Cassidy avait escaladé l'échelle sociale avec une aisance déconcertante. Passer du statut de simple cobaye en laboratoire à celui de fils adoptif d'un politicien était un exploit dont peu pouvaient se vanter. Beaucoup auraient envié sa position privilégiée. Mais malgré les apparences flatteuses, l'adolescent était lucide sur la réalité de sa situation. Son quotidien n'était en rien aussi idyllique qu'on voulait le faire croire. Dans cette prison dorée, le jeune télépathe se morfondait, conscience aigüe de l'isolement et des faux-semblants qui l'entouraient. Il avait fait cent fois le tour de la propriété, du moins les rares pièces où il avait l’autorisation d’accéder. Pour se distraire, on ne lui avait offert qu’une option, celle des études. De nombreux bouquins d’éducation remplissaient ses armoires. Cassidy n’avait pas remis les pieds dans une école depuis son enlèvement, il n’avait que treize ans et beaucoup de retard à rattraper pour égaler le génie de son père adoptif.

Il fallait tout reprendre de zéro. L'orphelin se retrouvait à réapprendre les bases : lire, écrire, et même parler une nouvelle langue pour en faire sa langue maternelle. Cassidy était doué pour assimiler rapidement, pour peu qu'on trouve la méthode adéquate pour le motiver. Bien qu'il ait considérablement amélioré sa compréhension, il commettait encore quelques erreurs de conjugaison et de syntaxe en s'exprimant. Ses compétences en lecture et en écriture restaient assez rudimentaires, la conjugaison n'était pas son point fort, mais il se débrouillait plutôt bien en mathématiques. Cassidy trouvait un réel plaisir dans les cahiers remplis de jeux de logique. Sa capacité à élaborer des stratégies était ce qui le distinguait le plus. Il avait déjà prouvé à de multiples reprises qu’il était un petit malin avide de liberté. Peu de temps après avoir été expatrié de l’asile d’Arkham, il avait réussi à fuguer de la maison pour retourner auprès d’Elio, le temps de quelque jours avant d’être rattrapé par le GCPD. La sanction avait été assez sévère pour qu’il ne tente pas une nouvelle évasion.

Depuis les récents évènements, l’étau s’était encore un peu plus resserré pour Cassidy. Il n’avait pas besoin d’être bilingue pour sentir la tension grimpée chez son père adoptif. D’abord le gala qui s’était transformé en véritable règlement de compte et retour de bâton, puis il y avait eu cette histoire avec une cour qui réclamait la mort de Strange et maintenant ce cambriolage. Grâce à ses dons, le jeune télépathe avait réussi à maquiller le sauvetage des justiciers de Gotham en simple cambriolage. Nightwing lui avait confié des gadgets pour le contacter en cas de danger. Jusqu'à présent, l'adolescent n'avait pas eu recours à cet émetteur, préférant éviter tout contact avec son père adoptif. Cassidy se retranchait dans sa chambre, feignant une intense concentration sur ses études pour détourner l'attention et la frustration de Strange. Lorsqu'on tentait de le contacter, l'adolescent prétendait une incompréhension linguistique dans l'espoir que le manque de patience de son père adoptif le dissuade de toute tentative de dialogue. Jusqu’ici, il avait la sensation que cela avait marché.

Ce soir-là, il était descendu de sa chambre pour se rendre dans la salle à manger. A cette heure-ci, il y avait cette petite boîte en plastique qui renfermait ses médicaments. Cassidy les prenait sans broncher, du moins c’est ce qu’il voulait leur faire croire. Il analysait toujours l’intérieur de la boîte, avalait ce qui semblait être son traitement antiépileptique et recrachait un peu plus tard les gélules suspectes. Aujourd’hui, il n’y avait rien sur la table, l’adolescent passa en coup de vent, prétextant vouloir donner quelques gratouilles sous le menton de Perséphone, l’animal de la maison avant de retourner dans sa chambre d’un pas très actif. Il monta les escaliers tel un athlète pour regagner sa chambre.

Sa demeure était toujours aussi impersonnelle qu’au premier jour. La fatalité avait emmené Cassidy à rajouter quelques touches personnelles. Des fringues en bouchon, une armoire mal rangée, des baskets qui trainaient à l’entrer, un lit mal fait, des feuilles blanches griffonnées de dessins, des livres à peine entamés. Dans la salle de bain, l’adolescent jeta un rapide coup d’œil dans la cloison juste derrière l’évier. Il y avait creusé un trou pour cacher ses objets interdits, l’écouteur de Nightwing, le GPS de Red Robin et un couteau qu’il avait volé dans la cuisine. Tout était à leur place pour autant, Cassidy avait toujours ce mauvais présentiment au fond de sa gorge.

Les miaulements de Perséphone alertèrent l’orphelin qui avait abandonné sa place dans la salle de bain pour se jeter sur son bureau et jouer les étudiants modèles. Perséphone se faufila dans la petite ouverture qu’il avait laissé entre la porte et son verrou, elle venait voir si son patient préféré allait bien. Elle avait été éduquée pour détecter et gérer les crises épileptique de l’adolescent. Il baissa les yeux vers elle avec une légère grimace qui aurait pu se traduire par un sourire.

« Это только ты, да? » demanda-t-il à l’animal.

Perséphone fit son entrée de princesse, dandinant ses pattes arrière pour se rapprocher de l’adolescent qui l'observait depuis son bureau. Sa simple présence captivait son attention bien plus que l'exercice de mathématiques devant lui. Elle miaulait légèrement, comme pour saluer l’orphelin et égayer sa journée morose, remplie d’activités intellectuelles et légèrement vides de sens. S'étirant de tout son long, elle posa ses pattes sur la chaise de bureau, ronronnant et enfonçant ses griffes dans le tissu du dossier. Elle était toujours là lorsque Cassidy avait un coup au moral ou lorsqu’il sentait une crise se profiler. Elle était la seule résidente de cette prison dorée dont la présence ne lui inspirait pas un profond dégoût et une haine viscérale. Le télépathe lui accorda quelques caresses au-dessus de son crâne et la laissa grimper sur ses genoux pour s’en servir comme d’un oreiller confortable.

Elle était là pour prévenir d’un stress, comme celui provoqué par les bruits de pas dans le couloir se rapprochant dangereusement de sa chambre. Jusqu’ici, Cassidy avait toujours cherché à fuir son père adoptif, surtout depuis l’affaire du cambriolage. Il profitait de sa santé mentale vacillante pour faire croire que cette situation l’avait profondément perturbé et qu’il avait besoin d’être seul pour gérer ce stress fictif. L’adolescent se jeta sur son bouquin d’équation du second degré pour jouer les enfants modèles lorsqu’on est venu frapper à la porte. Son sang ne fit qu’un tour, son rythme cardiaque s’accéléra. Il est là, juste en face de lui, il ne peut plus le fuir. Cassidy soupira et leva les yeux vers lui, son père adoptif. Allait-il lui demander un autre service, entrer dans l’esprit d’un politicien, localiser une cible, manipuler mentalement un opposant ou un prisonnier ? L’adolescent détestait ses pouvoirs aussi fascinant que dévastateur tant sa stabilité et sa force était imprévisible. Il refusait très souvent de s’en servir et devenait agressif lorsqu’on le forçait.

Strange avait décidé de jouer la carte des pères soucieux et attentionné du bien-être de leur enfant. Le jeune russe redressa un sourcil, surpris par cette demande, il cherchait le traquenard derrière cette invitation. Il jeta un léger coup d’œil en direction de la fenêtre de sa chambre qui donnait une vue panoramique sur Gotham City. La vue était obstruée par des barreaux verrouillant la seule issue de secours. Cassidy sortait seulement pour les visites officielles, quand il fallait faire bonne figure et faire passer Hugo Strange pour un saint qui, malgré son passé douteux, avait la capacité de prendre soin d’un enfant difficile, atteint de trouble mentaux.

Cassidy se souvenait vaguement de ses dernières interactions avec des personnes de son âge, c’était il y a des années, lorsqu’il était encore à l’orphelinat. L’adolescent était le plus ancien pensionnaire de l’établissement, il défendait les plus vulnérables. Il ne craignait pas de foncer dans le tas, c’était un enfant bien différent de celui qui se trouvait en face de Strange. Les premières semaines enfermés à l’hôpital avait eu raison de son caractère. En attendant de se faire charcuter par les scientifiques, les adolescents sélectionnés passaient leur journée dans une salle commune où on leur fournissait de quoi occuper leur esprit intellectuel. Cassidy avait déjà commencé à montrer des signes inquiétants. Il passait ses journées recroquevillés dans un coin, il n’était plus que l’ombre de lui-même.

Le seul qui n’avait pas réellement abandonné l’adolescent était son meilleur ami. Il faisait également partie des enfants qui avaient été vendu à ce laboratoire, parmi les vingt-cinq sur la liste. Alekseï Orlov avait deux ans de plus que lui, une grande gueule et un désir de vengeance insatiable. Même si Cassidy n’était plus d’humeur à parler, il pouvait parler pour deux, être présent aux côtés de son ami et le comprendre en un seul regard. Il était son confident et le premier à avoir compris pourquoi certains gardes s’acharnaient sur Sverdlov, fils d’un traitre. Il avait pris tous les risques pour sauver le télépathe mais n’a finalement pas survécu aux expérimentations.

Les mois ont défilé et les adolescents qui avaient survécu aux expérimentations n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes. Contrairement à Cassidy, leurs neurones avaient été grillés, il n’y avait plus grand chose d’intéressant à en tirer, le jeune télépathe s’était laissé emporté par la solitude et ses pouvoirs n’avaient pas aider. Son instabilité avait déjà provoqué par beaucoup de dégâts dans la psyché de ses victimes. Il n’avait été entouré que de scientifique opportuniste qui le considérait comme une arme qui pouvait leur apporter tout leur désir, dont le pouvoir.

Pendant quelques secondes, Cassidy s’était perdu dans ses souvenirs et la perte dramatique de son meilleur ami. Craignant une nouvelle tentative de manipulation, l’adolescent secoua la tête pour chasser ses faiblesses et les camoufler derrière cette carapace qu’il s’était forgé après des années de maltraitance. Il redressa sa tête pour laisser apercevoir ses pupilles radioactive, toujours aussi hypnotisant et remplis de mépris. Au fond, il y avait toujours quelque chose de mauvais derrière cette bonne intention. Il ne fallait pas baisser la garde. Strange sentait l'alcool à plein nez, Cassidy est sous la défensive.

« Qu’est-ce que tu veux ? Pas faire semblant. Tu ne viens que pour toi. Aller droit au… but. » La syntaxe n’est pas toujours correcte, son accent russe ressort à chaque mots. « Pourquoi tu demandes ça ? Tu... pues l'alcool. »

Cassidy avait développé un self-control assez puissant pour ne pas essayer de sauter à la gorge de son tortionnaire pour lui briser la nuque. Depuis bientôt un an, l’adolescent est enchaîné à ce psychiatre avide de pouvoir. Les premières mois, il était animé par une soif de colère qui ne pouvait s’estomper que par le sang de son tortionnaire. Le temps avait eu raison de sa détermination, la raison avait prit le dessus. Le télépathe avait progressivement changé de comportement pour retrouver une âme stratégique et rusé. Le changement d’environnement avait joué sur cette métamorphose. Pour espérer se libérer de ses griffes et se venger, l’adolescent devait jouer le jeu, en partie, analyser et récupérer toutes les informations qu’il trouverait sur son père adoptif pour les retourner contre lui.

Il laissa Strange parler, espérant qu’il ne lui demanderait pas un autre service qui risquerait de mettre sa vie en jeu. Manipuler mentalement les habitants de cette ville pour les pousser à voter en sa faveur avait faillit lui coûter la vie, déclenchant une hémorragie interne. Son père adoptif allait dans son sens pour parler de ses pouvoirs maudits. Il connaissait tout de sa vie, les conséquences que ces pouvoirs télépathiques avaient engendrés sur ses proches. La mention de son meilleur ami, Alekseï défigura son visage par la stupeur et la colère. Le choc avait rompu sa carapace un instant, il serra les poings pour contenir cette rage. Alekseï était un sujet tabou, un deuil difficile à faire, le grand frère qu’il n’avait jamais eu. Il n’avait pas toujours la meilleure des influences, il lui avait apprit à tirer avec une arme à feu, à boire des shots de vodka et essayer quelques drogues alors qu’il n’était âgé que de douze ans. Il n’avait pas toujours les meilleurs conseils mais il lui devait ses talents de voleurs.

« Alekseï… Je t’interdis de prononcer ce nom. Tu n’as pas le droit. Comment tu… » grogna Cassidy. La syntaxe de ses phrases étaient parfaites, comme si un peu de bonne volonté et de haine pouvait le transformer en véritable linguiste.

L’adolescent était parvenu à garder sa colère au plus profond de ses tripes, sa raison avait prit le dessus. Il était resté silencieux pour laisser son père adoptif continuer son monologue de super vilains. Cassidy eu un frisson de gène lorsqu’il l’appela par un autre nom de famille, le sien. Sverlov était un nom de famille qui avait plus ou moins maudit son existence. La mafia russe s’était acharnée sur l’enfant, lui qui avait survécu à l’éradication de sa famille. Cassidy était bien un chat noir, celui qui dans le malheur, parvenait toujours à s’en sortir vivant. Il était le seul survivant de cet incendie et l’un des rares enfants ayant survécu aux expérimentations. Il était à la fois miraculé et maudit, c’était une situation plutôt inconfortable que Cassidy préférait renier. Strange glorifiait le pouvoir de l’adolescent, il lui garantissait un avenir radieux si seulement l’orphelin arrêtait de prendre ses dons télépathiques pour un handicap.

Ces pouvoirs sont imparfaits, c’est ce qui avaient déçu les scientifiques. Cassidy était un prototype encourageant, mais loin du résultat qu’ils attendaient. Son pouvoir se manifestaient de manière aléatoire, l’entraînement ne garantissait pas un contrôle de sa télépathie. Il lui arrivait d’entendre les pensées des personnes qui gravitaient autour de lui sans réellement le vouloir. Cette intrusion pouvait le mettre dans tous ses états, Strange avait déjà été témoin de ces crises de démence. Pour avoir un don aussi puissant, il y avait un prix à payer. La santé de Cassidy s’était fragilisée, il ne pouvait pas vivre sans un traitement médical quotidien, un simple rhume pouvait être mettre sa vie en danger s’il n’était pas soigné correctement et il ne fallait pas oublier les crises d’épilepsies qui pourrissaient son quotidien.

Cassidy écoutait le monologue de son père adoptif sans réellement comprendre où est-ce qu’il voulait en venir. Hugo avait l’air de changé de stratégie pour donner un peu plus de liberté à son fils adoptif. L’ancien cobaye n’est pas assez naïf pour croire qu’il avait changé d’avis par amour paternel. Il avait côtoyé suffisamment de scientifique pour savoir que tout ce qu’ils entreprenaient avait pour seul objectif d’assouvir leur soif de contrôle, ou de connaissance. Lorsque Strange tenta un geste amical en posant sa main sur celle de Cassidy, ce dernier a eu un recul soudain, la peur avait envahit ses tripes, le poussant à reculer sa main pour rompre ce contact physique. Malgré ce geste soudain, l’adolescent s’était engouffré dans son mutisme. Le téléphone sonna, rompant leur conversation. Strange laissa l’adolescent seul avec sa propre conscience.

Le télépathe se sentait un peu mal à l’aise à l’idée d’être placé sur un pied d’estale, être considéré comme l’évolution de l’espèce humaine. Il savait pertinemment que Strange cherchait à obtenir plus de la part de son fils adoptif. La torture et la violence pouvaient se montrer très fatigante à exécuter, surtout après un an de cohabitation. L’adolescent ne se résignait pas toujours à lui obéir. En le regardant tourner les talons pour quitter sa chambre, Cassidy n’était pas décidé à se remettre en question, il avait une autre idée en tête.

L’adolescent s’était redressé de sa chaise en suivant les traces de son père adoptif. Il restait loin de son champ de vision, mais assez prêt pour pouvoir mettre son plan à exécution. Cassidy ferma légèrement ses paupières, se concentrant sur les dons qu’Hugo idolâtrait tant. Après quelques secondes, il était parvenu à rentrer dans la tête de son père adoptif, capable de capter tout ce qu’il entendait et pensait. Ces compétences linguistiques avaient ses limites mais le jeune russe avait été capable de comprendre le plus important, Strange est mourant. Un soufflement de nez, un léger rictus amusé se dessinant sur ses lèvres.

Doucement, le télépathe sortit de sa chambre pour s’avancer dans le couloir. Il n’avait pas encore rompu le lien psychique dans la tête de Strange qui pouvait sentir un sensation désagréable à l’arrière de son crâne. De son côté, Cassidy avait le teint pâle, des vertiges qui l’invitaient à rester collé contre l’un des murs du couloir pour éviter de s’écrouler sur le sol. Son nez était en sang, ce petit tour de passe-passe lui avait demandé beaucoup plus de ressource que prévu. Pour autant, il n’a aucun regret, bien au contraire. Ses lèvres ensanglantés dessinaient un léger sourire sur son visage.

« Je apprécier l’ironie. Tu dis que mon pouvoir être grand, tu es servi. » l’adolescent s’avança doucement. « Toi dire qu’il est source d’ennui pour gens que j’aime mais tu n’échappes pas à cette règle, même si je te déteste. J’ai très envie de voir vie quitter ton corps, te regarder te débattre. Tu as essayé de briser moi, tu m’as torturé. Maintenant que je suis ton seul héritier, tu veux que je porte ton nom en gloire ou tu espères que j’utilise mon pouvoir pour te sauver. »

Le sang continuait de couler sur le bas de son visage, Cassidy ignorait ses signaux d’alerte. Il était obstiné par cette nouvelle et ne pensait qu’à cela, la mort proche de son tortionnaire. Il songeait à précipiter sa mort, mais ses pouvoirs avaient ses limites et son corps aussi. Il s’avança de plusieurs pas en direction de Strange.

« Je veux savoir… ce que tu attendre de moi. Pourquoi ce discours, soudainement ? Pourquoi tu connais mon ami, mon dossier... tu sais tout... Je...Qu’est ce que tu vou…veux vraiment ? Toi parler sinon je pourrais te forcer. »

Une vive douleur écrasa le crâne de Strange pour lui rappeler que Cassidy était dans son esprit et qu’il n’avait besoin que d’un petit effort supplémentaire pour arriver à ses fins. Pour autant, cette petite attaque demandait de l’énergie. L’adolescent avait la bouche en sang, il expulsa cette accumulation d’hémoglobine avec une quinte de toux. Seule la détermination semblait permettre au télépathe de tenir debout.

Avec le temps et les nombreux exercices imposés par Strange, Cassidy avait développé une certaine aisance à pénétrer les esprits les plus vulnérables. Avec du recul, cette facilité à s'introduire dans l'espace le plus intime de l'âme humaine effrayait son hôte. Pourtant, aujourd'hui, il ne semblait plus redouter son pouvoir, bien au contraire. Grâce à cette capacité, il était parvenu à s'immiscer dans l'esprit de son tortionnaire. Les fragiles barrières que celui-ci avait tenté de forger à la hâte n'avaient pas résisté à la détermination du télépathe. En un instant, tout s'était effondré, laissant place aux souvenirs d'enfance douloureux du scientifique. Par le passé, Cassidy avait tenté de multiples fois de manipuler l’esprit de Strange pour se libérer de son emprise. Malheureusement, son tuteur et père adoptif connaissait son don par cœur, son instabilité et ses nuances. Les tentatives du jeune russe se terminaient systématiquement par un échec.

Le corps de Cassidy s’était immobilisé en entrant dans l’esprit de Strange. Y rester lui demandait beaucoup d’énergie. Du sang s’échappait de ses narines et teintait ses lèvres mais son esprit était trop occupé à fouiller celui de Strange pour s’en préoccuper. Il n’avait jamais été aussi loin et se sentait, pendant un instant, piégé dans un labyrinthe sans issue. Il se concentra davantage pour localiser les failles de son esprit. Lorsqu’il en avait trouvé une, il avait creusé jusqu’à tomber dans un monde lointain, vague et bien différent de l’univers dans laquelle il vivait. Cassidy était devenu un simple spectateur de l’esprit défaillant de Strange qui laissait échapper un souvenir d’enfance douloureux. Hugo était jeune, il ne ressemblait pas du tout à l’homme qu’il était maintenant. Cassidy se rapprocha en espérant pouvoir le reconnaître mais hormis les lunettes, il n’était certain que d’instinct que ce petit garçon était son père adoptif. Les protagonistes ne calculaient pas sa présence et l’adolescent ne pouvait pas interagir avec le monde qui l’entourait. Il se contenta d’observer la scène de ce pauvre garçon. S’il ne savait pas que ce gamin cachait un sociopathe qui l’avait torturé pendant des mois, il aurait essayé de le défendre, c’était son job.

Cassidy était le doyen de son orphelinat, l’un des plus anciens pensionnaires. Il avait passé toute son enfance entre ces quatre murs. Les rares adoptant qui s’attardaient sur lui finissaient par abandonner la procédure lorsqu’ils apprenaient que son nom était Sverdlov. Son nom de famille sonnait comme une malédiction mais il l’avait également protégé d’un potentiel harcèlement. Les petits orphelins qui essayaient de l’amadouer craignait les représailles de la mafia en s’en prenant à l’un d’entres eux. Cassidy avait également Alekseï comme ange gardien, l’un des plus vieux enfants de l’orphelinat. Il ne craignait pas d’éclater quelques dents lorsqu’on le provoquait. Le télépathe se servait aussi de sa réputation pour protéger les plus jeunes et les plus vulnérables. Ce genre de scène avait pu être éviter. Il observa la scène avec un regard vide d’émotion mais au fond de lui, il avait un peu d’empathie pour ce pauvre petit Strange, l’homme qu’il n’était pas encore.

Lorsque Cassidy parvenait à atteindre un souvenir de sa victime, il lui arrivait de perdre le contrôle et de livrer, accidentellement à son tour, un fragment de sa propre mémoire qui lui évoquait les mêmes sentiments douloureux. Le télépathe luttait pour ne pas dévoiler cette faiblesse et il était parvenu à bloquer une partie des informations, rompre le partage. Il n’avait jamais vécu de situation similaire à l’orphelinat mais à l’institut où il était devenu un véritable rat de laboratoire, c’était une autre histoire. Il ne comptait pas la peur, le traumatisme de ces hommes de la mafia qui venait dans sa cellule lorsque les scientifiques avaient le dos tournés. Ils avaient aimé humilier un enfant, le détruire, seul contre tous, ils voulaient se vanter d’avoir détruit le dernier des Sverdlov, le fils de Sergeï qui était autrefois leur supérieur hiérarchique. Les traumatismes étaient encore visibles chez lui, que ça soit les refus de contact physique ou son sang qui se glissait lorsque le rire psychotique d’Hugo Strange parvenait jusqu’à ses tympans.

Cassidy se rattrapa à la réalité, le gout du sang dans sa gorge, les vertiges qui envahissaient son esprit. Il avait provoqué son père adoptif juste après avoir découvert ses secrets. Ce rire avait glacé son sang et réveillé un souvenir. L’un des gardes de l’institut avait le même rire, celui d’un homme fier, confiant après avoir réalisé un acte des plus sadiques. L’adolescent eu un mouvement de recul, le visage fermé, il essayait de cacher sa peur soudaine. D’un geste nerveux, il essayait d’essuyer le sang qui teintait le bas de son visage mais ne faisait qu’empirer les choses. La manche de son sweat claire était à son tour tâché d’hémoglobine. Il sent son corps vaciller à cause de la migraine soudaine qu’il avait réveillé après plusieurs minutes de télépathie intense.

Hugo avait de nouveaux projets pour Cassidy. Pour une raison que ce dernier ignorait, ou presque, il espérait que ce dernier serait une aide crucial pour guérir cette tumeur au cerveau et en plus d’être consentant à cette idée. L’ancien cobaye émit un sifflement de mépris à l’égard de son père adoptif. Il avait déjà entendu parler des autres enfants qui n’avaient pas survécu aux expérimentations. Ceux qui avaient manifesté les premiers signes de télépathie finissaient malheureusement par périr. Les produits injectés avaient provoqué le développement de tumeurs cérébrales chez ces pauvres enfants, leur étant finalement fatales. Contrairement à ces pauvres orphelins des rues, Cassidy n’avait développé aucune tumeur. Peut-être était-ce un miracle, ou peut-être un facteur génétique lui accordait-il ce privilège. Sur cette question, les scientifiques avaient gardé jalousement le secret avant de le livrer à Strange.  

« Parce que tu croire que je veux t’aider ? » grogna Cassidy. « Je vou… veux que tu meures, toi et tout tes copains, chaque entres vous ! je vous déteste. Je veux plus t’aider, plus manipuler. Je ne suis pas une chose. T’as qu’à trouver autre enfant avec pouvoir ou piquer avec produit qu’ils donner de force pour soigner cancer. De toute façon, toi condamner, je l’ai vu, comme j’ai vu ton passé misérable avec ces garçons. Putain de monstre. Va… te faire voir je pas t’aider. »