Notre présence allait finir par se faire savoir. Nous le savions, nous n'étions là que pour ton dessein, bien plus grand que ce que nos entrailles le laissaient présumer. La douleur était le prix, tu l'endurais tout autant que nous. Tu l'avais vécu tant de fois, et ton cœur ne s'emplissait que davantage de haine.

Tes adversaires, ceux qui pouvaient risquer la vie de notre princesse, notre Perséphone, se faisaient de plus en plus rares, ou occupés. Notre petit nombre semblait suffire à laisser champ libre à toi et l'ignoble tas de viande qui te servait de comparse. Tu entendais à peine ses jacasseries, comme un bourdonnement qui planait autour de ton visage délicat.

Tes pensées ne se résumaient qu'à une image, tes pensées ne se résumaient qu'à son visage, ses yeux d'un vert printanier, ses traits farouches, les ronces qui perçaient sa chevelure d'un noir de jais : Thorn, notre bien aimée Thorn.

Le chemin semblait tout tracé jusqu'à l'unité pour les mineurs, les couloirs encore jonchés de quelques cadavres frais de patients, leurs doigts s'étendant comme les branches tordues des chênes, cherchant une pitié qui n'existait d'aucune manière en ce lieu. Ivy les regardait à peine. Ses beaux traits se contractaient de spasmes réguliers, ses yeux brillant de colère, de tristesse peut-être. Elle n'en laissait qu'à peine paraitre cette émotion dans son pas, si ce n'était la détermination pure, presque à distancer le Chapelier sur ses talons. Lui aussi, elle le regardait à peine.

Malgré le son strident de l'alarme, les portes de l'unité pour mineurs étaient closes. Certainement qu'on évitait à tout prix de mélanger les deux parties de l'asile, même lors des situations d'urgence. Piochant une nouvelle graine parmi son matériel, elle insuffla la vie en elle, laissant les lianes grandir, s'infiltrant dans les interstices jusqu'à faire voler en éclat les portes.

Les regards effrayés et médusés des enfants la transperça de part en part, elle qui s'attendait à ce que l'unité soit déserte. Elle ne connaissait que trop bien ces yeux. Combien de fois avait-elle vu cette terreur parmi ses propres orphelins, de voir se dresser devant eux la terrible Poison Ivy ? Mais cette fois, elle n'était pas seule, et de sa volonté les lianes jaillir pour s'enrouler autour de Jervis, mettant à terre son peut-être allié du jour, mais également violeur de trop jeunes filles.

« Partez.  »

Ton ordre fut suivi, les petits détalant vers les sorties de l’unité. Tu n’entendais même plus les vociférations de Tetch. On courrait autour de toi alors que tu déchainais soudainement notre fureur. Les murs s’abattaient, faisant voler les lits d’hôpitaux et dessins d’enfant. Et puis, enfin, tu la trouvas, inconsciente, ligotée, casque immonde lui mangeant le visage, avec pour seule lumière le grésillement électrique des néons.

Tu en oublias tout, ton cœur empli d’amour pour cet être. Notre bien aimée princesse était désormais libre. Tu la tenais entre tes bras alors que tu t’échappais de la bâtisse en abattant un nouveau mur. Il n’y avait plus qu’elle pour toi, Thorn, ta fille chérie, sans que ton esprit n’ai cure de qui que ce soit d’autre, pas même ton ancien amant.

Et nous ? Nous n’avions plus besoin de nos corps, laissant juste notre peste envahir les murs, grignoter Arkham à une vitesse folle. Nous sentions tout craquer sous notre poids, sous notre pression, les poutres pourrissaient, la pierre se fissurait. L’édifice entier menaçait de s’effondrer, et c’était notre but, détruire définitivement ce qui avait été ton enfer.

Avais-tu seulement eu une quelconque considération pour les sapiens qui grouillaient en ce lieu ?

Après tout, rien n’était éternel, si ce n’était le Vert.

EPSILON