La peur, la peur, la peur !

Cette ville a tellement besoin de peur, ils manquent de terreur, où sont donc les chants à la gloire de la peur elle-même ? L'horreur rampante, voila ce que je cherchais à imposer. Petit à petit, de la même manière que les meilleurs livres d'horreur puissent l'infliger. Notre espèce est l'équivalent d'un bouillon de culture oublié au sein d'une boite de pétri, ou de la moisissure qui s'est développé sur un hamburger entamé laissé au fond d'une poubelle. Que de noires pensées pour le maitre de la peur, mais c'était bel et bien le constat qu'il avait lui-même apporté. Ce soir, je n'étais pas dans l'optique de continuer mes expériences. Enfin, du moins, pas sur mes cobayes, non. Mais sur une échelle plus grande, plus concentrée. Et mes dernières améliorations me permettent de mieux voir comment le prochain poison terrifiant peut survivre à l'eau, et quoi de mieux qu'une station de recyclage de l'eau pour faire les premiers essais ? Après tout, qu'est-ce que les gothamites, sinon des moucherons qui n'attendent que d'être écrasés ? Un constat similaire à celui de Nietzsche, la vie a besoin d'illusions pour se maintenir. La vérité est donc un poison, car en déchirant le voile de nos illusions comme de nos rêves, elle nous montre la réalité sordide. Il n'y a pas de Dieu, même pas de diable. Simplement un cosmos, froid, glacial, et silencieux où nous ne sommes qu'un moucheron à la vie éphémère, qui finira écrasé par inadvertance. Et qu'importe la vie de tous ces gens, au final ? Seule comptait l'expérience que je souhaite mener. Mais tous ces imbéciles, y compris le Batman, ne comprenaient rien à la science. Ils ne comprenaient pas l'importance de mes recherches. L'inconnu fait uniquement peur. Il n'a aucun point positif. Il ne faut surtout pas chercher à se confronter à la différence, car celle-ci est toujours radicale, irrémédiablement tétanisante. Pas étonnant que la science, démarche de découverte et de compréhension de l'inconnu, soit considérée en ennemie. Pour ces imbéciles, rien ne peut sortir de bon de mes expériences, de ma science. Rien ! Mais ils apprendront ... Ce soir, dans ce hangar désolé, je préparais ma petite potion. J'avais engagé quelques hommes pour assurer ma protection, au cas où le Batman ou un de ses imbéciles viennent m'ennuyer. Il faut dire qu'avec un peu d'argent, on peut soudoyer quelques employés, et puis, pour les plus récalcitrants, un peu de gaz de terreur et ...

"Dégagez-moi ces corps. Je ne veux pas que l'alerte soit donnée."

Dis-je, alors que mes hommes dégagent les cadavres terrifiés des hommes de la sécurité qui ont essayer de s'en prendre à moi. Aucun problème pour arriver à la destination tant convoitée. La grande salle de distribution de l'eau dans tout Gotham City. Un rêve ... Ma silhouette se détache de celles de mes hommes, avec ma faux et mon chapeau de paille, je peux difficilement passer inaperçu. Gotham City avait changé depuis mon départ, et pour tout dire, cela ne faisait qu'amplifier mes soupçons quant à ce qu'elle était. Un hachoir à viande monstrueux qui apportait sans cesse de nouvelles horreurs indicibles. La Cour des Hiboux ? Pfeuh. Une insulte. Le Joker, un croquemitaine ? Par pitié. Tous ces apprentis de la peur n'avaient pas le même chic que moi pour entrer dans la cour des grands. Même si mon alliance avec Hugo Strange avait quand même quelque chose qui augmentait le potentiel cognitif de cette ville, on ne peut pas passer sous silence qu'il a quand même manigancé bon nombre de saloperies dans le dos des autres. Et puis, s'il était capable de trahir le Pingouin. Pourquoi ne le ferait-il pas avec moi ? Des questions, des questions, alors que la peur réclamait sa dose de victimes. Contemplant magnifiquement ce que je voyais devant moi, je déposais au sol le sac que je transportais. Regardant avec cupidité mes petites fioles, je ne pouvais que sourire devant les horreurs qui attendaient les gothamites.

"Je ne sais pas par laquelle commencer, tellement de choix. Tellement de peurs à décupler. Je me demande même si on entendra les cris ..."

Avoir peur reste naturel quand on est un enfant. Cela s'avère plus gênant à l'âge adulte. Il y a des gens qui adaptent leur vie en fonction de leur phobie et perdent de leur liberté. Pour celle des araignées, des personnes ne partent plus en vacances par peur d'en trouver dans les maisons de location. C'était d'un cocasse quand on y songeait. Mais maintenant, grâce à ce que j'avais entre les mains, la peur allait s'amplifier. Devenir monstrueuse, et des hurlements à en faire peur, à en mourir allaient résonner dans toute la ville. Comme cela sera délicieux. Je me parlais à moi-même, assez souvent, et j'en oubliais même les quelques hommes de main qui m'accompagnaient ce soir. Dieu que cela serait adorable de voir cette expérience enfin concrétisée. J'espérais ardemment que cela marche, pour de bon, sans problèmes.

"Vous verrez qu'avoir peur est sûrement le meilleur moyen de confirmer que vous êtes bien vivants. Héhéhahahahahahaha !"

D'un ricanement sinistre, je saisis la fiole répondant au nom de "P-05" avant de décapsuler le bouchon de l'éprouvette. Une légère flagrance en sortit. Un sourire sur le visage, je me dirigeais vers le premier conduit d'eau purifiée. Il fallait bien commencer quelque part, non ? Suis-je sadique ? Pas vraiment, mais j'aimais voir les abominations qui sortaient de l'esprit des gens. C'était délicieux, et tellement satisfaisant. Mais malheureusement, nous étions à Gotham City. Je ne peux pas passer sous silence le fait que quelque chose puisse une nouvelle fois, se dresser sur ma route, mais je prévoyais ce possible cas. Après tout, un homme de sciences se doit d'être prêt à tout. Mais pour le moment, je savourais ce moment, j'étais si près de ce but que je chérissais depuis tant d'années ...

"Pas d'entourloupes, justicière !"

Ma voix rauque résonne, alors que je fixe avec un certain intérêt, l'arrivée non-voulue de cette jeune femme, qui venait de mettre à mal mes quelques hommes de main peu combattifs et décidément, fort décevants. Je place ma main en avant, comme pour la stopper.

"Un pas de plus, et Gotham City subira les pires tourments issu des psychés les plus retors de l'être humain."

Un sourire perle sur mon visage, derrière mon masque. C'était un plaisir de faire subir le mal, par pure cruauté, mais une cruauté scientifique, nécessaire à la réussite de mes plans. La peur, la peur, la peur ! Toujours la peur, et rien que la peur. Les gens ne peuvent pas comprendre qu'un esprit aussi brillant que le mien puisse être à l'origine de tous les maux les plus violents dans cette ville. Je m'étais toujours cru plus intelligent que les autres, ce qui est totalement vrai. Après tout, je ne suis pas rempli d'énigmes, de blagues, et d'autres choses stupides qui garantissent un aller simple pour Arkham. Non. Je n'étais pas de cette trempe, j'étais à un niveau au-dessus de tout ça. Chaque personne devait avoir un souvenir effrayant à narrer. Il était vrai que la peur était le sentiment le plus complexe à analyser. S'agissait-il d'une peur qui méritait d'être dédaignée ou encore une peur qu'il fallait surmonter. Il y avait également le cas : « Vivre avec ses peurs, les affronter, les comprendre et connaître un moyen de ne plus avoir peur » Toutes les commandes psychoactives du cerveau se relâchent lorsque la peur parasite nos synapses. Le pouls s'accélère, la circulation sanguine pareillement. La peur est le seul sentiment capable de vous paralyser pour de bon. Alors comment ne pas se réjouir d'utiliser une toxine qui nous concrétiserait nos peurs, nous apprendrait à y faire face ?! Ces temps-ci étaient sombres et il était favorable à chaque pas de vérifier que personne ne nous suivait. La vieille Gotham se périmait. Les habitants avaient peur. Peur de la suite des évènements, qu'allait-il bien pouvoir se passer ? Quel était le réel sens de la peur dans chaque Gothamite ? Il fallait savoir, comprendre, interpréter, s'interroger… Pourquoi ne pas enfumer quelques uns de ces pourceaux pour étudier, concrétiser l'approche scientifique des phobies ? Empoisonner le maire, symbole d'une ville rongée. Le vers de gris sur la statue de la place principale se répandait sur elle comme le crime se laissait aller doucement sur toutes les parcelles d'honnêteté de la ville. Doucement la peur infiltrait la terre, chaque lopin d'espoir ne se cultivait plus, une jachère éternelle. Et à travers tout ça, la peur. La seule et unique chose que nous ressentons dans notre vie. La peur.

"Attends. Je te connais toi, non ? Tu es la fille de cet imbécile de Slade Wilson."

Mon sourire s'élargit. Amusé. Quel jeu jouait-elle ainsi ? Pourquoi perturber mes propres opérations ? Toi, lecteur, connais-tu l’infamie de la peur ? Celle qui te laisse sans espoir dans le noir ? Celle qui te met dos au mur ? Elle s'infiltre doucement dans tous les pores de ta peau, qu'elle soit sèche ou grasse, te fait transpirer, saliver. Tu t'accroches à ce qui te reste de vie. Tu saisis ta chevelure en priant qu'elle ne cède pas avant ton petit cœur ... La peur est intuitive ... Elle connaît et est supérieure à toi. Elle sait tout, te maîtrise et connaît chaque personne mieux qu'elle ne se connaît elle.

"Pourquoi ne répandrais-je pas mon délicieux cocktail de peur dans les canalisations d'eau potable de la ville ? Tous ces imbéciles méritent d'être exposés à leurs peurs les plus profondes. Quelle est la seule bonne raison pour laquelle tous ces crétins à deux points de QI ne méritent-ils pas leur sélection naturelle ?"

En tant qu'être supérieur, je ne pouvais qu'être frappé de stupeur par la rapide analyse faite par moi-même. C'était vrai en réalité. Pourquoi tous les déficients du QI ont-ils le droit de vivre ? Pourquoi avaient-ils la chance de survivre alors qu'en temps normal, ils seraient les premiers maillons de la chaine alimentaire ? Les plus forts survivaient, et les ratés mourraient. Or, notre belle société a tellement travaillé pour retirer les peurs les plus primaires aux individus pour qu'ils puissent espérer avoir toutes les chances de survivre dans un monde moderne et désespérant. Je ne faisais qu'accomplir le travail de la nature, après tout. N'étais-je donc pas un disciple de Darwin après tout ? Rien ne pouvait me faire dévier de mon chemin d'étoiles que je m'étais tracé. C'était justement cette obstination qui caractérisait farouchement l'épouvantail, sinistre criminel de cette ville. Outre cette fascination des phobies qu'on lui connaissait, il était vrai de dire que jamais il n'avait oublier le sens premier de l'existence qu'il avait mené depuis sa tendre enfance. N'était-ce d'ailleurs pas là qu'était le souci ? Cette farouche idée d'étude, de maîtrise de la peur. Tout était une question d'origine, et de point de vue. Et à mes yeux, la simple idée de laisser les ratés de l'existence survivre était déjà une abominable erreur qui compromettait la survie de l'espèce humaine.