La voilà de nouveau serveuse. Ou barmaid. Mindy avait commencé il y avait quelques semaines à servir au Pink Elephant, ce bar animé dans le Cauldron. Et... contre toute attente ça allait bien. Elle tapait des crises de colère contre certains clients, et il lui fallait beaucoup de temps pour apprendre à faire des cocktails sans tout casser et partir en rageant après coup, mais le patron du bar la trouvait extrêmement... drôle. Il se tenait les côtes en la voyant et il arrivait à la canaliser avec sa gentillesse. Les clients étaient tolérants avec elle.

Mindy qui était très impulsive trouverait peut-être quelque réconfort à fréquenter des gens qui toléraient son comportement détestable. Azzurra avait assez donné, moins elle la voyait, mieux c'était. Même si c'était souvent louche car cette dernière pouvait se trouver à tout moment sous son lit ou sous un faux plafond qu'elle aurait fait installer dans sa salle de bain pour l'espionner depuis-là.

La Rousse avait eu des examens à préparer pour le lendemain et avait demandé à Azzurra de la remplacer.  C'est pourquoi cette dernière avait demandé à Alfred si elle pouvait s'absenter, ce à quoi il avait consenti. Donc Azzurra se trouvait là. Elle portait une chemise blanche aux manches relevées ainsi qu'un tablier noir élégant. Ses lentilles de contact, donc pas de lunette. Ses cheveux - elle devait aller chez le coiffeur - coiffés du mieux qu'elle put. Difficile de leur donner forme, à cette taille ils devenaient récalcitrants. Une tenue qui alliait élégance et professionnalisme, elle avait même pour l'occasion retiré son vernis pour satisfaire les normes d'hygiène, celles qu'on lui imposait à la Taquerìa où elle travaillait.

Azzurra avait l'habitude d'une telle fonction, elle avait tout fait. Chef, serveuse, hôtesse, femme de joie, même majordome, elle était formée pour. Alfred lui apprenait beaucoup de choses, notamment avec son expérience de la vie. Il lui donnait également des cours d'anglais. Pour peaufiner son accent, sa façon de formuler les phrases. Un accent un peu british, certes, mais plus neutre que son italien roucoulant propre à sa personne.

En tant que Robin, il fallait qu'elle garde une façon de parler neutre et un accent qui n'était pas le sien. Azzurra avait été négligente, et on découvrait rapidement qu'elle était Maestra pour peu qu'on daigne rechercher qui elle était. Notamment à son accent et sa façon de formuler des phrases.

Robin parlerait différemment. Et c'était sur quoi elle travaillait, gardant son petit accent pour sa vie civile. Ca et d'autres choses encore. Lorsqu'Alfred l'aura formée, ce serait au tour de Batman, bien évidemment, ainsi que Lucius Fox.

Azzurra n'était pas une femme savante. Pas vraiment compétente, elle n'avait pas fait d'études poussées. C'était une femme de la rue. Une femme un peu naïve, mais qui savait comment éviter la police et comment survivre parmi la mafia. A quel prix dira-t-on. Un prix qu'elle a payé en tout cas très cher. Oui, Azzura, c'est ton chef de groupe, et ta voisine de pieu. Elle t'apprendra tout ! Même à pisser ! Azzurra est une crétine, mais elle a du cran, et le cran, ça suffit.

C'est peut-être ça, sa qualité principale, celle qui a poussé Batman à la former. Et ce cran, elle le mettrait à rude épreuve. Le bar était vide à cette heure, pourtant c'était assez tardive. Peut-être le jour de la semaine où les tueries dans les rues. Le Gant Noir avait peur, les gens avaient peur, mais Azzurra se tenait prête à se battre. Le patron du bar était dans son bureau, et viendrait pour l'assister au cas où plus de gens que prévus viendraient. Mais pour le moment, c'était calme. Elle avait tout nettoyé mille froid, et un peu stressée, elle attendait.

La brune avait beau être un peu timide et paniquée, surtout à un endroit où elle connaissait pas, ne savait pas vraiment où était tout le matériel, elle savait qu'elle s'en sortait. Elle se savait increvable. De toute façon, après avoir servi dans des dizaines de bars, le pattern était facile à comprendre.

EPSILON

Il y avait un client, enfin. Azzurra haussa les sourcils en le regardant entrer. Un homme d'un certain âge, qui dégageait quelque chose de sérieux et de maléfique. Donc quelqu'un d'important. Probablement quelqu'un d'impliqué dans la mafia ou un fonctionnaire, si on se fiait simplement au côté malsain.

Azzurra jeta un oeil par la fenêtre. La pluie avait commencé à tomber en trombe dehors, peut-être était-il venu simplement s'abriter. La brune perdait son regard sur les gouttes qui frappaient contre la vitre. Elle avait arrêté de faire les cent pas qu'elle avait commencé de faire pour se dégourdir les jambes et commença à se préparer mentalement à... faire son sourire de serveuse. Elle sourit alors et vint s'accouder au bar et attendit sans se presser qu'il vienne.

- Bonjour. Qu'est ce que je vous sers ?

L'Italienne prit la commande et servit la chose correctement, le laissant savourer un moment avant de jeter quelques regards inquiets à la porte d'entrée du bar dans l'attente d'un prochain client. Maintenant qu'elle était toute seule avec lui elle se sentait anxieuse. Devait-elle lui parler, lancer la conversation, ou rester bêtement derrière son bar à faire semblant de travailler ? C'étaient les questions que l'anxieuse Azzurra se posait sans cesse. Elle jeta quelques vifs regards à cet étrange client et finalement se décida à aller lui parler. Oui, il avait quelque chose de très intriguant. Ce n'était peut-être pas poli et elle en était désolée mais elle le fixa un moment.

- Votre visage me dit quelque chose. On s'est déjà rencontrés ?

Avant d'hausser les épaules.

- Je ne suis pas très physo.. physomo--- physionomiste. Je dois confondre. On voit tellement de visages dans ce métier.

Il avait pas l'air très pauvre, à tous les coups, Azzurra l'avait surement rencontré à une soirée plus huppée. Dans ce cas il ne la reconnaîtrait surement pas, à moins qu'elle se déshabille, se maquille autrement voire porte un masque de mascarade. Et lui en portait surement s'ils s'étaient rencontrés là. Non, il lui disait vaguement quelque chose mais elle ne s'en souvenait pas.

Azzurra parlait avec ce fort accent italien - ainsi que ses constructions de phrase hasardeuses - qu'elle ne masquait pas pour l'occasion. On lui disait de le garder lorsqu'elle était Azzurra pour le cacher complètement quand elle était Robin. Ce serait un bon moyen d'éviter qu'on la reconnaisse. Azzurra le gardait donc, le masquer demandait trop d'énergie.

- C'est calme aujourd'hui, et avec ce temps de merde, les gens viennent pas beaucoup. Le Gant Noir fait que euh... les gens sont pas d'humeur. Moins que d'habitude.

Azzurra soupira longuement avant de plaisanter avec un petite sourire. Elle ne savait que dire et on sentait qu'elle était nerveuse, mais pas méchante.

- Si personne n'arrête le Gant Noir, il faut que je fasse ça moi-même. We can't expect God to do all the work.

EPSILON

Azzurra fut surprise de voir l'homme ne pas apprécier grandement être servi. Il lui ordonna de boire le verre. Dans quelle galère était-elle tombée ? Pourquoi toujours sur des malades ? Ne cachant pas sa surprise, elle ouvrit grand les yeux, cligna très vite, ne savait pas s'il fallait répondre en riant où si elle venait de s'engager dans un nouveau jeu étrange. Ou peut-être y avait-il une caméra cachée ? L'homme avait l'air étonnement sérieux.  Après, si c'était une caméra cachée, il serait surement un acteur qui savait ce qu'il faisait. Azzurra s'éclaircit la voix, tenta de dire quelque chose avant de froncer les sourcils.

- Heu. Je ne suis pas assez payée ce soir-là pour me laisser alcooliser par un homme plus âgé, j'en ai bien peur. plaisanta-t-elle pour voir sa réaction. Elle sourit d'un petit sourire forcé avant d'ajouter : "En fait, je n'ai pas le droit de boire pendant le shift, encore moins un verre des clients".

Elle restait polie, avec son accent italien et sa voix chantante, mais pourtant on y décelait une pointe d'agacement dans chacun de ses mots. Cela ne suffirait pas à le convaincre, très certainement. Azzurra pesa le pour et le contre, elle était seule, il n'y avait pas de caméras. Donc, si elle ne buvait pas, que ça l'énerverait, et qu'il la poignardait en sentant ses cheveux sur le bar en faisant son affaire avec elle, il ne se passera rien à part qu'elle mourra. Si elle buvait dans le verre, elle aurait un peu d'alcool dans le sang, personne ne verrait, le type serait content. Et si le patron la surprendrait, il ferait quoi ? La virer ? Elle dira qu'il l'a menacé. Non, après calcul, Azzurra devait boire dans la verre. Elle leva les yeux au ciel et se saisit du verre, visiblement agacée, avant de le porter à ses lèvres et boire deux gorgées, y laissant une trace de rouge à lèvres, ce qui manqua de la faire exploser de rire.

Elle reposa son verre devant le serial killer en devenir, sans oublier de le tourner pour qu'il ait la trace de rouge à lèvres de son côté.

- Voilà, content ? Je vous ai même laissé une dédicace ; vous buvez là où j'ai bu, ce sera comme si on s'était embrassés.

Plot twist : le rouge à lèvres était empoisonné, pensait-elle, parce que ce type était capable de le penser. Elle guetterait le verre pour voir s'il allait boire dessus ou pas. Histoire de jauger un peu mieux à quel genre d'énergumène elle aurait affaire. Après l'avoir provoqué ainsi, elle se demandait pas si elle n'allai pas finir découpée en morceaux dans la ruelle juste derrière. Bah, elle saurait se défendre. Son visage se tordait alors qu'elle essayait de ne pas rire, sa patience pour ces conneries étant moindres notamment depuis qu'elle fréquentait Mindy assez activement. Tentant de reprendre son sérieux, toujours avec cette fausse politesse de serveuse, elle essaya de se la jouer compréhensive.

- Vous pensez que je vous empoisonnerais ? Quelqu'un vous veut du mal, Monsieur ?

EPSILON

Azzurra ne réagit pas tout de suite lorsqu'il parla de Pérèz. Azzurra n'était pas très vive d'esprit parfois, et elle n'aurait en tout cas pas imaginé entendre ce nom ici. Puis elle finit par tilter, c'était le faux nom qu'elle avait donné il y a quelques semaines pour sauver Mindy. Azzurra déglutit, fut prise de panique, tenta de rester calme. Elle reconnut immédiatement le visage de son interlocuteur. Pas de doute... il ressemblait drôlement au Dr. Strange. Oh.

Il déclarait qu'il pensait qu'elle avait été envoyée par Batman pour le détruire. Ca aurait pu, elle était Robin après tout. Ce qui la surprit davantage. Mais elle devait rester calme à ce sujet : il n'avait aucune preuve. Lui même en était convaincu... pour le moment. Elle en eut même les larmes aux yeux alors qu'il la traitait de sous développée.

Tout en déglutissant, tétanisée, Azzurra le fixait alors qu'il parlait. Sa voix s'embrouilla rapidement dans sa tête. Ses menaces étaient réelles et lui glaçaient le sang. Azzurra ne voulait pas en rire. Il avait retiré son déguisement. Le Hugo Strange qu'elle avait devant avait le même regard plein de folie profonde que celui qu'elle avait vu à Arkham, à la nuance près qu'il était énervé, bien moins cordial que l'autre. Un visage proche du sien. Reculant doucement, elle se retrouva dos aux alcools et ne savait quoi dire à part bafouiller. Il faisait peur, très peur. Elle ne devait pourtant pas avoir peur, elle savait se battre et était Robin, et Maestra ! Et pourtant elle était à deux doigts de tomber à genoux et fondre en larmes.

- N-non ! Je ne travaille pour personne, je le jure. Vous énervez pas !

C'était sérieux ? Elle même avait honte d'avoir dit ça. Elle ferma les yeux et se retenait pour ne pas sangloter mais se faire gronder ainsi, en plus de lui tirer de mauvais souvenirs passés la mettait très mal à l'aise. Azzurra déglutit alors.

- J'fais juste des petits boulots pour pas avoir faim ! Je veux juste survivre. Je bosse pour personne, je me contente de faire ce que n'importe qui me demande de faire pour avoir un toit et à manger. C'est pas facile en ce moment avec le Gant Noir, je ferais ce qu'il y a à faire pour survivre... j'étais venue sauver une fille. Elle a été mise chez vous par erreur. Elle est jeune et plein de potentiel, jamais je l'aurais laissée entre vos pattes. Et vous ne remettrez plus jamais la main dessus, ni sur elle, ni sur moi.

Sa voix tremblait. Elle ne se sentait pas très bien. Sa respiration s'accélérait.

- Pas avec votre machine bizarre à lobotomiser, jamais. Maintenant buvez votre verre, et laissez-moi tranquille. Je ne veux rien avoir à faire avec vous. Vous venez pas sur mon chemin, je viens pas sur votre chemin. Tout le monde est content.

EPSILON

Le Docteur avait l'air très impliqué dans ce qu'il disait. Azzurra se sentait tétanisée, comme une petite fille se faisant gronder par un vieux monsieur à qui elle avait cassé une vitre. Elle observa l'image des glaçons... c'était à glacer le sang. Il s'approcha d'elle. Azzurra recula du mieux qu'elle put, le fixant sans rien dire, ses lèvres entrouvertes, ses sens aux aguets, prête à se défendre elle espérait s'il tentait de l'étranger comme il avait promis.  Il lui parla de son petit tour à elle. Si elle l'avait reconnu plus tôt elle n'aurait pas joué de ses petits artifices. En clignant des paupières des larmes coulèrent le long de ses joues. Azzurra se taisait.

Il lui attrapa le bras. Elle ne le vit pas venir. Si, elle le vit venir, mais fut incapable de bouger. Ses yeux s'ouvrirent grand. Une vigilante ? Un flic. Oui. Elle était juste sportive. Juste sportive. Azzurra tremblait. Juste sportive. Je vous le jure m'sieur je suis juste sportive. Elle fit non de la tête alors qu'il l'accusait de tout et au climax de sa diatribe, il finit par la relâcher. Son poing qui s'était refermé pour démarrer un bain de sang s'ouvrit et elle tendit la main. Elle écouta patiemment sans rien dire.

Il partit sans payer. En emportant le verre. Azzurra soupira longuement avant de s'effondrer sur une chaise. Heureusement que aucun client n'était venu entre temps. Il lui fallut du temps pour s'en remettre. Bien. Elle espérait qu'il ne la retrouve pas.

Qu'allait-il faire à présent ? Créer un clone d'elle ? Heureusement que Mindy n'avait pas été là ce jour-là, il l'aurait reconnue directement et l'aurait directement fait revenir à Arkham.

C'était ça le plus effrayant. Azzurra n'aurait eu aucun moyen de retourner à Arkham sauver Mindy une seconde fois si ce jour-là, Mindy avait été là à servir plutôt que Azzurra. Cette image la terrorisait plus qu'autre chose. Elle finit par se ressaisir et payer elle-même le prix des deux whisky. Pour le verre, elle expliquera que le client est parti avec sans qu'elle s'en rende compte.

Elle se dit qu'elle devrait pucer Mindy où la surveiller plus souvent. Hors de question de la perdre de nouveau. Cette petite ne valait pas la peine qu'elle risque sa vie deux fois pour elle. Encore plus si Dr. Strange lui avait promis de ne pas se faire avoir deux fois. Azzurra se servit d'un verre d'eau et soupira, encore.

Batman devait être au courant que Dr. Hurt était de retour en ville.

L'Italienne n'allait pas le laisser s'enfuir. Elle était teigneuse.

EPSILON