il importait de le reconnaître, prendre cette idée, la généraliser, l’utiliser pour renoncer  à tout effort pour améliorer l’état de santé des patients et s’en contenter, c’était sans doute aller un peu vite en besogne et en tout cas bien en deçà de ce que l’on était en droit d’attendre d’un HOPITAL. Parce qu’Arkham était supposé être un hôpital, même si pour plus de la moitié des détenus, Arkham était une prison ; une prison où les furieux étaient moins soignés qu’entreposés là en attendant leur mort, parce qu’on ne règle aujourd’hui plus le problème qu’ils représentent par la pendaison ou la chaise électrique, parce qu’on a progressé jusqu’à leur reconnaître le droit à cette dignité là, mais guère plus. Beaucoup pensent d’ailleurs qu’ils ne la méritent pas. Et lorsque l’on voit les horreurs qu’ils commettent on ne peut qu’être d’accord. A un détail près toutefois : c’est que la dignité ne se mérite pas.


C’était à cela que réfléchissait Katheleen lorsqu’elle franchit le portail, puis la salle commune du personnel de l’hôpital, après avoir noué ses cheveux en un chignon strict et accroché à sa blouse le badge que la  médecin chef de son équipe avait aimablement jeté sur son bureau un jour auparavant.
C’était cette femme qui l’avait accueillie. Fraichement. C'est-à-dire en lui disant à peine bonjour et commentant de manière peu amène des notes et un dossier trop bons pour que sa demande d’affectation à l’asile de sinistre réputation ne soit pas suspecte.

La salle du personnel était décorée dans un goût qui redéfinissait le concept de mocheté et empestait le tabac froid mais possédait l’immense qualité de disposer d’une machine à café. Le docteur Grandt s’en servit une tasse avant de se plonger dans la lecture des fiches descriptives des patients de la journée, que la secrétaire médicale avait aimablement flanquées sur son bureau quelques minutes auparavant.


Nom : Barton Mathis
Alias : Dollmaker


Ah! Apparemment ses supérieurs hiérarchiques n’avaient pas décidé de la ménager. D’un autre côté, elle n’avait pas décidé de se ménager non plus. C’était son métier et ça lui allait.

Nature des actes commis : coups et blessures, meurtre, recel de cadavres, actes de torture, mutilation, actes de barbarie
Dangerosité: Très élevée


Non ? Sans rire ?

Profession : Chirurgien

Ça c’était autre chose. Elle l’avait déjà vue, cette info. Mais elle avait aussi déjà eu l’occasion de voir qu’il était, surtout dans son métier, des réalités que l’on pouvait connaître sans s’y habituer. Et celle-ci en faisait partie. La triste réalité des meurtres si courants dans la cité était déjà difficile à accepter. Qu’un confrère en commette était insupportable. Qu’un disciple d’Asclépios trahisse à ce point le serment d’Hippocrate était intolérable.
 

Age : inconnu
Taille : inconnue
Masse : inconnue
Allergies : inconnues
Pathologies : inconnues
Groupe sanguin : inconnu
Antécédents médicaux familiaux : inconnus


Face à une telle débauche d’informations, Katheleen en était réduite à poser des hypothèses. Il était possible que la personne chargée de remplir la fiche soit un nul. Ou alors il n’en avait pas grand chose à foutre et/ou pas très envie de se confronter au criminel. Après tout il y a quantité de gens fort avisés pour penser que les fous ont bien le droit d’avoir leur endroit à eux, mais qu’en tant que personnes saines d’esprit, il n’est pas fort avisé d’y mettre les pieds. On ne pouvait pas vraiment lui reprocher d’avoir suivi cette logique, sauf à considérer ce qu’était son métier. Ou alors il était parti en pose déj’ et avait disparu par la suite. On était à Gotham et ce sont des choses qui arrivent.



Lorsque la médecin ouvrit la fenêtre pour chasser un peu l’odeur de cigarette et de renfermé qui empuantissait les lieux presque jusqu’à faire suffoquer, le grincement du châssis lui sembla signifier qu’elle n’était guère habituée à ce genre d’opérations et les regards outrés des collègues qu’elle venait presque de commettre un crime. Comment des êtres humains, et à plus forte raison des médecins pouvaient-ils travailler dans une atmosphère aussi malsaine ? Cela dépassait la raison et la logique.

« Vous êtes là pour quoi vous ? » lui demanda d’un ton rogue un type qui portait l’uniforme des gardiens.
« Pour soigner des patients. C’est mon métier, je suis médecin. » répondit elle avec une politesse appuyée.

« Faut faire attention, l’est dangereux. » ajouta t’il, toujours aussi avenant, en désignant la fiche qu’il avait regardé par-dessus son épaule.
Katheleen, qui avait vue l’information écrite, dans la fiche, sur le bordereau de la fiche et sur la couverture de la fiche pensa qu’elle savait lire, mais ne l’en remercia pas moins. C’était peut-être à cause de son regard méprisant, ou de son ton agressif, mais elle trouvait l’homme en face d’elle infect. Alors pour couper court à la conversation, elle plongea les lèvres dans son café, qui s’avéra être pire encore.

« L’a découpé des gens. » puis il précisa « Y’en a beaucoup ici qu’ont buté des gens. »
« Je n’ignore ni ce point, ni le fait que méfiance et prudence maximale sont naturellement de mise, je vous remercie. » sourit-elle poliment pensant que même avec un emploi du temps de médecin, elle lisait les journaux ou du moins en connaissait les gros titres, ne vivant pas dans une grotte au fond de la foret comme les hobbits contrairement à ce que cet homme semblait croire.

« Faut être prudent. C’sont des criminels enragés ici. » Une fois encore Katheleen opina avec un vague début d’impression d’être prise pour une conne.
Elle savait que sur le fond il avait raison. Raison de dire que les gens qu’elle allait devoir soigner ici étaient dangereux. Raison de dire qu’il fallait conserver une vigilance constante. Raison de dire que le moindre manquement aux protocoles de sécurité qu’elle avait appris jusqu’à les maîtriser sur le bout des doigts pouvait lui coûter un œil, un bras ou la vie. Mais ce qu’elle savait aussi c’est que répéter en boucle à quelqu’un qu’il faut être méfiant perd au bout de la troisième occurrence successive toute forme d’utilité.  

Lorsque le même type lui annonça qu’il était de garde dans cette partie de l’asile précisément et qu’il était censé l’escorter - « Pour surveiller les prisonniers» avait il dit ; « Pour vous surveiller» avait-elle entendu dans sa manière de la regarder- elle n’en fut pas enthousiasmée. Lorsqu’il fut rejoint par un collègue aussi taciturne et renfrogné qu’une porte de prison qui ne lui répondit pas lorsqu’elle le salua, elle se dit qu’au moins le premier avait la politesse de lui parler, même si c’était comme à une intruse doublée d’une demeurée mentale. Au bout de cinq minutes à écouter les mêmes remarques inutiles et en boucle, elle se dit qu’à tout prendre, elle préférait le silence, même hostile. Au bout de dix minutes, elle conclut définitivement que cet individu était superlativement énervant. Lorsqu’elle arriva devant une lourde porte fermée à quadruple tour et qu’elle s’entendit répéter pour la quatrième fois (elle avait compté) « Vous savez pas de quoi l’est capable. », elle finit par hausser le ton :

« En fait, si. Il y a trois jours encore je travaillais en hôpital, au service des urgences. Et j’étais là quand ses deux dernières victimes ont été transportées jusqu’au bloc opératoire. J’étais là  quand on a découvert leurs blessures et qu’on a su que ce serait un miracle si l’on parvenait à les sauver. J’étais là quand on leur a administré les premiers soins. Et pour les suivants aussi. Et j’étais là quand elles sont mortes. Alors, si, je sais parfaitement de quoi cet homme est capable. »

Elle pris les quelques instants nécessaires pour faire retomber son énervement, retrouver un complet sang-froid et le plein et entier contrôle de ses nerfs.
« Je ne vous remercie pas moins de me prévenir. » conclut-elle avant d’entrer.


Depuis le pas de la porte, elle prit le temps de détailler du regard le patient. L’homme allongé sur le brancard où il était maintenu par une camisole de force regardait fixement droit devant lui. Plongé dans ses pensées ou placé sous sédatif ? C’était ça l’information que l’autre guignol aurait du lui donner, mais tant pis.

Assez grand, assez maigre, il l’était cependant moins que ne l’affirmaient les journaux. Le masque cadavérique qui plusieurs jours d’affilée avait fixé le passant de son regard mort sur les présentoirs des kiosques à journaux lui avait été retiré mais les cicatrices de sa présence subsistaient sur le visage anormalement pâle et taché des brûlures causées par le liquide de préservation du masque. Le rapprochement entre l’horreur des blessures qu’elle avait pu voir sur le corps des victimes et le visage de leur bourreau était moins absurde que ne le présentaient les articles qui relatent d’ordinaire les procès des assassins et des tueurs en série : il avait le visage qu’a le meurtre à Gotham, c'est-à-dire hors les cicatrices et les stigmates du masque qu’il s’était mis celui parfaitement quelconque de n’importe qui.


Autoportrait de Kathleen Grandt dans son cabinet:
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MessageSujet: Re: Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ]   Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ] EmptySam 3 Sep 2022 - 14:39

“Par moi on va dans la cité dolente, par moi on va dans l'éternelle douleur, par moi on va parmi le peuple perdu. Justice poussa mon suprême créateur, la divine puissance, la souveraine sagesse et le premier amour me firent. Avant moi rien ne fut créé qui ne soit éternel, et moi éternellement je dure. Laissez toute espérance, vous qui entrez.”

L'asile d'Arkham était certes une magnifique bâtisse du 19ème siècle, et ces tristes vers de l'enfer de Dante n'en sont pas de moindres augures concernant la tromperie du lieu. Arkham était à mon sens, le seuil même de l'entrée vers l'enfer. Un enfer où chaque cellule, vous rapproche un peu plus du cauchemar, de cette boite de Pandore qui peut s'ouvrir à n'importe quelle moment, sans que le pauvre imbécile qui l'ouvre ne puisse s'y attendre. C'est à cette époque que le centre pénitencier et psychiatrique d'Arkham réouvrait (sic) ses portes. Les premiers criminels détraqués y entraient, arrêtés un par un par les forces de l'ordre et les nouveaux justiciers. Une étude psychologique était prévue pour chacun d'entre eux. L'établissement était la plus grande prison de tout Gotham. A la pointe de la technologie, extrêmement bien surveillé, contrôlé et protégé, il était difficile d'en sortir une fois recensé dans la liste des patients. Rares étaient ceux qui avaient les compétences intellectuelles pour s'y échapper indemnes. Seuls les plus ingénieux pouvaient espérer y parvenir. Et parmi toute cette arrivée de criminels, il y'avait moi. Dollmaker.

Une nouvelle journée au centre pénitencier et psychiatrique d'Arkham commençait, pluvieuse, comme d'habitude. La petite pièce qui lui servait de cellule était loin de convenir à mes travaux personnels, étant habitué au confort, à la beauté et à la grandeur des choses. C'était une cellule toute à fait quelconque, isolée des autres et construite en pierre sombre. Une vitre triplement blindée m'empêchait de m'enfuir et aucune fenêtre n'était présente pour me permettre d'avoir une vue. Un peu comme la mode de ces vieux asiles qui empêchaient le moindre contact avec l'extérieur pour les patients. Le but était de leur faire perdre la normalité, du passage du temps, et surtout, pour les enliser dans une perpétuelle journée où rien ne tournait de manière normale. Les nombreuses discussions avec les médecins n'avaient rien donnés. Tant sur le plan de ma capture précédente par le justicier Batman, et par mes actes monstrueux, les médecins se heurtaient à de nombreuses barrières qui empêchaient de faire tout un étal de diagnostics pour enfin cerner la pathologie dont j'étais atteint. Les imbéciles. Le cannibalisme était devenu pour moi une philosophie de vie tout à fait normale. Je ne comprenais pas pourquoi les gens autour de moi, en l'occurrence les médecins, étaient répugnés rien qu'à l'idée d'imaginer qu'une personne pouvait oser enfoncer violemment ses dents dans un membre afin d'en extraire de la chair pour satisfaire son appétit nauséabond. Si les tribus arriérées le font, c'est qu'il y'a une juste raison. Notre besoin primal a besoin de s'exprimer, et cela nous permet de renouer avec notre être sauvage, celui qui est tapis au fond de notre esprit et que notre civilisation a enfoui. Enfin, ce n'était que le jargon proverbial de tous ces emblousonnés qui ne voyaient que le mal partout chez les autres, alors qu'ils rêvaient secrètement de coucher avec leurs mères.

Couché sur le lit grinçant au-dessus de la couverture poussiéreuse qui, au lieu d'apporter de la chaleur, apportait des démangeaisons, je regardais le plafond moisi couvert de tâches d'humidité, les mains posées sous ma nuque. Je songeais à retrouver ma famille. Ma merveilleuse famille qui ne pouvait pas s'en sortir sans moi. Je songeais à de nombreuses choses. De nombreuses petites merveilles qui hantaient mes pensées, et je dois avouer que ce n'étaient que de beaux desseins que je mettrais un jour à exécution. Beaucoup de projets qui parsemaient ma tête, mes pensées, de chatoyantes idées. Mon masque m'avait été confisqué, mais l'être que j'étais, avait toujours le même état d'esprit. Néanmoins, mes pensées sont vite interrompues. Quelqu'un entre dans le couloir adjacent à ma cellule. Je relève un œil, puis, je me lève, prêt pour accueillir, ou insulter le prochain docteur qui passe et qui se rappelle de ma présence en ces lieux maudits. Il fallait être fou pour travailler dans un lieu pareil, après, chacun avait sa définition de la folie, mais en tant que chirurgien, je me devais de croire que nous n'étions que les pauvres prisonniers de nos chairs, condamnés à être perpétuellement en colère contre les cartes physiques et mentales qu'on nous a donné. Me levant, j'observe une jeune femme, je n'ai plus mon masque, mais c'était bien Dollmaker qui était là, qui répondrait. Barton Mathis était mort depuis déjà bien longtemps, seul restait le véritable maitre des poupées de cette ville.


Vous vous êtes sûrement trompée d'endroit, mademoiselle.

Dis-je calmement, tout en observant de mes yeux, l'étrange demoiselle qui venait à moi, ici, dans ce quartier de prisonniers. Il fallait avoir un certain courage pour entrer ici, au gré des hurlements, des sifflements, et surtout de l'ambiance actuelle du lieu. Ce n'était pas un lieu pour le commun des mortels, et encore moins pour une jeune femme seule. Même si les monstres sont derrière les barreaux, tout ce qu'ils peuvent toucher, peut aisément être corruptible. De mes yeux noirs, je fixais la jeune femme qui s'apprêtait à tomber bêtement, dans la toile d'araignée. Mais rien n'était jamais écrit, tout était à réaliser, disait l'adage. Ma silhouette dégingandée quitta le lit sommaire avant de se diriger vers la vitre, je la surplombais, cette jeune femme, de par ma taille. Une maigreur sans pareille cependant, cadavérique même. Mais ce regard, ce regard froid et calculateur qui ne voyait en elle, qu'un simple morceau de chair que je peux manipuler selon mes envies. Elle était peut-être une magnifique œuvre d'art, mais elle ne le savait pas encore.
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MessageSujet: Re: Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ]   Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ] EmptyVen 9 Sep 2022 - 19:23

La première chose à faire était de vérifier que toutes les mesures de sécurité étaient correctement mises en place. La vitre triplement blindée qui la séparait du patient était intacte. La porte, qui remplissait la même fonction, était bien fermée. Chacun des quatre verrous qui assuraient que cet avantageux état de fait demeure étaient  bien bloqué et inaccessible au dangereux tueur situé de l'autre côté. Elle essaya d'agir assez discrètement, souligner devant l'homme enfermé devant elle qu'il l'était et qu'il l'était d'une certaine manière par elle n'étant pas très diplomate. Mais elle ne laissa pas cette préoccupation empiéter sur le soucis de sécurité. C'était la priorité. Car ce qui importait à Katheleen c'était de guérir les malades. Or on soigne fort mal avec la gorge tranchée.

Une fois toutes les vérifications effectuées, elle pu de nouveau centrer son attention sur le patient et ce qu'il fallait bien appeler sa cellule.  Pas très grande, mais encadrée par de lourds murs sombres et dépourvue de fenêtres, ce qui lui donnait l'air oppressante et exiguë,  elle transpirait l'humidité. Murs et plafond étaient donc marbrés de traces de moisissure que le docteur aurait bien qualifiée d'anti-hygiénique si l'on lui avait demandé son avis. Mais on ne lui demandait pas.

A l'exception de cette douteuse décoration, rien n'attirait le regard dans ce lieu clos, étouffant par son vide affligeante par sa  banalité. Certes, Katheleen Grandt n'était pas psychiatre, mais elle pouvait se permettre quelques questions, quelques hypothèses, quelques idées.  Elle pouvait par exemple se demander si c'était une très bonne idée de laisser une personne déjà sérieusement dérangée mentalement sans rien sur quoi exercer son esprit, d'autant que le criminel malgré sa psychose avait la réputation de l'avoir brillant ou du moins aiguisé. Avant de sombrer dans la folie, n'était-il pas parvenu à devenir chirurgien ? Cela demandait tout de même des capacités intellectuelles développées !

Ces collègues n'avaient ils donc pas lu Zwieg ? Rester des heures, des heures et des journées cloîtré entre quatre murs sans rien d'autre à faire que compter les taches de moisissure au plafond, ça n'était pas sain pour des homme atteints de maladies psychiatrique. Ça n'était sain pour personne enfin !

A voir la promptitude avec laquelle le prisonnier avait tourné la tête vers elle, on pouvait se demander si ce vide des jours et cet ennui imposé n'avaient pour objectif de forcer l'intérêt des patients pour les consultations psychiatriques qui leur étaient imposées, voire de favoriser l'éventualité que ceux qui choisissaient le mutisme craquent et s'épanchent, livrant aux médecins de précieux secrets sur la forme de leur santé. Si à en croire l'écrivain allemand, cette méthode n'était pas dépourvue d'efficacité, il n'en était pas moins malvenu de l'utiliser. Outre sa dérangeante cruauté elle se distinguait par une dangerosité inconsidérée. Pousser au craquage psychologique, des malades enfermées pour leur santé mentale et leur dangerosité, dans un établissement dont les récentes évasion avaient montré la faiblesse de la sécurité, semblait une toute aussi mauvaise idée qu'inciter un furieux à ressasser en boucle ses pensées  lorsqu'il y avait fort à parier qu'elles s'orientaient habituellement vers les incisions antéro-postérieures de la peau et du péritoine, le meurtre et le sang.


Au moins, la vivacité avec laquelle il s'était tourné vers elle, puis s'était relevé sur son grabat indiquait sans ambiguïté qu'il n'était pas sous sédatif. La couleur étrange de son regard accentuait le malaise qu'il y avait a se voir ainsi fixer, surtout par un homme qui avait déjà tué d'autres êtres humains. Cataracte ? Kératite ? Ses yeux là voyaient pourtant. Indubitablement. Et fixaient comme le serpent une souris, avec la certitude qu'elle sera son prochain repas.

Confronter la manière dont ces yeux étrangement blancs la disséquaient du regard, avec l'état du corps des dernières victimes que le criminel avait eu entre les doigts était un coup de poing dans l'estomac et le genre de pensée qui fait avaler sa salive avec difficulté. Mais il était hors de question de reculer. Du regard, ils se jaugèrent, jusqu'à ce qu'ils rompent le silence :

« Vous vous êtes sûrement trompée d'endroit, mademoiselle. »

Sa voix froide et un peu traînante était grinçante comme une porte aux gonds mal huilés.

« Pas le moins du monde. A moins que vous ne soyez pas Monsieur Barton Mathis, bien sûr. »

Sa main, agrippée à la couture de sa poche, tremblait un peu, mais elle fut elle-même surprise par le naturel de son ton calme et posé.  Essayant de conserver sa calme politesse, elle ajouta :
« Je suis le docteur Grandt. Enchantée.»

D'un mouvement que l'habitude avait rendu fluide, elle sorti du sac qu'elle portait en bandoulière un bloc note et le stylo associé. Ce geste, elle aurait pu le réaliser longtemps auparavant, voire avant même d'entrer, mais il lui permettait assez habilement  de ne pas souligner qu'une triple frontière de plexiglas et de verre , ainsi qu'un minimum de bon sens et d'instinct de survie l'empêchaient de lui serrer la main, comme le recommandait l'usage. C'était là un petite astuce qu'elle avait inventée lorsque interne parmi les équipes qui prenaient soin des accidentés de la route, elle avait travaillé avec des patients qui avaient le bras dans un plâtre, amputé, voire étaient désormais paralysés.

L'homme de l'autre côté de la vitre ne répondit pas mais se leva avant de se rapprocher de la vitre. Vu de près, la silhouette qui la surplombait était véritablement grande, encore plus maigre, plus décharnée. Nettement plus grand qu'elle et la toisant d'un regard si froidement calculateur qu'il en devenait méprisant, il était impressionnant.
Disons 1 m 90.

Refusant de se laisser impressionner la jeune médecin soutint yeux dans les yeux le regard du tueur, sans baisser la tête ni ciller. Soutenir son regard la mettait d'autant plus mal à l'aise qu'elle imaginait sans difficulté mais non sans peine a quelle point la dernière victime du tueur, plus petite qu'elle , bien moins préparée, et nettement  moins protégé avait du être terrorisée devant se regard chosifiant qui voyait en face de lui un morceau de jambe, un morceau de biceps, un morceau de foie,  et vous découpait comme un poulet sur l'étal d'un boucher, la dernière chose qui l'intéressait étant le visage, la personne, la personnalité. Dans sa poche, sa main, nerveuse et crispée, serrait le tissus de sa blouse médicale pour y trouver la force de ne pas rompre le contact visuel et s'enfuir, mais elle refusait de renoncer.

Un auteur dont elle appréciait l'esprit sarcastique avait écrit des états sudistes que les gens vous y regardaient comme s'ils calculaient la probabilité de s'en tirer sans souci majeur avec la justice s'ils vous mettaient une balle dans la tête, vous dépouillaient de votre portefeuille et se débarrassaient de votre corps en vous enterrant dans le marais. La jeune femme qui y avait grandit confirmait. Et ajoutait que quelquefois, ils le faisaient. Surtout si vous étiez étranger à leur état, noir ou démocrate. Mais aussi quelque fois si vous n'étiez rien de tout cela, lorsque les nordistes noirs et démocrates n'étaient pas disponibles. Ici, à Gotham, et à Arkham en particulier, les gens vous regardaient comme s'ils allaient vous égorger, vous éviscérer sans raison particulière, et manger votre corps pour s'en débarrasser. Et souvent, ils le faisaient, le sens des conséquences juridiques de leurs actes étant érodé par la folie, l'habitude et l'impunité. Elle avait survécu au Sud, s'était faite à Gotham, s'en sortirai bien ici, et ne se laisserait pas empêcher d'y faire son métier. Comme quoi tout n'était jamais qu'une question d’adaptation.

Katheleen nota que le patient se déplaçait sans difficulté avec une relative aisance et une certaine agilité, que la station debout ne lui semblait pas pénible, et n'avait constaté aucune boiterie particulière. La blessure à la jambe, résultat de sa dernière rencontre avec Batman, pour laquelle il avait précédemment été opéré semblait donc bien en train de cicatriser. Il ne présentait pas de comportement particulièrement agité. Sa respiration était régulière et n'était pas sifflante. Aucune difficulté respiratoire manifeste n'était à observer. Les hématomes apparents sur ce qui dépassait de l'uniforme des prisonniers étaient encore de taille assez conséquente, mais il était tout à fait normal qu'ils ne disparaissent pas avant un mois. Quoique n'observant pas de gonflement anormal ou d'autres signes notables de surinfection, elle en détailla l'aspect et la taille, afin de pouvoir en surveiller l'évolution. L'hématome de l’œil attira sur ce plan spécialement son attention, car le risque d'un décollement de la rétine n'était pas à négliger, scénario qui se révélerait être une catastrophe, l'état de santé mentale du patient compliquant largement la mise en place de d'autres traitements.

Par ailleurs, elle était supposée assurer le suivi de l'opération de retrait du masque  qu'un collègue, qui depuis avait démissionné –  au bout de  trois mois de présence comme le lui avait aimable souligné le gardien d'un air de sous-entendre qu'elle, elle durerait trois fois moins longtemps. La cicatrisation était saine et sans symptômes d'infection mais aurait due être plus avancée. Elle ajouta que l'évolution des brûlures chimique, au niveau notamment des joues, serait vraiment à surveiller.

« Votre jambe vous fait-elle encore souffrir ? » demanda t-elle sans cesser d'écrire.


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MessageSujet: Re: Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ]   Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ] EmptyLun 12 Sep 2022 - 13:48

Dans l'enfer, les places les plus brûlantes sont réservées à ceux qui, en période de crise morale, maintiennent leur neutralité.

Le docteur Grandt. Donc, nous en sommes déjà aux formalités. Elle avait le visage doux, presque celui d'un ange, une jolie merveille de création de chair et d'os. Elle avait quelque part, cet aspect séraphique qui lui donnait l'air d'être divine. J'entrevoyais déjà une prochaine pièce d'art. Quelque chose de biblique peut-être, quelque chose qui célèbre l'apparition d'un ange à Gotham City. L'idée me fusa aussitôt que je la vis. Quelle magnifique petite pièce à manipuler. Je voyais déjà les nombreux tendons, amas de chair, et autres os avec lesquels je pourrais m'amuser. Elle était banale, comme toutes les autres, mais que voulez-vous, l'inspiration ne se commande guère. Mais il fallait revenir à la cruelle réalité des mortels, et pour moi, de quitter le monde du divin pour en revenir à cette question des plus classiques : Quel espèce de petit jeu on essayait de me tendre ? Il fallait être un pervers pour envoyer une si belle pièce de confection à ma cellule. Quel sorte de monstre peut envoyer un petit ange de cette espèce à ma rencontre ? Il fallait être un immonde vicieux. Elle se présenta, et malgré l'air lourd qui animait ce modeste couloir, nous nous jaugeons, tous les deux, déterminés à nous observer comme des chiens de faïence. N'imaginons donc pas que la pensée d'une ouverture des cellules et des émeutes puisse être rares. Dans cet asile, tout est possible. Voila que nos regards se croisent, et pendant un bref instant, du silence, rien que du silence, le calme assourdissant d'un silence qui suit la rencontre d'une novice, face à un homme célèbre par son art.


Docteur Grandt, donc. Si je peux me permettre, dans quel domaine avez-vous fait votre spécialisation ?

Intéressant, donc. Le sujet semble être quelqu'un qui possède une certaine intelligence. Point à retenir, donc, et qui parfait mon idée première. Elle était docteur, je l'étais aussi, selon mon art. Un parfait docteur qui connaissait à la pointe le maniement d'un bistouri et d'une décolleuse. Un homme qui connaissait le parfait travail de la chair et qui savait en faire son jeu de prédilection. J'inspire profondément, tout en ne quittant pas des yeux, l'étonnante créature qu'on venait de me sacrifier. Elle était semblable à cette fable du bouc émissaire. La question est de savoir qui est celui qui l'a envoyé dans le désert. Je détourne mon regard vers mon articulation, au moment même où elle me pose la question. Je laisse un temps, pour mieux essayer de la saisir, et surtout, pour mieux essayer de comprendre ce qu'elle voulait. Je me devais toujours, de chercher à avoir quelques wagons de plus que mes adversaires, pour mieux les reprendre par la suite.


Cela passera. Le corps humain est une formidable création. Des pires blessures, des cassures, il est capable de se réparer, de se battre pour assurer sa propre survie. Ce qui est arrivé avec le Batman était fortuit, mais je sais qu'il n'aura pas cette chance la prochaine fois.

Ne pas en dire de trop, rester évasif, père m'avait appris à ne rien montrer. Je dois dissimulé, je dois cacher, je dois me montrer comme je suis à l'extérieur, tandis que l'intérieur avait pourri depuis très longtemps. J'inspire, bruyamment, cette fois, à cause de la douleur qui me lance. Mais je me contiens. La douleur n'est qu'une simple information, et je peux la retenir, je peux la contrôler. Je peux être meilleur. Et je peux le faire. Les coups que le Batman m'avait infligés étaient certes, douloureux, et malgré les blessures, je reviendrais très vite à Gotham. Je ne pouvais pas laisser ma famille seule sans moi, après tout, il fallait bien que le père de famille ramène à manger pour ses enfants. Voila la belle définition d'un père qui agit par amour pour sa progéniture. Mes yeux ne trahissent rien, pas même un stimuli. Barton Mathis était mort, il ne restait que le froid et cruel Dollmaker. Toute trace d'empathie, ou de sentiment, avait disparu depuis si longtemps.


Il est étonnant que vous fassiez preuve de douceur, ou d'empathie, dans un lieu aussi sinistre que celui-ci. Cela en est même si étonnant que je peux à peine voir les ficelles de ceux qui vous manipulent pour attendre quelques bribes de mon état psychique. Seriez-vous un jouet dans ce simulacre, ou bien n'êtes-vous qu'une innocente colombe qui risque de finir embrochée par la dure et pénible réalité des choses ? Ne me dites rien, laissez-moi la douce surprise. Que ce soit doux, ou amer, la douleur renforce mon esprit.

J'essaie de la percer à jour pour ce qu'elle est vraiment. Malgré ce qu'elle pourrait, et pourra dire, je ne peux pas lui faire confiance pour ce qu'elle est. Elle était dans le secret de ces dieux qui dirigent l'asile d'Arkham. Et malgré toute la passion, la fougue, l'envie qu'elle aurait de me faire sortir les mots, je resterais le plus sobre possible. Mais cette discussion pourrait me tirer de l'ennui dans lequel je vis quotidiennement depuis mon internement, alors donc, jouons un peu. Essayons de voir si la souris peut donc échapper au chat. Ce dont je doutais, très clairement. Mais elle pouvait se révéler surprenante, alors voyons voir ce que ça peut donner. Lançons lui un appât, et voyons ce qu'on peut déterminer sur elle. Elle était docteur, donc, elle avait une formation, et elle avait sûrement un certain talent pour comprendre la psychologie. Je vais voir ce que je peux faire pour la titiller.


Je n'attends que très peu de choses de cet endroit, docteur Grandt. Et je doute que vous puissiez m'aider.
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MessageSujet: Re: Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ]   Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ] EmptyJeu 6 Oct 2022 - 1:58

« Avec celui-là, on peut toujours causer, parce que c'est un Homme. On est toujours compris. »
A.Camus, La Peste  [description par Cottard (un genre de collabo qui mourra dément)  du docteur Rieux]





Qu'y avait-il dans la tête de cet Homme ? Beaucoup d'horreurs cela ne faisait aucun doute. Mais encore ? Pour un dément, il  y avait  une certaine logique dans ces propos. Pour un furieux, il y avait  un caractère très civil  dans sa manière de s'exprimer. Pour un sadique, il n'y avait aucune cruauté particulière dans ses mots. Pour un manipulateur, il avait une anormale forme de franchise dans certains de ses mots. Et pourtant, aucun de ces adjectifs sauraient être retirés de sa description. Que pouvait-il bien y avoir dans la tête de cet Homme ? Nul ne le savait sans doute. Nul ne le saurait  sans doute jamais, et probablement pas même lui-même.

Lorsqu'il lui demanda quelle était sa spécialisation, elle le fixa un instant, faisant un rapide calcul de risques. Il  était évident qu'elle devait se méfier et en révéler le moins possible  sur elle-même. Il s'agissait avant tout de ne pas se mettre en danger et de ne pas mettre en danger sa famille pour le jour où il sortirait, car il sortirait un jour, Katheleen n'avait aucune illusion. Cet établissement n'avait pas volé sa réputation de passoire, et elle devinait l'homme face à elle suffisamment rusé pour être capable de tirer profit de la moindre erreur d'inattention des gardiens pour disparaître de nouveau dans les tréfonds de Gotham. D'autre part, plus on révèle d'informations sur soi, plus on est manipulable. Le cannibale semblait intelligent malgré sa folie, et particulièrement retors. Elle le soupçonnait d'être assez  volontiers manipulateur.  Et le docteur n'avait pas l'intention de se laisser manipuler.
 
Toutefois après un bref instant de réflexion, elle jugea que cette information ne présentait pas de danger particulier. Et puis le patient était médecin lui aussi. Un médecin qui avait pété les plombs et s'était mis à découper les gens au lieu de les soigner, certes. Mais un médecin quand même. Et parler de médecine avec un médecin, c'était cohérent.

« Je suis cardiologue. J'ai fait mon mémoire de spécialisation sur les foyers ectopiques ventriculaires et l'évolution des extrasystoles en fibrillation . Mais j'exerce ici comme généraliste. »

« Et vous-même ? Quelle était votre spécialisation avant que vous... - elle hésita sur la formulation un court instant – ne consacriez votre temps à  fabriquer des poupées. »

Cela lui paraissait une manière de tourner les choses plus appropriée que « ne viriez dingue » ou « ne vous mettiez à tuer des gens ».

Derrière le ton d'une simple neutralité cordiale se cachait une véritable curiosité. On le disait chirurgien, mais Katheleen qui avait eu l'occasion de voir  l’œuvre de son scalpel avait été intriguée au-delà de l'horreur.  En recousant les plaies, elle s'était fait la réflexion que l'assassin avait davantage les gestes d'un légiste qui aurait oublié que le cadavre était vivant au moment de le découper que ceux d'un chirurgien dépourvu de tout souci de recoudre un jour son patient. C'était-on trompé en inscrivant son métier ? Avait-il menti ? Perdu le souvenir de ce qu'il était avant de devenir un tueur ? Avait-il été au cours de ses études particulièrement été marqué par les dissections de souris ? Ce qu'il  faisait aujourd'hui sur les humains  vivants n'était pas  fondamentalement très différent, et c'était peut-être pour la  jeune médecin ce qu'il y avait de plus perturbant. Y avait-il après tout vraiment des raisons pour qu'après avoir perdu l'esprit il conserve dans une activité opposée les même gestes que par le passé ? Peut-être que c'était une juste une folie de chercher la logique d'un fou.





« Cela passera. Le corps humain est une formidable création. Des pires blessures, des cassures, il est capable de se réparer, de se battre pour assurer sa propre survie. Ce qui est arrivé avec le Batman était fortuit, mais je sais qu'il n'aura pas cette chance la prochaine fois. »  

Elle ne réagit pas au fait qu'il venait de lui déclarer très clairement qu'il s'évaderait et reprendrait le massacre. C'était pourtant terrible, mais elle le savait. Inéluctablement, celui qui attendait la moindre occasion de s'évader la trouverait, il sortirait, il tuerait de nouveau, affronterait de nouveau la police ou Batman et retournerait entre ses murs. Combien de litres de sang sa sortie laisserait-elle couler dans les rues de la cité ? Combien de cadavres horriblement mutilés seraient retrouvés dans le charnier qu'il aurait laissé derrière lui ? Combien de clochards, de prostituées ou de passants malchanceux finiraient leurs jours sur un brancard parce que même quand les urgences arrivent avant que le cœur ne se soit arrêté, lorsque l'air insufflé par le respirateur artificiel ressort d'un larynx arraché sans même entrer dans les bronches, c'est qu'il est trop tard ? Combien une fois le fait divers fini se souviendraient de ceux qui avaient péris ?

Ce qui l'interpella d'avantage ce fut le terme de création. Si l'admiration pour la formidable résilience du corps humain était un lieu commun tant chez les médecins qui cherchaient à l'aider dans sa réparation que chez ceux qui  se contentaient d'observer le résultat de plusieurs siècles d'évolution, ce mot de création semblait moins sorti de l'univers de la médecine que de celui de la  démiurgie, presque de la religion. Elle fut un peu intriguée : elle n'aurait pas d'emblée imaginé cet assassin comme se souciant de dieu et de métaphysique. Pourtant, à moins qu'il ne s'agisse là d'un mot jeté au hasard, c'était bien de cela qu'il s'agissait. Car il n'y a pas de création sans créateur.

Elle hésita à lui demander directement de relever la jambe de son pantalon au-dessus de la blessure pour la laisser observer l'évolution de la plaie. A ce stade, que la blessure demeure n'était pas forcément bon signe et elle voulait éviter un risque d'infection, et aussi qu'à force de déplacer le poids du corps sur l'autre jambe, il ne se fasse mal à l'autre genou. Et puis finalement, pour le bon déroulement de la consultation,  elle préféra ne pas intervenir aussi directement mais prendre d'avantage son temps pour ne pas braquer le prisonnier. Il lui paraissait déjà sur la défensive. Les paroles qui suivirent lui montrèrent qu'elle avait eu raison.

« Il est étonnant que vous fassiez preuve de douceur, ou d'empathie, dans un lieu aussi sinistre que celui-ci. Cela en est même si étonnant que je peux à peine voir les ficelles de ceux qui vous manipulent pour attendre quelques bribes de mon état psychique. Seriez-vous un jouet dans ce simulacre, ou bien n'êtes-vous qu'une innocente colombe qui risque de finir embrochée par la dure et pénible réalité des choses ? Ne me dites rien, laissez-moi la douce surprise. Que ce soit doux, ou amer, la douleur renforce mon esprit.  »

D'aucuns auraient sans doute assimilé la certitude du dément que l'on cherchait entre ses murs à lui voler les secrets de sa psyché comme de la paranoïa ou un délire de persécution. Katheleen n'était pas psychologue et elle avait plutôt tendance à penser que se méfier des psychiatres d'Arkham et les soupçonner de pouvoir être du genre à essayer de manipuler  collègues et patients était plutôt un signe encourageant d'un certain reste de santé mentale.

«  Je vous laisse vous faire votre propre opinion à mon sujet. - répondit-elle avec un haussement d'épaules- Quand à moi, je ne suis pas sûre d'être une colombe, et je m'efforce toujours de n'être jamais le jouet de personne. Je crois n'être simplement qu'un cas particulier d'être humain. - elle laissa un blanc  couper sa phrase un court moment avant de déclarer- Je suis de ceux qui se méfiant de l’héroïsme et ne croyant ni aux héros, ni aux saints mais ne pouvant accepter les fléaux, s'efforcent cependant d'être des médecins. »

« Je vous remercie néanmoins pour le compliment. Je ne fais pourtant que faire mon métier. »
ajouta-t-elle doucement et avec un sourire vague .

Douce ? Empathique ? Elle essayait de l'être. Pour être tout à fait franche, cela n'était pas toujours aisé. Surtout  lorsque l'on face à des hommes qui étaient presque des monstres. Elle pensa à la dernière victime, à l'état déplorable dans lequel elle était arrivé. Surtout, lorsque l'on faisait face à des hommes qui étaient des monstres. Elle revit un instant cette petite jeune femme, très blonde, très frêle, avec un nez un peu plat pas très gracieux, une longue chevelure bouclée qui avait dû être très belle et de grands yeux verts qui ne regarderaient plus que la nuit pour l'éternité. Elle ne la connaissait pas. Des moments de sa vie, elle n'avait rien partagé. Elle n'en connaissait ni l'histoire, ni la couleur préférée. Elle ignorait si elle avait une famille quelque part qui la regretterait, ce que elle avait déploré de n'avoir pas eu le temps de vivre lorsqu'elle avait compris que la mort était venue la chercher, quelles étaient les chansons qu'elle aimait écouter. Elle savait seulement qu'elle avait de longues incisions sur le buste et les flancs et plusieurs organes internes endommagés, qu'elle avait passée des heures en salle d'opération livrée aux soins désespérés des chirurgiens qui avaient  tenté de recoudre ce que leur ex confrère avait lacéré, et qu'elle était morte aux urgences de l'hôpital, quasiment dans ses bras.  Elle repensa un moment au regard attristé du médecin lorsque tout de suite ils s'étaient doutés qu'ils ne pourraient pas la sauver. Avoir eu de l'empathie pour elle, avoir aujourd'hui de l'empathie pour lui relevait de l'équation insoluble. Mais même les monstres ont le droit d'être soignés.




Elle détailla son comportement. Sa posture était très droite, très maîtrisée. Il était évident qu'il cherchait à garder le contrôle de son propre corps, pour ne pas le laisser livrer  " quelques bribes de son état psychiques " - et physique aussi d'ailleurs, pour garder une forme de contrôle sur la situation aussi d'ailleurs. Pourtant, des détails  le trahissaient lorsque l'on  savait regarder : par moments les muscles de sa main ou de sa joue se crispaient, son souffle se faisait plus fort, plus saccadé. Elle en déduisit qu'il souffrait vraiment même s'il semblait beaucoup tenir à ne pas le montrer. Enfin, c'est ce que disait son corps, sa manière de se mouvoir, de respirer, le poids du corps appuyé préférentiellement sur la jambe qui n'était pas blessée. Ses yeux, eux, ne disaient rien.
 
« " Ce qui ne me tue pas me rends plus fort " Le Crépuscule des idoles. Nietzsche.  Je ne suis pas nietzschéenne, mais je comprends le principe.  »

Le penseur  allemand, qui avait aussi fini dans un asile comme celui-ci, avait écrit cette phrase comme une déformation du propos d'un autre philosophe, un prédicateur celui-ci. Il avait notamment réalisé sur cette phrase l'ablation de toute la forte dimension morale qu'initialement elle possédait. L'homme de l'autre côté de la frontière avait surgi de l'ombre pour embarquer des innocents dans les sous-sols de son enfer, les avait séquestré, découpé, démembré, dépecé et tué, éventuellement pour se repaître de leurs cadavres ; on pouvait effectivement le soupçonner de ce placer au-dessus – ou en dessous, ça reste à voir – des notions de bien et de mal. Si il était enfermé parmi les déments on pouvait même légitimement se demander si il était encore capable de les conceptualiser.  D'autre part, il y avait chez Nietzsche cette idée, que seuls les hommes supérieurs étaient capable de sortir plus fort, et non meilleurs comme la tradition chrétienne l'avait longtemps affirmé. Le philosophe affirmait en faire partie, et Katheleen ne doutait pas que le criminel aurait dit exactement la même chose de lui-même.

« Cependant, si je reconnais que la médecine a sans doute en partie tort de ne penser la douleur que comme un mal qu'il faut combattre ou comme une information sur un état de santé. Toutefois que cette conception soit limitée n'en annihile pas toute pertinence. »

Le propos était sincère, témoin de questions qu'elle s'était déjà posées, montrant surtout qu'elle avait réfléchi à ce qu'il avait dit, qu'elle parlait vraiment avec quelqu'un. Elle ne faisait pas qu'arracher des paroles pour les disséquer. Et si elle avait choisi cet angle pour attaquer le problème, c'est parce qu’elle supposait que la douleur était une thématique qui relevait une importance particulière pour le Dollmaker, pour celui qui avait été arrêté parce qu'il torturait des gens, et qui avec ce masque qui s'était cousu sur le visage, se torturait en quelque sorte lui-même.

Elle avait noté dans un coin de sa tête qu'il ne l'avait pas citée comme étant, elle, personnellement, une voleuse consciente d'information et donc moins comme une menace ou une ennemie que comme une sorte de victime collatérale de ses collègues qu'il accusait de machination, mais sans  espoir ou illusion particulière qu'il lui accorde une confiance qu'il n'avait par ailleurs aucun intérêt et aucune raison objective de lui donner. Mais  sans même aller jusque-là elle savait que sans un minimum de coopération de sa part, les traitements s’avéreraient passablement malaisés.

« Je n'ai pas l'intention de vous voler vos secrets. Et j'ai, comme tous les médecins, fait  serment de respecter le secret médical. Croyez ou non en mon engagement à m'y tenir, cela vous regarde. Mais  savoir l'état de votre blessure, c'est savoir si elle est en train de cicatriser ou de s'infecter, ce qui, vous le savez sans doute, pourrait entraîner, si elle n'est pas traiter une gangrène, un impétigo ou une septicémie. »

Elle n'ajouta pas « et potentiellement la mort si vous continuez à tout faire pour n'être pas soigné», car ce n'était pas pertinent de quasiment menacer ainsi des patients, mais c'était clairement ce qu'elle pensait.  Elle avait un ton assez froid, très descriptif, et utilisait un langage médical précis, espérant qu'il aurait du sens pour lui puisqu'il avait été médecin avant de sombrer dans la folie, et qu'il le convaincrait de lui faire pas vraiment confiance, on était à Arkham  et cela n'existait pas, mais suffisamment pour lui permettre de savoir si sa jambe était ou non en train de correctement cicatriser.




« Je n'attends que très peu de choses de cet endroit, docteur Grandt. Et je doute que vous puissiez m'aider. »

Etait-ce une impression ou sa voix s'était faite différente sur ces derniers mots ? Pas vraiment plus grave, même si quelque chose dans l'intonation en donnait presque l'impression. La fausseté de l'allure détachée de ses mots était trop flagrante pour n'être pas lui-même fausse et il y avait quelque chose d'artificiel dans le petit air de semi-confession que la manière étrange dont il portait sa voix donnait. Ou peut-être n'était-ce que le fruit de son imagination. Quoiqu'il en soit, elle se doutait que quelque chose d'important se jouait derrière la quasi banalité du propos. Il avait l'air d'attendre quelque chose de précis de sa réponse, mais elle ne parvenait pas à cerner quoi.  

En reréfléchissant à ses paroles, elle remarqua immédiatement qu'elles sonnaient comme s'il avait un temps envisagé l'opposé avant de se résigner. Cela la surpris et elle leva un sourcil, étonnée. Ce n'est qu'après coup qu'elle repéra ce qui était pourtant flagrant. Il n'avait pas dit qu'il n'attendait rien, il avait dit qu'il attendait très peu ; il n'avait pas exprimé la certitude qu'elle ne pourrait pas l'aider, il avait déclaré en douter fortement. Il sous entendait donc clairement qu'il pouvait attendre quelque chose. Une chose du moins. Et naturellement, Katheleen se demanda quoi. Immédiatement elle comprit que ce devait être ça qu'il attendait, que ce devait être ça la question qu'il voulait qu'elle pose. Donc acte se dit-elle avec la sensation qu'il y avait là un piège pas bien loin, mais dans l''attente de voir ce qui se passerait.

« Vraiment ? Et quel est donc le « très peu » que vous attendez ? »

Et puis, avant de lui laisser le temps de répondre, elle décida de le prendre un peu à contre-courant et ajouta: «Qu'est-ce qui vous fait penser que je devrais m'attendre à ce que vous attendiez quelque chose des hôpitaux en général, ou de ces lieux en particulier? »


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MessageSujet: Re: Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ]   Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ] EmptyMar 11 Oct 2022 - 18:38

"Des créatures de Dieu qui s'étaient endormies en pleurant, ouvraient les yeux pour pleurer de nouveau."

Elle parle beaucoup. Beaucoup trop, alors qu'elle devait tout simplement écouter. D'une voix légèrement calme, elle venait de se confier sur son ressenti, sur ce qu'elle pensait, et bien entendu, sur ce qu'elle attendait de notre entretien. Mais je n'étais pas né de la dernière pluie, et je n'étais pas aussi bête qu'elle pouvait très certainement le penser. Fou, peut-être. Abruti, c'était non. Je ne valais pas Humpty Dumpty, ou Amygdala. J'avais ma propre façon de voir les choses, et je ferais en sorte qu'elle entende l'appel. Qu'elle comprenne dans quel monde elle allait pénétrer. Inspirant légèrement, je me repose sur une des chaises sécurisées de la pièce.


Intéressant.

Tu m'entends, père ? Cette jeune femme semble vouloir jouer le jeu jusqu'au bout. N'est-ce pas d'une simple cacophonie à mes douces et chastes oreilles ? Elle semblait parfaitement ancrée dans son idée, elle n'était qu'une simple figurante, encore trop inapte à comprendre l'art que je dispense à mes élèves, à ma famille. Quoi de mieux que de chercher à comprendre le pourquoi du comment ? Mes yeux plongent dans ceux de la jeune femme. Pourquoi, me venait en tête. Le pourquoi du comment, oui, celle qui fait de nous des êtres motivés à aller vers notre prochain, ou à nous enfoncer dans les méandres de la solitude. Je n'aimais pas les gens, à vrai dire, je ne les supportais pas. Mais une chose en entrainant une autre, je tentais de percevoir le jeu de cette jeune femme. Elle n'était le pantin de personne, n'est-ce pas ? Si ce qu'elle disait était vrai, alors elle ne serait clairement pas ici, à tenter de se lancer dans une conversation avec quelqu'un de méprisable.


Je crois que vous ne comprenez pas dans quel endroit vous êtes, mademoiselle Grandt. Ici, vous êtes à Arkham. L'information n'est pas gratuite, et elle est suffisamment rare pour qu'on puisse la jeter aux porcs. En ce cas, la règle sera très simple, mademoiselle Grandt. Je vous répondrais, et en échange, vous me confierez certains de vos petits secrets. Voyez cela comme une discussion des plus civilisées et polies, dans un monde en perdition, au bout de ses possibilités. Croyez-moi, c'est encore difficile de se croire sain quand on vit à l'extérieur de cet endroit. Pour en revenir à notre affaire, c'est donnant-donnant, et surtout, n'essayez pas de me mentir, je le devinerai. Je répondrais à vos questions, mais ce sera en fonction de vos réponses, et bien entendu, il faudra que ce soit égal des deux côtés. J'espère que vous arrivez à me comprendre.

Un petit sourire, l'idée était bien sûr, d'entrer dans sa vie. De faire en sorte que cette rencontre initiale puisse rester des plus mémorables, tout en lui rappelant bien sûr, la pénible et terrible douleur de se confier à un dangereux psychopathe. Je voulais qu'au travers de cette vitre blindée, je voulais la blesser, père. Je voulais la scarifier en toutes merveilles, pour la préparer à la douleur physique. Je veux lui détruire sa psyché interne, avant d'exercer mes arts sur cette femme qui n'était qu'une simple petite cardiologue. J'esquisse un sourire, c'était à moi, de dicter les termes. Après tout, c'était elle qui venait à moi, donc, elle avait besoin de quelque chose, de quelque chose qui puisse la titille assez pour s'accrocher à mes dépends et à essayer de gratter sous la surface épaisse de mon être, pour avoir quelques précieux renseignements. Ils essaient tous, et à chaque fois, ils regrettent ... Pourquoi s'accrocher ? Le monde n'était que pourriture, mais mes œuvres, elles, allaient ouvrir les yeux sur l'état déplorable de notre société, il était temps pour tous, de se remettre à la quête du plaisir, et de la douleur. Le monde se devait de se faire mal, pour comprendre la véritable douleur, et surtout, pour voir le monde à ma façon.


Pour répondre à votre première question, docteur Grandt. Je n'ai eu aucune spécialisation reconnue dans les prestigieuses universités du pays. J'ai appris des travaux de mon regretté père. Il m'a enseigné l'amour de la chair, de la consommation de viande humaine, et bien sûr, du savoir-faire pour travailler la peau. En faire un cuir robuste, en faire quelque chose pour améliorer l'être humain. Ma dernière création était une tapisserie humaine. Imaginez de nombreux corps, encore vivants, reliés les uns aux autres, surmontés d'une magnifique œuvre peinte à la gloire de l'art. Une tapisserie comme on ne pouvait qu'apprécier la finition. Le chant mélodieux de ces cobayes embellit encore mes oreilles. Père m'avait appris à faire de mon mieux, et à toujours chercher la perfection dans ce domaine.

Et je m'arrête là, observant la jeune femme avec une certaine attente. Un défi en guise de lueur dans le regard, je savais ce que je voulais d'elle, et pour tout dire, je n'attendais que sa petite confession. Elle avait un certain charme, mais me laissant indifférente, face à toutes ces femmes qui s'habillaient toujours de la même manière. Pas de réel charme, tout cela n'était que de la poudre aux yeux. Non. La véritable beauté est intérieure, elle est rougeoyante, tendue, emplies de liaisons nerveuses. Nous n'étions beaux que sous nos masques de tous les jours. Il suffisait seulement de décoller la peau, et de faire apparaitre ce qui valait vraiment le coup de montrer. Quelle douce sensation, c'était quelque chose de terriblement délicieux au final, de s'enfoncer une lame sous la peau, et de trancher, de trancher jusqu'à ce que plus rien ne tienne. Décoller doucement la peau, et le résultat en est plus que vivifiant. Je connaissais bien ce délicieux sentiment. Mais peut-être que cette jeune femme voudrait essayer, un jour où l'autre ? Qui sait, on se reverra très certainement. D'une voix calme, je reprends.


Vous dites que vous êtes cardiologue. Pourquoi une telle vocation ? Est-ce que votre père est mort d'une complication cardiaque sous vos yeux ? Est-ce que vous avez pris du plaisir à ouvrir le cœur d'un cobaye en cours au lycée ? Est-ce que vous croyez pouvoir faire une différence pour sauver des gens qui ne vous remercieront jamais assez pour le don de Dieu que vous leur infligez ? Dites-moi, docteur Grandt. Pourquoi ?
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MessageSujet: Re: Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ]   Ars longa, vita brevis [The Dollmaker | Katheleen Grandt ] EmptyVen 17 Mai 2024 - 14:10

« Frappes-toi le coeur, c'est là qu'est le génie.»
Alfred de Musset, Lettre à mon ami Edouard B.  





« Intéressant. »

Quiconque a déjà manifesté, de si loin que ce soit, de la curiosité pour la linguistique, ou même tout simplement pour la manière dont communiquent les gens aura eu l’occasion, sans doute de remarquer la particularité… intéressante du mot "intéressant". Employé seul, sans compléments ni précisions, il a souvent tendance à signifier son exact opposé. En cela, il est loin d’être seul de son espèce. Ainsi, là où en mathématiques l’addition du positif et du positif donne immanquablement du positif, la concaténation de deux "Oui" signifie presque universellement "Non".

Comme tous les habitus, à fortiori linguistiques, de telles règles ne sont pas, et de loin, dépourvues d’exceptions. Toutefois, lorsque le ton qui accompagne le propos est à l’image de l’attitude de son locuteur, c’est-à-dire froide, hautaine et suintant le mépris, il est difficile de se leurrer et de croire que l’on avait affaire à une heureuse dérogation.

Katheleen n’était pas naïve. En tout cas, certainement pas à ce point-là. Et puis, le comportement du cannibale avait depuis le début de la consultation été on ne peut plus clair, tout du moins sur ce point. Il la méprisait carrément et la médecin en avait bien conscience. Eût-elle voulu mener avec lui un combat de parole, c’eut été sans doute, la plus affutée de ses armes. Car, jeune encore, peut être encore un peu inexpérimentée, elle était peut-être à certains égards moins armée que le routard du crime pour ce genre de lutte, mais l’on ne se méfie jamais assez de quelqu’un que l’on méprise. Et elle au moins ne le méprisait pas.

Tandis qu’il parlait, elle l’observait tourner en rond dans sa cellule comme un lion en cage, détaillant la démarche et les appuis au moins autant, si ce n’est plus que les paroles. Celles-ci pourtant ne manquaient pas de sel. Cet homme était un trésor de paradoxes, l’informant gratuitement que l’information n’est pas gratuite, tentant de la manipuler tout en l’informant du danger…

Cherchait-il volontairement à la dérouter ? Cela y ressemblait en tout cas. Si c’était là le but, ce n’était qu’une réussite que très partiellement. Non seulement parce qu’elle l’avait repéré, ce qui était toutefois un élément de poids, mais surtout parce qu’aux jeux de pouvoir et d’égo que le tueur proposait, la docteur et son caractère paisible étaient parfaitement imperméables. S’il cherchait à la mettre mal à l’aise, par les insidieuses suggestions qui suggéraient des parallèles entre les tortures qu’il exerçait et son propre art, c’était déjà bien plus efficace, elle devait bien se l’avouer. Et s’il essayait de la dégoutter par cette description graphique et détaillée de ses sanglants projets, on pouvait parler d’un triomphe.

Cette réaction, ce n’était pas le malaise de son estomac face à la nudité rougeoyante, sanglante et organique des cadavres. Le sang et les entrailles ne lui faisaient pas peur. Elle était médecin, elle avait déjà vu des morts. Son dégout était une indignation. C’était la pensée que le dessein cruel et macabre avait coûté des vies achevées dans d’atroces souffrances. C’était la pensée de la personne encore vivante qu’elle avait tenté de sauver. C’était l’image de cette pauvre jeune femme qui voulait vivre et était morte. On s’habituait à la sanguinolente rougeur d’un cœur disséqué, au malaise du décalage entre la froideur mécaniquement organique de ces fibres blanchâtres et molles sur une table de dissection lorsqu’on imaginait qu’il avait été battant pulsant le sang et la vie, on s’habituait la vue de la difformation violente des accidents ou aux textures répugnantes de la maladies sur les chairs. Mais la mort, voir quelqu’un mourir, on ne s’y habituait pas.

Consciente que le sociopathe qu’elle avait devant elle se nourrissait de ce genre de réaction, et qu’elle se devait de rester impassible pour ne pas perdre toute crédibilité, la médecin cacha ce sentiment autant que sa pensée. Elle essaya tout du moins, et pour la novice qu’elle était encore y réussit plutôt bien. Un regard, un frémissement de sourcil, une tension de la mâchoire, une crispation de muscle facial trahirent peut-être discrètement l’émotion qui lui avait traversé l’esprit. Le self-contrôle à tout épreuve et le calme imperturbable qui feraient dans quelques années sa réputation dans le métier, elle ne l’avait pas encore complètement, elle le forgerait au fil du temps. Disons qu’elle parvint plutôt bien à garder contenance.

Face à la proposition jeu qu’il lui proposait, pas très saine ici, comme toute chose en ces lieu, elle réussit garder sa parfaite imperméabilité. La menace était palpable, conçue pour la mettre mal à l’aise et attiser sa curiosité, mais elle voyait assez clair dans son jeu pour ne pas en être ni effrayée ni indisposée. Ce qu’il essayait de faire, en somme, c’était d’attirer une jeune médecin qu’il croyait naïve dans la flamme de l’espoir de se voir délivrer des informations, vraies ou fausses, sur un patient qui avait déjà au compte-goutte délivré des indices à partir duquel elle pouvait reconstituer un parcours, analyser son histoire, ses pathologies et sa psyché mais rien savoir de sa véracité. Mais à trop s’approcher de la lampe, la phalène se brûle. Car si elle ne savait précisément ce que le psychopathe espérait des informations que sur elle il pourrait par ce biais collecter, il était plus que vraisemblable que c’était à des fins qui lui seraient défavorables. C’était même globalement assez certain. Enfin, ce qu’elle voyait surtout, c’était qu’il espérait en posant les règles du jeu, reconquérant par là un bribe du pouvoir que lui retirait sa présence derrière les cages.


« Les maladies cardiovasculaires sont dans les pays développés la première cause de mortalité. » se contenta-t-elle succinctement de répondre à la question qui lui était sournoisement posée.

Pourquoi en était-elle arrivée là ? Pourquoi essayait-elle, sans y croire, de faire une différence pour sauver des gens qui ne vous remercieraient jamais pour le sursis d’existence qu’elle leur infligeait ? Pourquoi ?

Paradoxalement, celle qui vouerait son existence entière à son serment et son métier, offrant sa vie à son humanisme de tout son dévouement et toute son abnégation, s’y était pour la première fois dirigée par une aspiration tout à fait personnelle, individuelle, presque individualiste. Egoïste l’aurait même, si elle l’avait su, qualifié la famille à laquelle elle avait menti pour partir étudier le métier qu’elle pratiquerait toute sa vie dans la plus stricte honnêteté.

Katheleen était née en Caroline du Nord. Ce sont des choses qui arrivent. Jeune fille de bonne famille du vieux Sud chrétien où l’on vote encore Ronald Reagan et regarde d’un œil méprisant les divorcées, dans le genre d’endroits passionnants où lorsqu’un chien est écrasé par un tracteur, c’est un évènement dont on parlera encore toute l’année, il y avait pour elle deux possibilités. Accepter son éducation et se résigner, se marier selon sa fortune et son rang à un fiancé approuvé par ses parents, sourire poliment comme une statue de cire et vivre là jusqu’à la fin des temps. Ou alors se révolter, se plaindre à longueur de journée que son village est un trou, que l’on y vit une vie de macchabé et que l’on a qu’une envie partir. Alors, il vaut mieux savoir habilement se taire, car l’on est sinon la honte de sa famille et que l’on pourrait bien le payer très cher. Et puis quoiqu’il en soit, on se résigne, on se marie selon sa fortune et son rang à un fiancé approuvé par ses parents, on sourit poliment comme une statue de cire et l’on vit là jusqu’à la fin des temps.

Dans le trou paumé, dans la famille étouffante où le destin dès la naissance enterrée, son quotidien, asphyxiant, oppressant, malsain, n’était pas le neuvième cercle de l’enfer et la succession ininterrompue de traumas et de blessures qu’avaient connu combien des patients qu’elle rencontrerait par la suite. Elle n’avait connu ni la pauvreté, ni la faim, ni le froid, avait grandi exempte de l’inquiétude de dormir sous un toit. Ses conditions matérielles étaient plus qu’enviables, elle le savait déjà, quoiqu’à l’époque si loin du monde, ce n’était qu’abstraitement. Lorsqu’elle se retrouverait dans les Narrows, elle le mesurerait dans toute sa violence, l’abîme qui les séparait. Mais ils avaient un point commun : ils n’avaient aucun avenir.  

Coincée entre l’église et l’aïeule acariâtre et lentement mourante dont elle était la garde-malade, la jeune fille comptait les oiseaux par la fenêtre en cherchant à occuper au moins son imagination sur ce temps à quelque chose d’intéressant. Le temps perdu coulait lentement le long de la moquette comme du ciment. Combien d’heures, de jours et de secondes étaient perdues ainsi, gâchées à tous jamais ? Son univers était trop poussiéreux, trop étriqué, trop plat pour qu’elle sache imaginer ce qu’elle pourrait faire à la place qui en vaudrait la peine et cette absence renforçait encore ce gâchis et l’impression qu’il n’était pas tout à fait correct de dilapider du temps humain comme cela. Les jours toujours pareils s’écoulaient avec morosité et ennui, et elle se rongeait les ongles de la certitude, du désir et du cri de révolte insensé que la vie cela devait être autre chose que cela.

Les jours toujours s’étaient ainsi passés, à se demander ce que cela valait de vivre, lorsque l’existence ne consistait qu’à s’asseoir sur une chaise avec une robe sans un pli et un sourire poli, attendre indifféremment la mort ou l’heure du diner, selon lequel se présenterait en premier. La chaleur était sèche, la poussière s’accumulait sur les routes, les rues, les arbres et étouffait tout. Si elle était restée, elle se serait momifiée. Le temps n’existe pas dans ce genre de vie désolée, désespérément vide, pourtant coulait devant elle cette poussière immobile comme un sablier, rappel régulier du néant terrible dans lequel sa vie était en train de se noyer.  

Un jour, le personnage du livre qu’en cachette elle lisait avait été un médecin. Elle avait été foudroyée. Elle avait lu les tourments et les peines de l’homme confronté à la douleur, la maladie et la souffrance innommable. Elle savait, même si c’était encore seulement théoriquement, vers quel genre de combats et de difficultés elle allait se diriger. Mais cela ne changeait rien car elle avait créé en cet instant une décision, une vérité, la réponse à la question de son enfance qui n’avait cessé de la hanter. Oui, elle vivrait. Se donner un sens, se trouver un but, quelque chose à défendre, un espoir pour lequel lutter et batailler, cela change tout. Qu’importait que sa famille soit bête et oppressante, qu’importait les heures de son enfance gâchée, qu’importait le prix que de sa sécession elle allait devoir payer, qu’importait la chaleur qui l’étouffait, la poussière qui la faisait tousser. Elle vivrait. Elle vivrait pour exercer le métier de cet homme.

Les heures les plus belles et les plus douloureuses de sa vie avaient suivi. Elle qui ne connaissait du monde que le rêve et la théorie en avait découvert le réel. La ville qui étouffait de la gangrène de ses misères et de ses crimes, l’avait à seize ans enthousiasmé et ébloui. La vie qui était ailleurs était ici. Les études lui avaient plu au-delà de toutes ses attentes. Elle avait tout aimé, le savoir, les cours, l’émulation intellectuelle, la recherche ardente et critique de l’Homme et de la santé. Il y avait eu des moments difficiles, elle s’était accrochée. "Frappes-toi le cœur, c’est là qu’est le génie." Fière de réussir là où sa famille ne l’aurait jamais envisagé, dans ce monde d’apparence inaccessible à ce qu’elle était, elle avait vécu le bonheur surtout d’avoir trouvé sa vie et sa voie. Et puis il avait fallu voir mourir. Beaucoup s’y étaient habitués, d’autres de l’avaient pas supporté et avait abandonné. Elle n’avait fait ni l’un ni l’autre. Autant que bouleversée, elle en était ressortie plus certaine encore de sa vocation. Oui, elle s’était passionnée pour les connaissances qu’elle avait dévoré. Oui, le dément avait raison, elle avait aimé les dissections de tissu cardiaque. Oui, le souvenir personnel de l’infarctus qui avait emporté son patient était encore gravé sous sa rétine.  Mais avant tout il fallait empêcher le plus d’Hommes possibles de connaître cet abîme et cette séparation définitive. A l’époque, ils étaient deux, mains dans la main à avoir le même but et fait le même constat. Aujourd’hui, elle était seule. Ses projets s’étaient effondrés, son bonheur était mort, du sens de son monde elle avait été amputée. Mais cette vocation, elle ne l’avait pas abandonnée.  

 
« En somme, votre dernière hypothèse n’est pas très éloignée de la réalité. »

La réponse donnée, le dément la regarda, semblant attendre le revers de l’échange, c’est à dire la question. Mais Katheleen n’était une passionnée du des joutes ni des jeux de pouvoirs et par ailleurs, elle n’aimait pas plus que cela le tennis. Aussi se contenta-t-elle de jeter un œil sur la démarche du Dollmaker, d’en faire en silence quelques déductions sur sa blessure et son état de santé, et de les transcrire sur son papier. Puis, elle se leva.

« Je suis désolée, mais je n’ai pas de question à vous poser. » déclara la jeune femme « Taisez donc vos secret si vous pensez que ceux qui dirigent cet endroit sont des manipulateurs dont il faut se méfier… »

Un demi-sourire de sarcasme orna un instant son visage, sourire d’ironie, mais sans gaité. Car sur le dernier point qu’elle avait évoqué, elle n’était pas bien sûre de lui pouvoir donner tort. Dans son domaine, Arkham était une grande institution, mais une institution, il ne fallait pas beaucoup de temps pour le remarquer, de l’intérieur même sclérosée. Avant même d’y endosser la blouse blanche pour la première fois, elle avait senti qu’il était, au-delà des patients et peut-être pire encore, dans sa direction quelque chose qui clochait. Le temps lui donnerait raison, bien au-delà de ses premiers soupçons, l’attristant mais sans l’étonner. Bien avant les révélations sombres sur à quel point l’un comme l’autre, auraient plutôt de l’autre côté des barreaux mérité de se trouver, elle s’était opposée déjà à l’un comme à l’autre de le direction. Plus d’une fois ils manqueraient de peu de la pousser à bout, plus d’une fois elle envisagerait d’être de ceux qui n’en pouvant plus de ne pouvoir correctement faire son métier, se tiendraient pas bien loin de claquer la porte et de s’en aller. Mais Katheleen vivait pour son métier et y tenait farouchement. Elle n’abandonnerait pas.

« Sur ce, je vous dis au revoir. » salua-t-elle en repliant son bloc-notes et ses feuilles « Aussi ironique que cela puisse paraître en ces lieux, je vous souhaite une bonne journée. »









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