Katheleen rangea dans un tiroir le dossier où les coupures de presse commençaient à s’accumuler. Même si Benjamin , son second à la clinique, s’était chargé d’une partie de ses gardes depuis qu’il avait appris que sa collègue et amie, décortiquer les feuilles de choux n’était pas une activité reposante et l’impression de ne pas avancer jouait avec ses nerfs.
Elle s'était même rendue sur les lieux où les faits s'étaient produits. Ni regarder le plan d'évacuation des lieux, ni sa visite ne lui avaient apportés autre chose qu'un profond sentiment de malaise à l'idée qu'elle avait fait le déplacement pour voir un lieu où quelques jours auparavant, on avait trouvé le cadavre d'un homme, malaise accentué par le fait que personne autour d'elle ne semblait avoir quelque pensée pour ce décès prématuré. Des badauds mentionnaient quelquefois d'un ton voyeur « l'endroit où Gordon était tombé » ou « l'endroit où Gordon avait assassiné », mais personne ne semblait se préoccuper de celui qui avait été tué.
De plus Paul, parti en vacances avec sa grand-mère parce qu’elles avaient jugé bon de l’éloigner de la ville où se tenait le procès complexe, politique et polémique dans lequel sa mère était jury lui manquait. Recevoir régulièrement des cartes postales témoignant de leur trajet - la dernière en date représentait la platitude morne de l’Iowa, un coucher de soleil au dessus d'une grange à foin et quelques fermiers assortis, avec bronzage agricole et casquette de base-ball à l'effigie d'une marque d'engrais - la rassurait mais ne comblait pas son absence.
Histoire de penser à autre chose pour se calmer les nerfs, elle dressa mentalement la liste des choses à faire dans la journée, entre deux consultations évidemment:
- Écrire à monsieur le sénateur une courte lettre très formelle pour le remercier de la généreuse contribution de sa fondation au fonctionnement de la clinique.
- Ne pas faire remarquer que cet apparent soin de la santé de ses concitoyens contrastait largement avec la manière dont il votait à propos des questions de politiques publiques de santé de l'état.
- Rester polie, courtoise et professionnelle
- Laisser un message téléphones courtois à Monsieur Cobblepot pour lui demander de bien vouloir avoir avoir l'amabilité de cesser de polluer la ligne téléphonique de la clinique avec des insanités particulièrement déplacée.
- Ne pas lui expliquer à quel point son attitude était minable et méprisable, à quel point il n'impressionnait personne à l'exception de lui même.
- Ne pas écrire, en fait de message : « Ignorez vous Monsieur qu'agissant ainsi en fait de pingouin, vous n'apparaissez que comme un dindon ? Ne comprenez vous pas que ce genre de piètre tentatives de rabaisser autrui ne font que vous écraser, vous, sous le poids de votre propre -façon de parler- vulgarité, de votre médiocrité? Savez vous a qui appartient une telle manière d'exprimer sa virilité ? Aux impuissants, aux minables et aux crétins. Choisissez.
- Néanmoins le penser très fort
- Faire en sorte que cela ne se voie pas.
- Rester courtoise, professionnelle et polie.
- Téléphoner au fournisseur de masques chirurgicaux. à propos de la commande de mai. Lui demander pourquoi ça fait quatre mois qu'elle n'est toujours pas arrivée.
- Se demander s'il est un crétin.
- Ne pas lui demander.
- Rester professionnelle, polie et courtoise.
- Régler la facture d'eau de l’hôpital
- Signer les commandes de matériel des services de toxicologie et traumatologie.
- Ne pas trop se demander comment on va pouvoir le payer (histoire de protéger sa santé mentale et d'éviter de trop déprimer).
- Quand même se le demander (c'est une nécessité)
- Demander à la femme de ménage si elle compte attendre qu'on soient tous morts avant de nettoyer les vitres de la salle d'attente et comment elle pense que l'on peut montrer que l'on fait preuve d'une hygiène et d'une propreté irréprochable avec une couche de poussière préhistorique collée sur ces putains de vitres.
- Ne pas le lui dire comme ça, et éviter de passer ses nerfs sur cette pauvre dame qui quoique légèrement agaçante par sa vague incompétence et sa légère envie de ne pas trop se fouler, faisait presque correctement son travail et n'avait rien demandé.
- Rester polie, courtoise, amicale et professionnelle.
- Laver les carreaux de la salle d'attente.
La jeune femme se leva en soupirant et resserra ses cheveux dans son chignon. La liste était faite, mais elle n'en était pas pour autant calmée. Calme, elle l'était peut être précisément encore moins qu’auparavant. Avant d'aller chercher le premier patient, elle alla se servir un café. Ça ne la calmerait pas d'avantage, mais ça au moins, c'était vaguement réconfortant.