Clémence Sinclair aurait fortement déprécié cet environnement. Callirrhoe aussi. Elle avait beau être une artiste aux standards de qualité propres à elle-même, Athénaïs savait que cet environnement l'incommodait. Callirrhoe avait besoin d'espace, et de peinture. C'est pourquoi elle s'était épanouie dans d'immense entrepôts abandonnés dans Gotham City, où tout était son terrain de jeu. En parlant de terrain de jeu, l'Artiste avait eu quelques idées qu'elle cachait pour le moment à sa chère compagnon de corps, l'énigmatique Athénaïs. La situation la poussait à manger de la viande. Le gout lui passait à travers. Quelqu'un d'autre MANGEAIT à sa place. Quelqu'un qui était heureux de manger de la viande, humaine ou non. Quelqu'un qui se contentait d'un petit atelier plutôt que d'un gigantesque entrepôt.

- Je vous comprends. La chair humaine est particulièrement répugnante. Tout comme ce qui pue la mort. Malheureusement, Porcelaine se doit de faire ces concessions avec elle-même. Comment je vais ?

Elle soupira.

- Je suis étonnamment heureuse. Ma tête n'est qu'un vil brouillard, je me terre comme un rat. Callirrhoe meurt de faim et je ne suis à la tête de rien. La seule qui est à sa place est Rannilaine sur votre épaule. Et pourtant, je me sens bien.

Elle se frotta la tempe avant d'ajouter :

- Vous fréquenter permet de combler une des principales faiblesses de mon être. Je doute que cela me rende plus humaine. Mais ça me rend plus forte. Vous me donnez le pouvoir d'obtenir ce que je convoite. Je sens qu'une de nous se réveille enfin. Une créature capable de se battre pour nous. Une chasseuse. Je peux être planificatrice, gastronome, narratrice, et une spotteuse, mais ce qui nous manquait, c'était les mains qui amènent la toile à son artiste. Vous me la donnez.

Porcelaine soupira avant de dire d'une voix lancinante :

- Vous faites de moi un monstre. La monstruosité est inhérente à l'être humain. C'était une des qualités qui me manquaient, moi qui suis si douce et vulnérable. Une bête poupée de porcelaine.

Gênant, brouillon. En effet, on ne saurait mieux dire. Ce pouvoir était récent et elle-même n'avait pas idée de comment elle le gérait. Tout avait sa propre porcenalité en elle, ses propres pouvoirs, pensées... son sensei voulait qu'elle soit plus grande. Plus forte ! La poupée se tenait droite et regardait le repas avec une pointe de dégout. Au pire ce n'était pas à elle de manger. Sa posture changea radicalement. Elle posa ses coudes sur la table, se pencha en avant et commença à manger goulument et bruyamment. Athénaïs n'était pas une enfant prodige, mais il y en avait une qui savait tirer profit de ces compétences. Il lui fallait juste plus de temps d'existence. Celle-ci cessa de manger et leva les yeux. Elle tourna le regard vers Rannilaine et la fit parler par ventriloquie :

- Tu lui as dit ?

- Oups !

- Petite peste.

- On peut le dire, maintenant que Clémence est morte.

La poupée ressentait la colère en elle.

- Sale gamine.

Athénaïs, la main tremblante déboucha la bouteille et commença à servir, se tenant droite de nouveau et conservant son élégance naturelle.

- Si nous avions caché que le mari de Clémence était en vie, c'était pour la protéger. Nous protéger. Elle aurait voulu le tuer, et prouver ainsi qu'il avait raison et nous aurions été internées. Il nous a volé nos idées. Il a initié le divorce. Il a fui avec notre empire et nous en a déshérité.  

Rannilaine se mit à rire.

- N'en parlez plus. Laissez le passé au passé. Beaucoup d'entre nous ne supportent pas ce sujet. Maintenant, je vous ordonne de manger.

Elle le défiait du regard, pendant que Rannilaine riait encore.

Cet homme se prenait vraiment trop pour son père. Dans le regard d'une poupée Porci bien agacée se lisait encore plus d'agacement à ne pas savoir laisser ses plus bas instincts se répandre. Mais après tout, elle n'était qu'une poupée. Elle devait être obéissante à son marionnettiste. Quelle cruauté. Uniquement du Coca Cola et du café. cela devait être un enfer pour un agent communiste comme lui. Il était un homme qui prenait ce qu'il voulait.

- Nous n'avons jamais payé pour ce que le impies appellent nos... crimes. Il y en a toujours une pour veilleur sur l'autre. Et vous et vos amis nous avons beaucoup aidées à ne pas avoir à faire face à ce que le monde veut que nous faisons face.

Elle poursuivit de manger. Sa main tremblait. Porcelaine la regarda jusqu'à ce qu'elle se calme. Elle en était plutôt fière, au final, de ne jamais avoir eu à payer de ses crimes. C'était un moment qui allait avoir une fin. Alors que beaucoup ne verraient aucun inconvénient à voir Frederick Sinclair mourir, Athénaïs jeta un regard noir à son sinistre interlocuteur.

- Ne touchez pas un seul cheveu de mon mari.

Elle réalisa ce qu'elle venait de dire, baissa les yeux.

- Euh. Du mari de Clémence. Enfin, de son ex-mari. Vous m'avez comprise. On ne peut pas juste le tuer. Ils sauront que c'est nous. Il sait que la faucheuse viendra à sa porte bientôt, et que ce sera moi qui y sera. Si ça se passe ainsi, alors.  Je ne dois pas tuer Frederick Sinclair. je ne dois pas tuer Frederick Sinclair.

Porcelaine se mit à trembler. Et à paniquer.

- Je ne dois pas tuer Frederick Sinclair.  Je ne dois pas tuer Frederick Sinclair. Il faut que nous remettions la main sur Thêta. Nos Ingénieurs ont déposé un nombre monstre de brevets, qui touchent à l'armement. Si je le tue, alors ce sera impossible. Il faut trouver un autre moyen de prendre la tête de l'entreprise. Pas tuer Fred. Freddy. Pas mourir. Euh.

Elle ouvrit grand les yeux.

- Euh... ? Enfin. Euh. Athénaïs doit prendre la tête de Thêta. Nous aurons des armes, des technologies. Du pouvoir... et THÊTA M'APPARTIENT. C'EST CLÉMENCE QUI A EU L'IDÉE. ELLE L'A EUE, ELLE. Il n'a fait que l'exploiter. C'était à eux deux. Mais s'il meurt ! Ce sera qu'à elle. Elle est l'héritière. Il doit mourir, mais elle doit JE DEVONS DEVENIR L'HERITIERE. REPRENDRE CE QUI NOUS EST DÛ. De Thêta.

Porcelaine se calma d'un coup.

- Athénaïs héritière. Frederick meurt. Pas l'inverse. Thêta à Porcelaine. Des technologies pour nous. Être plus intelligente, que juste tuer. Mais comment ?

La poupée se mit à rire doucement, de façon sporadique.

- Il pensait que nous étions folles. Clémence sous curatelle, et toutes les parts seraient à lui. Elle a refusé. Mais le nom de Clémence Sinclair y est toujours. Il nous faut juste... être un tout petit peu moins folles... hi hi hi hi. Et lui, en effet, un tout petit peu moins vivant. Et Thêta nous appartiendra, hi hi hi hi.

La poupée mangeait, laissait le fuel rejoindre ses entrailles et le gout contenter l'artiste en elle. Sa façon de parler très imagée parlait énormément à l'artiste, mais pour elle, cela sonnait pratiquement comme quelque chose d'aggressif, de petites attaques passives-aggressives à son égard. La poupée mangeait calmement, écoutant sagement son sensei parler, sa respiration se voulant calme, son regard froid comme à son habitude.

- Je suis à cours de ressources. Et peut-être n'est-ce pas le moment adéquat pour accomplir de pareilles choses, nous ne parvenons à peine à nous nourrir. Mais il s'agit en effet d'un plan que nous devons fomenter. J'aurai besoin de votre aide pour cela.

Elle termina son assiette avant de soupirer longuement. D'un coup, elle semblait plus calme qu'avant, son regard toujours autant vide dressé contre le fond du mur.

- Il nous faut du temps et du pouvoir, deux choses dont nous manquons terriblement en ce moment, monsieur Lee. Ce repas était délicieux. Laissons cela de côté tant que nous avons autant de choses plus importante à régler. Vous ne pensez pas ?

La poupée se leva et débarrassa son assiette. Cette situation la harassait complètement. Elle, si faible, sans antres où se terrer sans pouvoir, sans argent. Elle devait se refaire, et les Chinois l'aideraient. La Poupée avait été construite pour soumettre les humains à sa botte. C'était là son projet, car elle était parfaite, une parfaite petite poupée. Et pourtant, même auprès de lui, elle se trouvait extrêmement vulnérable. Surtout près de lui.

Que de mots et que d'images. La poupée gardait ses yeux grands ouverts par la justesse de ses paroles. Il fallait frapper, il n'y avait pas le temps de niaiser. Elle serrait les dents avant de se relever. Du temps. Il lui fallait du temps. Les Porcenalités s'entremêlaient, s'entredéchiraient dans sa tête. Elle perdait tellement d'énergie à les remettre à leur place, chacuen séparée, chacune en harmonie l'une avec l'autre mais séparée toute décollée l'une à l'autre et pourtant elles s'embrouillaient dans sa tête. Elle perdait le contrôle alors qu'une ombre qu'elle savait loin et pourtant si proche planait au-dessus d'elle.

Debout, la poupée se stabilisa, croisant son regard avec celui de Lee.

- J'ai tout compris. Je n'ai plus faim. Je n'ai plus rien à re faire ici. Je vais prendre l'air.

Elle devait sortir la bête. Par la bête elle n'entendait pas sa bite, mais bien une petite soif de sang qui provenait d'elle ne savait où.

- Nous nous retrouvons à l'heure habituelle pour notre prochain entraînement. Au revoir, Lee.

La jeune femme tourna les talons et aussi élégante qu'elle le fut toujours, fuit.