Bébé princesse poupée Porci boubée se tenait là, au-dessus d'un corps à moitié dévoré. Une bonne nouvelle était parvenue jusqu'à son système auditif : son maître, Scarface avait été aperçu errant comme un rat dans les Narrows. Lui qui l'avait abandonnée lâchement. La pauvre oiselle ne s'en était jamais remise. Trahie ! Trahie par lui... celui en qui elle avait mis toute ses espérances. Malgré son amour fou pour lui - que Athénaïs et les autres ne partageaient strictement pas -, Callirrohe voulait le revoir, lui tomber dessus, et lui faire payer de l'avoir plaquée comme une ex en furie.

A ses côtés se tenait la dernière itération de Ranni, la poupée Rannilaine de taille humaine.

La poupée, aux traits très humains et surtout pour une fois peu proches de Porcelaine, était un bijou de technologie. Des servomoteurs lui permettaient de se mouvoir comme une humaine, et un trouble de personnalité multiple mêlé à d'autres troubles schizoïdes la rendaient bien réelle, sans oublier les pouvoirs de méta-humaines pour la contrôler. Elle avait une veste de sport et un pantalon en cuir. Pas bien grande, pour économiser des matériaux, Ranni faisait à peine plus d'un mètre 50. A l'intérieur, toutefois, on avait conservé un maximum de la place pour la rendre létale en lui ajoutant toutes sortes d'artifices. La jeune femme avait des cheveux bleus que Porcelaine avait teinte elle-même, et avait été modelée à partir d'une Asiatique que Porcelaine avait trouvé correcte au sein des Triades.

La poupée mâchait un chewing gum, et faisait des bulles avec. Elle mâchait sept fois, avant de faire sa bulle, l'éclater, la ravaler et recommencer, machinalement. Porcelaine l'utilisait comme garde du corps, laissant la version miniature de Porcelaine auprès de Lee pour qu'il ne fasse pas de cauchemars la nuit.

Porcelaine portait une longue et élégante robe rouge. On aurait dit qu'elle sortait d'une soirée. Dans les rues décadentes de la ville où la violence était omniprésente, elle était une icône, une princesse de la nuit. Au-delà de tout danger, comme pouvait témoigner cet homme qu'elle avait terminé de dévorer à sa convenance. La poupée se releva, s'essuya la bouche et poursuivit son chemin jusqu'à tomber sur celui qu'elle cherchait. Elle le savait. Il était là. Callirrhoe sentit son petit moteur de poupée pulser très rapidement.

Comme si toute sa haine qu'elle avait accumulée, soudainement, se faisait avaler par le bonheur de revoir l'homme qu'elle a tant aimé : cette marionnette de bois. Il était hors de question de se laisser avoir par les sentiments tendres de la poupée. Callirrhoe était une sentimentale, une femme de haute morale, élevée aux romans à l'eau de rose, un amour de poupée, le résultat de l'amour de mille avortements. C'était ça son point faible, c'était ça qui faisait d'elle l'artiste. Alors, sa voix glaciale retentit.

- Monsieur Scarface... je vous retrouve enfin. Après de si longs mois. Vous m'avez abandonnée. J'ai tant pleuré. Vous avez brisé mon cœur et ma chair. J'ai cherché à vous contacter en vain, et pourtant vous étiez si près de moi. Pourquoi ? Vous pensiez que on pouvait s'échapper de mes griffes ? Je vais vous tuer si vous ne me donnez pas une bonne excuse. Je préférerais avoir votre corps mort près de moi que vivant dans les bras d'une autre poupée.

Ranni restait derrière elle, mâchant son chewing gum inlassablement, les mains dans les poches de sa veste, prête à défendre son amie en cas de difficultés.

Cet imbécile semblait tomber de nulle part et demander à la belle poupée ce qu'il se passait, éludant totalement le fait qu'il l'avait larguée. Le visage de porcelaine de Porcelaine grimaça alors qu'il jouait au con avec elle. La poupée joignit ses mains devant elle, se tenant toujours bien droite alors que la poupée Rannilain derrière elle poursuivait de mâcher ce chewing gum, toujours avec un air farceur greffé sur le visage, contrastant avec le regard non convaincu de sa maîtresse. L'autre pervers était bien évidemment derrière lui. Porcelaine ne lui adressa pas un regard. Les seuls regards échangés étaient le regard lubrique et jaloux de ce vieux porc lors de leurs ébats Monsieurs Scarface et elle, il y avait bien longtemps. La pauvre Callirrohe était toute remontée, mais Athénaïs l'avait laissée s'occuper de cette situation. Autant Clémence Sinclair qu'Athénaïs ne voyaient en Scarface que l'intérêt financier de cette relation. Madame veut coucher avec le patron, soit. Cela ne regardait pas Athénaïs. Il fallait toutefois la mettre en garde : cet homme l'avait fait souffrir en partant. Il ne fallait pas qu'elle écoute simplement son cœur et décide de tout lui pardonner. Athénaïs veillerait au grain. Il demanda qui était Rannilaine.

Callirrohe, sa petite bouche toute renfrognée leva les yeux vers le ciel et ne dit pas un mot, laissant Rannilaine se présenter elle-même. Bien qu'elle soit équipée d'un système de micros et d'haut-parleurs pour pouvoir parler à longue distance, lorsque les deux étaient tout prêts, Rannilaine parlait grâce à la ventriloquie de sa maîtresse. Alors que les lèvres entreouvertes de la poupée rousse ne sembla pas bouger, Rannilaine parla alors :

- Je suis Rannilaine. Je suis la garde du corps d'Athénaïs et Callirrhoe. On s'est jamais rencontrés, je crois. Je suis toute contente de faire votre connaissance, Monsieur Scarface. Et je en sais pas ce que Callirrhoe disait, mais le vieux monsieur derrière a l'air très gentille, aussi. Enchantée. Je suis apparue y a pas trop longtemps, alors je découvre.

La poupée bleuâtre pencha la tête en signe de reconnaissance. De deux doigts, Callirrhoe montra du doigt la direction du repaire pour indiquer qu'elle voulait y aller.

- Dis, Caro, tu voudrais pas juste nous représenter ? Depuis le temps, y a forcément du nouveau.

La poupée rousse acquiesça et tourna la tête. Son regard qui était parfois vide, ou bien plein d'étoiles d'amour en regardant Scarface, était celui de Caro, alors que la Porcelaine un peu plus vivante était Athénaïs.

- Clémence Sinclair est morte. Elle est  devenue aveugle, et n'a pas supporté avoir à nous infliger tout cela. Je suis sa petite soeur spirituelle, moi, Athénaïs. Quant à Callirrhoe, c'est notre petite artiste. Celle qui bouffe les gens.

Elle chuchota sur la fin.

- Ca l'empêche pas d'être un bébé sensible, d'accord ? Tu lui as fait beaucoup de mal et même si elle veut te pardonner, sache que je refuse que tu la fasses souffrir. Rannilaine est juste une poupée. Enfin, nous sommes toutes des poupées, mais Rannilaine adore être une poupée. C'est son genre.

Rannilaine branla du chef pour confirmer ce qui a été dit, alors que Callirrohe reprit le contrôle du corps, pour suivre Scarface dans son repaire. Gardant quand même ses distances parce qu'elle était blessée dans son petit coeur, elle n'osait pas refuser de lui jeter quelques petits regards affectueux et timides.