Trois glands sur le toit d'un commissariat 

L’officier Zouaoui dévorait un bon kebab lorsque l’inspecteur Beckman l’interrompit, lui demandant de le rejoindre sur le toit pour discuter du fonctionnement du commissariat. Pour seule réponse, il n’y eut qu’un grognement alors qu’il déchirait la viande de ses dents. Pourquoi pas après tout, l’ancien militaire ne prenait pas trop de risque en venant discuter avec son supérieur, bien qu’il sentît que c’était encore une histoire louche. Il avait entendu des bruits de couloir à propos de ce monsieur, Farouk n’en savait pas assez cependant pour se faire une opinion définitive. Mais l’homme semblait être un peu détesté par tout le monde, le genre de mec qui avait voulu jouer et avait fini par perdre sa propre mise. L’algérien était joueur aussi mais c’était un flambeur prudent, qui choisissait avec attention le numéro avant de faire tourner la roue. Se faire des alliés dans cette ville lui était nécessaire pour continuer à grimper les échelons, et il n’était pas non plus le plus apprécié de tous. Hormis par Cooper, avec qui il commençait à nouer une relation amicale.

Montant sur le toit avant l'inspecteur, il se positionna à côté de la porte pour fumer sa cigarette, les pensées dans le vague. Il observa longuement les ronds de fumée qu’il projetait dans l’air, réfléchissant à ce qu’il allait pouvoir faire pour l’affaire Thomas Elliot. Le criminel avait des dossiers sur lui, le genre de truc qui pouvait le faire tomber du nid sans qu’il puisse apprendre à voler. Hauts les couilles, le policier a la morale douteuse avait quand même réussi à négocier un petit salaire en échange de son aide. 100 000 dollars pour le laisser une heure seul dans la salle des serveurs du G.C.P.D, soixante-minutes de diversion et il aurait de quoi se payer une belle bagnole. Ici, on savait construire de la caisse et le berbère bavait littéralement en s’imaginant le cul vissé sur un de ces sièges en cuir, une nana à deux mètres de lui, conduisant comme un fou sur les routes de Gotham. La vie de rêve, en somme.

Manifestement, monsieur Beckman avait fait venir une seconde bleusaille. Un nouveau que Farouk n’avait jamais croisé au sein du commissariat. Mais, en même temps, ça faisait un peu moins de deux semaines qu’il était arrivé dans ce foutu pays. Il commençait doucement à repérer certaines têtes, certaines fesses aussi mais il était encore loin d’avoir vu tout le monde. Quand son collègue daigna montrer le bout de son visage, il lui tendit doucement une clope pour commencer en taillant le bout de gras. Juste de quoi savoir pourquoi on avait demandé au deux de venir.

─ Tiens mon gars, ça vient direct d’Algérie, goûte-moi ça, fit-il en lui allumant la cigarette avec son briquet. Tu sais ce qu’on fout là, toi ? Oh, d’ailleurs, moi c’est Farouk. Enchanté mon pote. Il lui tendit sa main avec négligence, profitant de la chaleur du soleil sur sa peau et du ciel bleu.

TROIS GLANDS SUR LE TOIT D'UN COMMISSARIAT

Monsieur Parker semblait amical, une chose assez originale dans ce patelin pour que le vétéran le remarque et l’apprécie. Il ne comprit pas tellement sa dernière phrase, prenant ça comme une formule de politesse typiquement américaine. Il le remercia avant de se tirer une nouvelle cigarette, attendant le commanditaire. Il le gratifia d’un signe quand il arriva enfin. L’inspecteur Beckman avait commencé un discours qui piqua la curiosité de l’officier Zouaoui. Ici aussi, tout fonctionnait finalement par un copinage savamment organisé, une chose qu’il avait soupçonné en rencontrant, il y a peine quelques jours, la fille même de James Gordon. Pour sortir son épingle du jeu, Farouk devait lui aussi se trouver un groupe, se faire sa place et prendre en main le paquet de cartes.

─ Faire le ménage, vous dites ? Si je comprends bien, vous voulez qu’on vous serve d’homme de mains pour faire tomber les agents pourris du commissariat ? Dans sa façon de parler, Beckman donnait l’impression d’être un parangon d’honnêteté et de virtuosité, une personne intègre que le geste même de comploter sur le toit rendait peu crédible. Ils nous menacent ? J’avoue ne pas avoir encore fait la rencontre de cette unité Gordon, dites m’en plus. Je ne suis pas contre tordre un peu les règles si ça m’avantage personnellement mais, j’aime savoir dans quoi je m’engage. Je suis le genre de gars prudent, moi.

Le policier absorba une importante goulée de fumée, qu’il recracha dans l’air par petites vagues et cercles élaborés. Le couplet sur les vrais flics le fit légèrement sourire, manifestement, le bonhomme n’avait pas entendu beaucoup parler de La Bougie. Il n’avait pas grand-chose d’intègre après tout mais obtenir cette image pourrait lui être utile pour la suite. Oui, c’était une bonne idée, le militaire devait se donner un semblant de couverture. Le concept même de social justice warrior était complétement inconnu pour l’algérien qui hocha cependant la tête. Ce n’était pas une pédale après tout, lui était aussi un vrai homme.

─ Je n’ai pas l’habitude de me laisser faire, Khouya. Si c’est aussi grave que tu le prétends, tu es tombé sur le bon genre de gars. Tu proposes quoi au juste ? De faire un putsch en dégageant les membres dérangeant du GCPD ? Comment ? Tu as des informations à partager ?

La situation était amusante, si on peut dire. Intrigué, Farouk posa nombre de questions pour être sûr dans quoi il allait s’engager. Une purge des saloperies gauchistes, c’était un programme qui semblait quelque peu réjouissant. Mais il devait être sûr d’avoir de bons appuis avant de décider d’actionner la machine, il ne comptait pas quitter la ville de sitôt. Gotham, c’était maintenant chez lui, et il allait tout faire pour y rester le plus longtemps possible.

Qui va se le prendre dans le fion ?  

Le gars continuait à s’exprimer avec la même fougue, il semblait beaucoup apprécié le son de sa voix. Farouk tira longuement sur sa cigarette en regardant le sol, tentant de juger la valeur des informations données. Il est vrai que ce Beckman n’avait pas grand-chose à gagner en faisant virer les deux petits nouveaux du groupe, c’était lui qui risquait le plus gros dans cette histoire. Cet élément donna un peu plus de poids à la suite de ses mots, que l’algérien écouta alors avec un peu plus d’attention.  

─ Le lieutenant Bullock, c’est le gros porc c’est ça ? Celui-qui arrive toujours avec une tache de graisse sur la chemise et qui a sûrement plus vu sa bite depuis la puberté ? Il a été ripoux ? Je ne savais pas tiens, il me donnait l’air d’être un gars réglo, avec des méthodes un peu expéditives certes. Dit-il en écrasant son mégot avec le bout de sa chaussure. Quelque chose de louche, tu penses à quoi ? Tu penses qu’il se prépare un truc pas net dans l’enceinte même du GCPD ?

Jouer le flic intègre était d’une grande difficulté pour l’ancien vétéran qui n’avait jamais montré beaucoup d’amour pour le protocole. À peine arrivé que l’officier avait commencé à magouiller avec les criminels de la ville de Gotham, il ne risquait pas de faire long feu s’il se faisait choper, surtout si ce Beckman croyait autant à la justice qu’il semblait le prétendre. Et, ne pas faire long feu pour une bougie, c’était quelque peu ironique tout de même.

─ Bon, si je résume copain : tu nous demandes de nous rapprocher de cette paire de cons et de noter s’ils font une connerie pour les dénoncer ? Pourquoi pas, mais faut voir ce qu’on peut gagner dans cette affaire. On ne se connaît pas bien toi et moi, et je ne connais pas mieux les autres bouffons. J’ai entendu parler rapidement de ce Connard là, on m’a dit que c’était le déficient mental de la police, ça ne devrait pas être trop dur de le choper en train de faire une connerie. Enfin bref, dis m’en plus à propos de nos affaires : tu nous promets quoi si on t’aide à nettoyer le commissariat ? Du fric ? Une promotion ? Une médaille et une pipe pour service rendu à la nation ?

Il se déplaça vers le rebord du toit, observant la ville par-delà la balustrade de sécurité. L’homme hésita longuement à se servir une autre tige de poison, avant d’abandonné l’idée, trop préoccupé par ses propres pensées pour savourer le goût de la fumée noirâtre dans ses poumons.

─ Je ne suis pas une balance Beckman. On m’a toujours appris chez moi à ne jamais bosser gratis. Le monde est une pute et je n’ai pas envie qu’il me refasse le trou. Quitte à avoir un enculé, je préfère encore être celui qui tape dedans, tu comprends ce que je veux te dire ? On cherche tous une vie tranquille, loin des problèmes et des conflits. Je veux bien t’aider mais va falloir se montrer convaincant, je ne risque pas ma place pour des clopinettes.

Pour toute réponse, l’inspecteur quitta le toit pour descendre dans les bureaux. Une discussion intéressante cela dit, Farouk allait garder un œil attentionné sur l’équipe de Gordon et voir s’il n’avait pas intérêt à prendre parti dans cette petite guerre improvisée.