Comme le temps passe ... Ma dernière rencontre, Cassandra. T'en souviens-tu ? Est-ce de l'amour que je ressens pour toi, ou la douce et enivrante odeur du combat ? Un combat d'une rare violence, d'une parfaite coordination, d'un équilibre pur. Combattre ma propre fille, elle qui était de mon sang, capable de rivaliser avec moi, c'était digne d'une tragédie grecque des temps anciens. Un frisson parcourut mon échine tandis que je tentais de traquer les membres de la ligue des ombres qui s'étaient dissimulés dans les égouts de Gotham City. C'était pitoyable, selon tout sens commun, ma chère Cassandra. Pitoyable de voir ces énergumènes, qui, tentaient de fuir mon courroux, tu aurais aimé voir cela, j'en suis certaine. Après tout, tu ne pouvais que partager ma haine, et ma colère, face à tous ces monstres qui nous ont façonnés. Ra's Al Ghul, Talia Al Ghul, des monstres en puissance, et je sais qu'un jour, tu les traqueras toi aussi, je le sais au plus profond de mon être, je sais que tu es en colère, que tu ne ressens que de la haine pour ces salauds. Ma pauvre Cassandra, si tu savais ... Si tu savais comme j'aimerais mettre la main sur Caïn et lui faire ressentir toute ma frustration. Ces pensées me motivaient, et dans des gestes net et concis, j'avais décidé d'accomplir ma vengeance.

Ce soir, la faucheuse est à l’œuvre. Un de mes rivaux est mort. Hao Falong, un assassin qui essayait de me faire de l'ombre, est mort ce soir. Abattu comme un chien, dans les bas-fonds de cette ville abominable. Enfin "rival" est un bien grand mot. La Lady Shiva était impossible à surpasser. Aucun homme, aucune femme n'avait le pouvoir, ni la technique nécessaire pour me mettre à terre, sauf peut-être toi, ma Cassandra. Toi seule était la parfaite némésis qui pouvait me surpasser. Alors que je regardais le cadavre de Falong au sol, je ne pouvais m'empêcher de penser à celui qui m'avait ôté cette proie. Une façon d'éliminer les rivaux n'était certes pas anodine. Généralement, c'est soit un tort, soit à ce qu'on essaie de me laisser un message, et visiblement, il n'en avait pas beaucoup fallu pour m'indiquer la direction à suivre. Les traces de la mort de Falong étaient aussi lisibles que le morceau de papier qui indiquaient le lieu de la rencontre. Il faut croire que l'on veut me parler. Il fallait bien croire aussi que tout cela puisse être un piège. Mais la Lady aimait les défis, et au fond de mon être, je ne voulais qu'une chose : savoir qui était derrière cela. Pourquoi ? Curiosité féminine, rien de plus intéressant que cela. Peut-être que j'aurais de bonnes surprises après tout ?

La rencontre a lieu dans une ruelle sale de Park Row. Un endroit que je n'affectionnais pas. De toutes manières, je n'aimais pas Gotham City en général. Ville laide, et sans aucun charisme, remplie de la lie de l'Humanité. La mort était une vieille amie, Cassandra, elle me suivait et réclamait sa dose de cadavres, elle voulait que je tue pour la nourrir et je comprenais ce besoin. Tuer vous transforme, tuer te transforme en une machine de guerre, tuer t'offre ce délice d'être maitresse de la vie des autres, un pouvoir que tu ne pourrais pas comprendre si tu t'obstines à persévérer dans la voie du Batman. Comme cela est bien fade, comme mode de pensée. Alors que j'approchais du lieu de la rencontre, je ne pouvais que sourire face à cette douce et délicate pensée. Le sens-tu au fond de toi, Cassandra ? As-tu toi aussi, l'envie de tuer ? De saisir tes victimes ? Combien de fois dois-tu te réprimer afin de garder les apparences sauves face à ton cher mentor ? Comme je te plains, ma fille. La silhouette que je suis censé rencontrer se dévoile sous la pénombre, et je ne peux étouffer un petit rire de surprise en voyant l'énergumène qui se dresse devant moi.

<< Le Red Hood. Rien que ça. >>

Dis-je, sur un air de défi, amusée par la vision d'un de mes vieux élèves. Il était étonnant qu'il soit toujours en vie. Après tout, quand je vois la façon dont il agit, façonne sa vie, je suis peu sûre de le voir atteindre les quarante années de vie terrestre. Ce petit dédain était gratuit, je te l'admets, mais c'était revitalisant et provocateur à souhaits. C'était la maitresse d'armes qui parlait. L'entraineuse ultime, la puissance qui découlait de mon aura en aurait fait trembler plus d'un. Beaucoup de ceux qui ont suivit ma voie sont morts, ou sont suffisamment ravagés mentalement pour se servir d'un pouvoir de force qui les dépassent. Une puissance sans nom, un art du combat qui se mesure grâce à une force mentale suffisante pour l'accepter. Ce n'était pas qu'un don, c'était une habileté que très peu d'élus pouvaient acquérir, même au bout de plusieurs années de combat. Reprenant, toujours ce petit sourire en biais, je reprends d'une voix calme et posée, alors que l'odeur pénétrante des poubelles dans cette ruelle s'amplifiait. Ces odeurs qui nous submergent les narines de ces émanations fétides et incongrues. Ah, la délicieuse odeur de déjection d'une ville en voie de décomposition. Et sinon ? Pourquoi, petit Todd ? Posant mon doigt ganté sur le rebord de ma lèvre, dans une moue légèrement provocatrice et amusée, je reprends une nouvelle fois.

<< Je n'apprécie pas qu'on élimine mes proies. Alors explique-moi la raison de ma présence dans cette ruelle sordide, ou je risque de passer mes nerfs sur ta carcasse défraichie, apprenti. >>

<< Ce n'est que cela ? >>

Ma déception est à la mesure de ma présence dans cette ruelle sordide et malfamée. J'ai été convoquée ... Pour si peu ? En d'autres temps, et en d'autres lieux, pour un simple affront de cette sorte, j'aurais massacré tout un temple pour cette simple offense. Une offense oui. De la part d'un gamin mal élevé que j'ai eu le malheur de devoir entrainer, pendant un temps. La Lady en moi mesure l'idée de trancher la gorge de Jason Todd pour cette simple erreur de courtoisie. Mais je n'en ferais rien. Car il n'en vaut pas la peine, au contraire, sa seule existence est une punition bien trop douce pour lui. Lui, qui n'était qu'une simple erreur. Tout en te regardant, je ne fais aucune révérence, aucune courbette, aucun geste de politesse. Je te témoigne ma colère, ma rage au travers de ce mépris amplement mérité, toi, le jeune raté. L'enfant tué par un rat souriant. Je hausse naïvement un sourcil, tout en essayant de comprendre ce qu'il désire.

<< Cela ne t'a pas suffit la dernière fois ? Après être parti à la recherche de ta mère, tu as eu l'idée saugrenue de te faire tuer par le criminel le plus minable que cette cité ait engendré. Ce qui en dit long sur ton niveau. Tant d'espoir, et une si belle déception à mes yeux. >>

Pourquoi devrais-je te faire ce plaisir d'être une invitée polie ? Je t'offre déjà mon calme et ma sérénité, et c'est déjà beaucoup trop. Je finissais par m'habituer à toi et à ta clique, celle des justiciers errants qui se prenaient pour des héros, c'était comme chaque chose désagréable que l'on rencontrait dans la vie, il fallait s'en imprégner pour que l'on ne soit plus dérangée. Malheureusement, on me rappelle un peu trop souvent que je dois subir votre caste, et cela, tant que je n'aurais pas Cassandra sous mes doigts, je devrais malheureusement composer avec eux. Je ne dis rien, je le laisse en proie à ses propres démons intérieurs. Mourir est déjà une chose, mais revenir à la vie, c'était tout autre, et je connaissais ce sentiment, grâce à ma chère fille, qui m'avait laissé en proie au Lazare, sur un croc de boucher. La mort est une vieille amie, et on apprend à la côtoyer pour mieux l'accepter. Tandis que l'ambiance se faisait pesante, je profitais, oui, je profitais de ce silence pour te torturer mentalement, tout en te fixant. Je donnerai cher pour connaitre tes pensées, Jason. Je donnerai cher pour savoir ce qui t'étreins en ce moment-même. Comment interprêtes-tu mon long et terrible silence ? Une marque de peur dans tes pensées ? De l'inquiétude ? Ou du désintérêt ? Je me fiche de savoir ce que tu penses, je veux que tu saches que cette information que tu recherches, je l'ai, et que je ne suis pas quelqu'un qui peut être facilement manipulable.

<< J'ai l'information que tu cherches. Ne t'attends pas à ce que je te la donne de bonne volonté. Je ne suis pas Cobblepot. Tout se marchande, et je ne crois pas que tu ais quelque chose de réellement important à m'offrir. Une mercenaire à ses prix, et celle que tu as en face de toi t'est clairement hors de prix. Même la fortune de Luthor ne pourrait même pas te permettre de m'avoir pendant une journée. >>

Dis-je d'une voix directe et sans émotions dans la voix. Intonation impérative et légèrement méprisante au vue des efforts qu'il avait fourni. Sous ses airs de petit rebelle, se cache l'âme d'un enfant sans père, sans famille, sans rien. Un simple gamin des rues que le caprice du destin a mis sur la route du Batman. Sans cela, il ne serait qu'un drogué de plus dans cette ville infecte, et à l'heure qu'il est, il serait déjà dans une fosse commune. Au contraire, Jason devrait baiser les pas de son mentor pour l'avoir sorti de l'avenir merdique qu'il lui avait retiré. Je me fichais de savoir si ça le dégoutait, où si ça pouvait l'offenser. Il n'est pas en position de force, et je pourrais très bien, montrer pire qu'un simple dédain affiché. Je préfère ne pas lui donner cette satisfaction. Non.

<< Tu me fais perdre mon temps, et je ne vois pas ce que j'ai à attendre de toi. >>

Mais même avec mes propres serviteurs, même avec certains de mes contacts et avec certains de mes clients, je montrais ce dédain particulièrement affiché. Et je préférais montrer cette haine, cette colère, plutôt que de me montrer ... Peu professionnelle. Je me prépare à faire volte-face, pour quitter cette ruelle, peut-être que le garçon a quelque chose à m'offrir, ce dont je doute. Une petite pique bien sentie. Cette rencontre est houleuse, mais je m'y étais préparée, même si je préférais que cela fusse un piège de la ligue des ombres, au moins, j'aurais eu la chance de faire couler le sang. Lorsque je vis Jason, je savais bien que ce serait difficile comme discussion, tu t'en doutais bien n'est-ce pas ? Pour le moment, tu ne m'offres aucune clause, aucune assurance qu'il n'y a pas un poignard qui m'attend au dernier moment. Les choses sont ce qu'elles sont, il est très difficile pour moi d'accepter que tu as été un de mes élèves. Pire encore : Un homme qui aurait été un des meilleurs, et qui au final, se lance dans une croisade pitoyable, dans une vie à niveau égal. Je te montre mon dédain, car même si tu as eu mes enseignements, tu n'es clairement pas digne de voir ton nom sortir de ma propre bouche. Un dernier regard pour le Red Hood, presque comme si tu m’écœurais.

<< Une telle force de vivre, gâchée. >>

Je hausse un sourcil d'intérêt. Tu me fais presque même sourire, quand je t'écoute éructer ta dernière phrase. Toi ? Arriver à me battre ? Encore faudrait-il que tu puisses cacher tes émotions, ce qui n'est hélas, pas de ton acabit. Même ton mentor a du mal à me combattre, pourquoi serais-tu meilleur que lui ? Un maigre sourire s'efface de mes lèvres avant que je ne le toise à nouveau. Droit dans les yeux. Pour la première fois de la rencontre, il semblait que la voix de la Lady s'animait. C'était un ton de défi qui se dessinait dans le timbre qui animait ses mots. La Lady Shiva s'éveillait, et Sandra Wusan s'effaçait à nouveau. Vous n'imaginez pas où je pourrais aller pour satisfaire le moindre de mes caprices de vengeance. On ne pouvait pas décemment prendre une décision en quelques secondes, mais j'étais du genre impatiente, et je n'avais pas d'état d'âme pour les pensées et les rêveries d'un homme.

<< Souhaites-tu vraiment que je te casse les deux bras pour t'apprendre le respect, mon garçon ? Ne t'ai-je donc rien appris ? >>

Le Red Hood avait temporairement séjourné à Nanda Parbat, comme moi, nous n'étions pas si différents, seulement, tu avais tes propres armes, Jason, et je ne suis pas sûre que nous arriverons à nous entendre aussi facilement que tu l'espères. Nanda Parbat, ce lieu rempli de doux souvenirs d'apprentissage ... C'était une toute autre histoire, mais en initiée passée maître, Shiva avait elle aussi pu y séjourner, mais ce qui se déroulait à Nanda Parbat, avait à y rester : ce que chacun y retirait était différent, car l'enseignement que l'on y dispensait était par-dessous tout une voie de connaissance. Un enseignement qui, après tout, se révélait aussi séparé de la réalité que la cité elle-même, et qui expliquait sûrement son statut.

<< J'admire les guerriers. J'admire ceux qui sont prêts à se sacrifier pour la poursuite d'un idéal, et j'ose espérer que toutes ses années passées à pratiquer les arts martiaux me permettent encore de lire sans peine une personne, sitôt qu'elle met sa vie sur le fil. Mais tu n'es clairement pas de cette trempe. Tu n'es qu'un enfant. Te tuer te rendrais service, et je n'aime pas écraser les limaces. >>

Dois-je te rappeler que j'avais massacré tout un régiment de moines guerriers qui m'avait offert des roses blanches, la couleur du deuil dans mon pays ? J'avais commis un massacre, pour cette simple raison, si futile, et si fugace pourtant ... Est-ce vraiment ce dont tu es capable de m'offrir à moi ? La plus puissante des tueuses que cette Terre n'ait jamais vue ? C'était pathétique. J'oserais bien t'enfoncer un peu plus, histoire de te noyer dans tes propres erreurs, mais ce serait peut-être grossier de ma part ? Et pourquoi devrais-je faire tant de chichis envers toi, mon cher Jason ? Tu n'as jamais réussi à vraiment t'affirmer, tu n'as jamais été qu'une suiveur, incapable de prendre le temps de préparer une attaque et de prendre toi même des opérations personnelles. Toujours à écouter la voix du maitre, n'est-ce pas ? Toujours à écouter bêtement ce que le loup te dit, avant qu'il ne se décide à te dévorer. J'aimerais pouvoir t'en remettre un peu de plomb dans le crâne, mon jeune garçon, mais sache que tes élucubrations ne m'atteignent pas. Nous sommes tous les deux plongées dans une guerre froide, et je ne compte pas te donner satisfaction, à moins peut-être de voir un prix des plus intéressants.

<< Tu veux un nom. Moi, je veux ma fille. Échange de bons procédés. >>

La confiance, une bien triste excuse quand on est mal perçu par beaucoup, et tu me déçois pourtant, Jason. Tu étais promis à un destin bien plus charitable que le mien, et pourtant, tu t'es laissé influencer et tu as suivit une voie qui était plus sombre que tu n'aurais dû suivre. C'est bel et bien la confiance en toi qui te fait défaut, je ne peux décemment pas croire en tes paroles pleines de fiel et de sous-entendus. Tu es semblable au serpent, qui charme sa victime avant de la resserrer dans ses plis. Tu es dangereux, et je ne peux décemment pas croire en toi. Néanmoins, j'ai une quelconque peine pour toi. Tu es bien plus une victime des agissements de la ligue des ombres que tu ne veuilles l'admettre. Tu es une victime et tu as souffert de tant d'erreurs personnelles. Quelque part, j'avais un peu de pitié pour toi. Pitié dans le sens ou ton propre destin ne te suit même pas. Tu erres, comme une âme en peine, attendant de rencontrer ton destin au coin d'une ruelle sale. Tu erres, comme un fantôme, car tu n'es rien d'autre que cela. Personne ne peut prétendre disparaitre, non, personne ne peut fuir ses responsabilités, un jour où l'autre, on est toujours confronté à son maitre, qu'importe le prix, qu'importe la fuite, nos responsabilités nous suivent toujours.

<< Talia al Ghul. >>

Un petit rire, à peine discret dans ma voix, dans ces paroles. Talia al Ghul, rien que ça. Je préférais ne pas relever ce genre de détail. Comment peut-on accepter une telle servitude en devenant le petit roquet d'un autre petit roquet ? Il était de nature publique au sein de la ligue des assassins, que Talia al Ghul n'avait pas la crédibilité nécessaire, face à son père, pour imposer face à certains criminels. J'étais comme ça autrefois, quand Ra's était au sommet de sa puissance, puis, le vieux démon a commencé à perdre de ses plumes, et la chaine s'est cassée. Irréparable. Mais toi, Talia, toi ... Tu approches tel le serpent vers l'oiseau, et cette pensée ne me parut pas déplacée. Tu avais le verbiage, et l'intelligence nécessaire pour avancer tes pions sur un échiquier branlant. Et ton meilleur pion, c'était cet ersatz d'être humain qui se tenait devant moi. Face à moi, me défiant et me provoquant, tel un kamikaze prêt à fondre sur sa cible. Il a entendu ce que je désirais : avoir un contact avec ma fille, être près d'elle, et la voir enfin. Cassandra, ma propre fille. Ma seule faiblesse au fond. Ma seule ... Faiblesse oui. C'était bien ce mot que je cherchais au fond de moi.

<< Le meurtrier de ton père travaillait pour le criminel répondant au nom Harvey Dent à l'époque. Mais tu dois le connaitre sous le nom de Pile-ou-Face. >>

Juste un simple indice, pour le moment, histoire d'aiguiser ton appétit. Mais je n'oublie pas qui tu représentes derrière cette façade. Tu n'es que le représentant de Talia : une tueuse froide, sans cœur, et qui n'éprouve pas plus de sentiment que moi. Nous nous sommes rencontrées dans cette froideur, nous connaissions notre rôle, et nous avions fait des choses terribles. Monstrueuses et terribles. Mais nous l'avions fait à la gloire du démon, uniquement pour le servir. Et qu'est-ce que cela nous a apporté ? Des regrets. Rien de plus. Souriant, amusée par l'ironie du destin d'être placée sur le même chemin que mon ancien élève, je repris d'une voix plus calme. En bon terme, essayons. C'est un échange de bons procédés, après tout ? Non ? Tel père, telle fille, disait-on, est-ce que cela peut s'appliquer à ma chère et petite Cassandra qui m'avait combattu il y'a quelques jours de ça ? Il serait amusant de la revoir et de comparer son état d'esprit par rapport à celui de Caïn. La pensée me fit sourire. Je ne crains pas la fille du Démon, mais je peux craindre le courroux de son père. Ra's Al Ghul était dangereux, et il en savait plus sur moi que sa propre fille n'en savait. Mais j'avais, moi aussi, un atout dans ma manche, et j'attendais le bon moment pour le saisir. Me prendre sur la corde sensible du passé n'était pas une chose à faire. C'était à cause de Ra's Al Ghul que j'avais suivi la voie du crime. C'était à cause de Ra's Al Ghul que Caïn m'avait violé, et m'avait forcé à enfanter de Cassandra, et après ? Qu'avais-je à faire ? Rester une souillon à Singapour tandis que la balafre sur mon corps me hanterait toute ma vie ? Non. J'ai décidé de forger une nouvelle identité, et indirectement, j'ai suivi mon bourreau, l'homme qui m'avait façonné, qui m'avait construit. Tu ne peux pas le comprendre, Jason.

<< Je sais que Cassandra est de retour à Gotham City, et qu'elle opère sous le nom de code Orphan. Je veux le lieu qu'elle fréquente le plus. >>

Elle était la Lady Shiva, l'unique, elle avait grandi, elle avait évolué, et elle ne pouvait laisser de place aux théories. Si ma première impression me confortait dans ce que tu avançais, Jason, je ne pouvais laisser de place à l'incertitude. En jouant sur cette infime corde sensible, et ce en dépit-même des mises en garde que je t'ai octroyée, tu avais marqué des points, sur un tableau invisible qui ne s'affichait certainement pas sur le visage encore parfaitement neutre de cette dame de fer aux yeux en amandes que tu fixais de tes yeux, jeune homme. Tu n'étais qu'un pion, et même si tu avais faillis me pousser à bout, de colère, te tuer ne rimait à rien. Mais je suis sûre qu'il y'a beaucoup de gens en ville qui rêveraient de mettre la main sur le Red Hood. Peut-être que je te tuerais, si la prime est assez éloquente à ton sujet. Après tout, j'aime être maitresse de ce destin que je façonne, comme je le dis souvent. Histoires, insultes voilées et déceptions révélées glissaient sur moi comme le vent sur le roseau par une sombre nuit de tempête. Pas une réaction, pas une respiration déplacée comme il n'existait pas un grincement de plainte. Rien. Une absence totale d'émotions émanait de mon visage. Et n'espère aucune réaction hostile. Au moins, les choses sont dites entre nous. Cassandra était ma priorité. Oui Jason, tu te sens peut-être conforté par l'idée d'avoir trouvé une faiblesse, mais il y'a quelque chose que tu as omis de penser. Cassandra était ma fille. Et elle serait une arme conçue pour te détruire. L'œil de la tueuse experte, celui qui ne voyait pas une personne, mais mille et un points de vulnérabilité, auscultait silencieusement, jaugeait ce jeune homme d'un regard de louve, prête à fondre sur sa proie.

<< Comme toujours, échange de bons procédés. Une info pour une info. Et gare à toi si tu oses me mentir. >>

L'intonation dans la voix était perceptible. Colère et suspicions ne font jamais bon ménage. La douleur était présente au fond de mon être ... Cassandra ... Tant d'années passées, et douloureuses furent nos retrouvailles. Je réfléchissais à mille et une possibilités. Qu'allait-il se passer ? Le Batman te protégerait-il de la fureur vengeresse de la ligue des ombres ? Quelque part, je l'espérais, mais il était important que je me mêle de cette histoire. Il fallait que je prenne mes précautions, surtout avec la ligue des ombres. C'était bien cela qui avait été la première et l'une des plus essentielles leçons de mon existence : ils sont bien nombreux, ceux qui tenteront de vous manipuler, et il faut bien vite apprendre à les reconnaître, pour ne plus tomber dans leurs manigances. Lady Shiva avait parcouru le monde, elle avait rencontré bien des personnages, bien des caractères, elle en avait confronté autant, et en avait vaincu de très nombreux. De ceux-là, il ne restait que peu de place pour la sympathie, car l'immense majorité d'entre eux étaient souvent parfaitement abjects. Et Jason Todd avait hélas, rejoint le pot pourri. Là où j'avais vu un élève à Nanda Parbat, je ne voyais plus qu'une énième ordure qui n'avait aucune personnalité à son actif.

"Voila qui est fâcheux."

Tranchais-je de ma voix, pour briser le silence perceptible dans cette nuit délicieusement enivrante. Sentir l'odeur de l'été, cette impression de savoir que le temps changeait, plus chaud, plus agréable. Ce petit vent inspirait déjà des heures, des nuits plus agréables, plus chaudes, plus sensuelles. J'avais besoin de te rejoindre, ma très chère fille et malheureusement, le Red Hood se dresse entre nous pour m'empêcher de t'approcher. Il n'est pas difficile de te cerner, et de te voir approcher. Tu es bruyant, dans ce silence qui m'entoure. Grossièrement repérable aussi, dommage que tu ne préfères pas venir dans ce monde merveilleux que je veux t'inculquer, un monde de classe, de culture, et de douceurs élitistes inégalées. Ô Cassandra, si tu savais ... Mais par la plus grande des chances, je suis de retour dans cette ville, pour toi, et toi seulement ... Et je sais comment te cerner désormais. Après tout, tu es mon sang, ma fierté, ma fille. Et même te voir si faible en ce moment, me donnait l'envie de te hisser vers ce qu'il y'avait de mieux pour toi. Tu méritais mieux que d'être une élève en perdition, dans une ville vouée à l'auto-destruction. Mais tu m'amuses, pour le moment ... Tout comme ces gens qui se pavanaient à l'intérieur de ce musée. Ces gens incultes qui ne comprenaient pas ce que signifiait réellement l'art, ils ne connaissaient que les bribes qu'ils avaient lu dans des livres faits par des gens pleins de bruits et de fureur. Ils ne prenaient jamais le temps de comprendre, de ressentir. Ils se prenaient pour des érudits, des gens cultivés, alors qu'ils effleuraient à peine la croute des peintures qu'ils admiraient. Drôle mais pertinente image n'est-il pas ? Avec un sourire, je reprends doucement notre petite discussion, mon cher Jason, j'aime y mettre les formes, surtout quand il s'agit de discuter avec ma progéniture. Cependant, nous voila interrompus. Par la plèbe, naturellement.

"Doublement fâcheux. Des amis à toi, Red Hood ?"

Un sourire perle sur mon visage. Il était évident que ces abrutis, armés de sabres, ne savaient pas à qui ils avaient vraiment affaire. Mes poings se ferment, mes pieds se figent sur le sol dans une posture prête à bloquer la prochaine attaque, tandis que je relève la tête, plongeant mon regard dans le tiens. Le visage d'une machine. Les bras écartés et les jambes arquées, il n'aurait pas fallu être un grand connaisseur pour y voir là-dedans la posture d'un oiseau de proie prêt à fondre sur sa cible. Un oiseau de proie qui savait pertinemment ce qu'il lui restait à faire. Il faut croire que la chenille s'est muée en un merveilleux papillon. Peut-être que tu vois enfin le plein potentiel que tu mérites d'avoir, Red Hood. Peut-être même que tu me surprendrais. D'un sourire, légèrement moqueur, je me plante devant les imbéciles qui osent interrompre la conversation.

"Des candidats au suicide. J'espère que vos affaires sont en ordre, je me ferais une joie de vous offrir une mort lente et douloureuse à souhait."

Un maigre rictus s'étire sur le coin de mes lèvres tandis que je me lance à corps perdu, dans une technique qui s'annonce complètement compliquée. Trois enchainements techniques, une qui sera naturellement parée, une seconde qui sera elle aussi parée, assez facilement. Une troisième qui offrira une belle diversion, et enfin, le coup de poing final qui touchera l'abdomen de manière assez violente du premier gaillard qui tentera de m'attaquer. Je pourrais bien sûr, tous les tuer en quelques secondes, mais où serait l'adrénaline de la chasse ? L'envie de les traquer comme des chiens et de les briser, les uns après les autres ? Où serait cette délicate et délicieuse sensation ? Une technique mise au point à Nanda Parbat. Voila ce que je souhaite aussi te montrer Jason, ce destin de peur que tu t'es toi-même refusé. Tu préfères les armes et la discrétion, tandis que j'épousais la mort au quotidien. Je te montre qui je suis, ce que je représente : la ligue des Assassins. Dure, tranchante, et horrible. Je fais craquer mes poings alors qu'elle est vulnérable, je me calme sur mon combat, et je montre que je peux être juste et magnanime. Une assomption présomptueuse tant je répugnais d'ordinaire à l'usage de la poudre et des projectiles. Les armes ne m'avaient jamais intéressées, sauf peut-être les katanas ... Marchant doucement à reculons, un sourire sur mon visage, je commence à prendre mes distances. Je me détache de toi, je me fonds dans les ténèbres de ce lieu. Après tout, je suis la reine de la Ligue des Assassins après tout. Je sais quand je dois agir, et quand je dois me montrer. Il est facile pour quelqu'un comme moi de devenir un morceau de l'environnement. Et le lieu était assez sombre pour que je fasse de cette obscurité, de cette pénombre, ma force. Batman en avait certes adopté les codes, mais Lady Shiva en avait fait son terrain de jeux. Et il serait facile pour moi, de vaincre le Batman. Seulement si moi, je le désirais. Alors que je me faufilais dans les ombres, je surgis aussi rapide qu'un chat, sur ma première victime avant de lui briser la nuque. Le cadavre tombe, à terre, il a eu une mort rapide.

"Ce sera le seul à ne pas avoir vu la mort de face. Pourrez-vous en dire autant ?"

Que le spectacle commence. Toujours ce sourire en coin, je m'amusais de cette petite broutille ridicule. Avaient-ils vraiment une chance ? Je m'entraîne pour cela depuis mon âge le plus tendre et j'avais l'expérience derrière moi, et beaucoup moins de retenue. Je me rappelle même avoir échanger des coups terriblement durs avec ma sœur avant même d'apprendre à lire. J'étais la combattante le plus puissante du Monde, celle devant laquelle même Batman s'inclinait et venait chercher conseil. La flagrance entêtante du jasmin que je porte en guise de parfum est toujours présente et le sourire toujours collé aux lèvres, je ne pouvais m'empêcher de m'épandre. Ma tactique était la totale et complète destruction de mon adversaire : une victoire physique et psychologique.

"De la galanterie. Voyez-vous ça."

Dis-je, sur un ton assez taquin, amusée par la petite mise en bouche offerte par ce divertissement impromptu. Qu'importe que le Red Hood se soit fait des ennemis. Nous en avions tous, après tout, et cette ville pouvait très bien revenir nous hanter, à la manière d'un passé qui nous colle un peu trop à la peau. Tuer vous transforme, tuer te transforme en une machine de guerre, tuer t'offre ce délice d'être maitresse de la vie des autres, un pouvoir que tu ne pourrais pas comprendre si tu t'obstines à persévérer dans la voie du Batman. Comme cela est bien fade, comme mode de pensée. Le premier que j'avais tué avait semé une flagrance d'effroi dans le regard de ces hommes. Red Hood daigna m'en offrir trois, trois qui satisferont le besoin de sang dont j'avais besoin de faire couler. Me dirigeant d'un pas assuré vers le deuxième, j'esquivais une de ses attaques, offrant un sourire amusé, devant cet homme qui se trouvait devant une légende du combat au corps à corps. Le second fut plus dur, oui, plus entrainé, plus attentif que le premier, mais un coup dans la jambe de mon poing, et l'os est brisé, sortant de la peau et le sang coule dans cette ruelle sale. L'homme hurle, et je lui accorde la mort, une mort violente, et méritée. Il a souffert, et les dernières secondes de sa vie furent violentes. Cela ne m'en dit pas plus sur les hommes qui rôdent dans les rues de Gotham City à cette heure, ni pourquoi ils m'en voulaient aussi. Mais qu'importe. Je n'ai pas besoin de réponses. J'ai besoin d'assouvir mes pulsions les plus violentes en cette heure.

"C'est tout ce dont vous êtes capables ?"

Réprimais-je ainsi les deux restants, qui n'offraient visiblement pas un combat très égal. Ils avaient l'air de novices. D'idiots utiles. Le regard relevé, mes yeux plongeant droits dans les leurs, j'esquisse un léger sourire tout en écartant une mèche de mes cheveux qui me cache parfaitement la vue du côté gauche. M'avançant vers le troisième larron, je ne pouvais qu'être déçue d'une telle prestation. C'était d'un pitoyable à vrai dire. Ah ? Tiens ? Une posture défensive. Amusant. Se protéger de Lady Shiva, quelle impudence ! Mon sourire s'élargit, révélant de jolies dents biens entretenues et blanches, alors que je m'approche de toi, te fixant droit dans les yeux, un duel de regard, quelle outrecuidance, mon cher inconnu. Tu sembles tellement ... Fier de toi. Fier de ce que tu crois représenter. Voila qui s'annonce des plus amusants. Le Red Hood semble satisfait de cet état. Tu m'amuses, comme tous tes petits amis. Mais qui serais-je pour me lancer dans une telle vindicte sur les habitudes nocturnes des chevaliers de la nuit ? Après tout, je suis moi aussi une vampire de la nuit. Une maitresse régnant sans partage sur un monde de noirceur, et de mort. Je suis Lady Shiva, après tout. D'un ton dédaigneux, je lance au Red Hood.

"C'est vraiment tout ce que cette ville peut offrir ? Je me sens humiliée."

D'un ton dédaigneux, je n'avais aucune pitié, et encore moins d'intérêt pour la vie de ce genre de racailles pitoyables. L'homme qui s'était tenu en position défensive avait pris de plein fouet une contre-attaque, et je venais de lui perforer le poumon grâce à l'une de mes techniques. Le voila à genou, à mes pieds, retirant son bandeau pour cracher une quantité de sang impressionnante. Oh, ce n'était pas contre toi, jeune étranger, mais ceux qui se dressent sur ma route ont une soudaine maladie : celle de se retrouver étendus comme des cadavres. Et puis, j'aimais bien instiller la peur dans les yeux de mes adversaires. Du Tibet à Gotham City, on connaissait la légende de Lady Shiva. Du moins, les profanes et les novices dans le monde de l'assassinat, naturellement. Pas de chichis entre nous, je préférais le franc parler, et de toutes manières, quoiqu'il puisse arriver, j'étais sa supérieure dans les domaines du combat, dans les domaines de prédiction des actes potentiels de mes ennemis. Une force puissante, savamment dosée, mais je n'étais rien, face à la tornade que deviendra ma propre fille quand elle acceptera d'embrasser son destin. Un destin qui lui échoira un jour où l'autre, un jour où elle sera lassée de voir que le détective se rate dans chacune de ses actions, que son combat reste vain en toutes sortes. Alors que je termine le dernier en lui brisant la nuque, mais le laissant quand même en vie pour qu'il puisse souffrir longtemps avant de mourir, je m'amuse tout en provoquant légèrement ce cher Jason.

"Voyons, Red Hood. Ta jambe est peu fléchie, et ta garde n'est pas assez haute. Ce n'est pas comme ça que tu arriveras à parer le moindre coup, jeune homme. Tu as besoin d'entrainement, et tu ne sembles pas être un élève consciencieux, comme toutes les américains."

Ce petit dédain était gratuit, je te l'admets, mais c'était revitalisant et provocateur à souhaits. C'était la maitresse d'armes qui parlait. L'entraineuse ultime, la puissance qui découlait de mon aura en aurait fait trembler plus d'un. Beaucoup de ceux qui ont suivit ma voie sont morts, ou sont suffisamment ravagés mentalement pour se servir d'un pouvoir de force qui les dépassent. Une puissance sans nom, un art du combat qui se mesure grâce à une force mentale suffisante pour l'accepter. Ce n'était pas qu'un don, c'était une habileté que très peu d'élus pouvaient acquérir, même au bout de plusieurs années de combat. Reprenant, toujours ce petit sourire en biais, je reprends d'une voix calme et posée, alors que l'odeur pénétrante des égouts nous submergent les narines dans cette ruelle, de ces émanations fétides et incongrus. Ah, la délicieuse odeur de déjection d'une ville en voie de décomposition. Et sinon ? Et si tu me montrais de quoi tu es capable, Jason ? Vas-tu continuer d'encaisser mes insultes ? Je suis curieuse ...