Maestra ne se serait jamais laissée faire. Maestra ne se serait jamais retrouvée au bord de la mort. La voilà qu'elle était aux Dixon Docks, par mission du chef. Elle venait de sortir de l'hôpital. C'était trop pour elle. Heureusement, elle avait eu du soutien psychologique et on se pliait en quatre pour qu'elle aille mieux. Mais la vie était dure, et sa foi en l'humanité limitée. Maestra voulait faire triompher la justice dans la ville. Aucune femme ne devrait craindre d'être attaquée par des mastodontes avec une batte. Maestra ferait tout pour que ça n'arrive pas. Mais pour le moment, il fallait se concentrer sur sa mission. Quelque chose d'inattendu, mais de tout simple. El Padre prévoyait d'autres attaques contre les miliciens, avec la Tégénaire. Maestra ne pouvait plus combattre, elle avait besoin d'un remplaçant. Idéalement. Ou de quelqu'un pour aider le groupe, une autre paire de bras car les ressources autant humaines que matérielles se faisaient rares.

Et bien évidemment, ils ne s'en occuperaient pas eux-mêmes. Probablement qu'il faille un joli bout de femme pour l'appâter, qui sait ? C'était pas la petite Maestra qui marchait comme un pingouin avec ses côtes brisées qui allait pouvoir agir en ce sens, mais soit. Elle était même venue en voiture car monter en moto lui était difficile. Grifter devrait selon ses sources se retrouver dans les docks, à l'affut du King Kraken. Une zone dangereuse, mais Azzurra pourrait s'y infiltrer sans mal. Il ne lui faudrait que rencontrer cet homme, le convaincre de venir, et ensuite elle pourrait rentrer.

Elle réajusta son masque d'or et portait un gilet pare-balle qui lui permettait de maintenir son dos et risquer d'être blessée, ainsi qu'un pantalon tactique noir. Elle avait sur elle une arme de poings à la ceinture, dont une létale dans son sac. Se mouvant dans le noir, elle recherchait sa cible, sans trop savoir où il était. Où pourrait se cacher un justicier pour traquer ? Oh... là-haut ?

Se hissant péniblement, elle grimpa jusqu'à une zone surplombant celle d'attaque. Il était là, avec son masque rouge. Visiblement, il voulait attaquer ce conteneur à munitions. Ses sources étaient bonnes. Elle s'approcha et appela doucement, d'une voix métallique.

- Bonsoir. Je suis Maestra, le Masque d'Or. Je suis une justicière. Vous êtes Gifter ? J'imagine que c'est pas le moment, mais j'aurais un job à vous proposer. On cherche des hommes pour lutter contre le Gant Noir. Enfin. L'heure n'est pas à la discussion.

Elle avait préparé son texte pour ne pas avoir l'air trop imbécile. Certaines phrases lui paraissaient bizarres.

- Je vais vous aider à faire ce que vous comptez faire.

Elle boita doucement jusqu'à lui. Sur ce coup-là, sa tentative de se montrer utile risquerait d'échouer.

- On va piller une cargaison ?

Maestra tentait de rester calme et mesurée, professionnelle, mais cet homme avait l'air de plus près bien plus flippant que El Padre lui-même. Sous ses lentilles, son regard brillait alors qu'elle croisait le regard de l'homme masqué, et dans sa posture, elle se faisait toute petite et impressionnée. D'impressionnant hématomes maculaient encore son visage, alors la Justicière avait opté pour un masque le recouvrant entièrement, mais ses grands yeux bruns et son regard impressionné restaient parfaitement discernables.

EPSILON

Est-ce que Maestra avait l'habitude d'être braquée avec une arme ? Elle était tétanisée. La première fois, elle était encore une adolescente. Des affaires de petites racailles à Rome, des jeunes mafieux. Son esprit s'était comme déconnecté, elle s'était contentée de simplement lever les mains et espérer ne pas mourir. A Gotham City, ça lui était souvent arrivé à cause des cartels. Passé un moment, Azzurra avait espéré qu'ils tirent. Cela n'était jamais arrivé. Cet homme était un tueur, s'il voulait la tuer il l'aurait fait. Il dit s'appeler Grifter, c'était lui. Et il énuméra son plan. Azzurra observait les docks et sembla pensive. Ce serait très acrobatique pour ses côtes cassées, et la jeune femme ne déprécierait pas de reprendre un peu d'anti-douleurs.

- On va les attaquer pendant le transport. Je sais où ils se dirigent, alors je vais simplement les intercepter dans la rue la plus déserte que j'ai trouvée, où on ne sera pas dérangés pour notre... braquage... en bloquant la route. Je vais brouiller les signaux téléphoniques et Internet, on sera tranquilles pour faire ce qu'il y a à faire-

Elle pourrait bloquer la route avec des véhicules, et demander El Padre et la Tégénaire en renfort si ça ne fonctionnerait pas. Elle avait tout le matériel nécessaire prêté par EL Padre pour bloquer le réseau - un petit cadeau des cartels très certainement, elle avait vu les mêmes du temps où elle travaillait pour eux -dans son véhicule qui avait été renforcé, blindé et préparé pour ce genre de missions. Elle en avait l'habitude, et en restant assise au chaud, elle serait plus efficace qu'en se jetant dans ce bourbier et en s'infiltrant. Elle attendit un moment, réfléchit. Lorsqu'elle reprit la parole, son excitation ou peut-être la peur, ou le fait de parler vite et d'avoir des idées partant dans tous les sens faisaient qu'elle choisissait moins ses mots et laissait transparaître un accent italien. En fait, ses gestes que Maestra tentait de contenir faisait apparaître plus qu'un accen italien.

- On pourra avoir toute la cargaison si on prend le contrôle du camion et on emmène en lieu sûr. Ils ont un suivi GPS du convoi, il faudra faire vite les choses. Si on bloque le véhicule trop longtemps, ils tenteront de prendre le contact, et comme tout sauf le signal GPS sera bloqué, ils pourront se douter que nous avons fait un problème, et envoyer les renforts. C'est pourquoi je devrai rapidement prendre le contrôle du signal GPS émis et donner signal qu'il suit bien sa route.

Elle était toute fière d'expliquer tout cela, comme si elle s'y connaissait, en vérité la Tégénaire qui était le spécialiste du domaine avait passé des nuits blanches à lui faire comprendre toutes ces histoires de signaux pour qu'elle puisse les utiliser pour son travail de Justicière.

- Je me fais comprendre ? Ce que vous allez faire c'est simplement vous infiltrer. Quand le véhicule sera à l'arrêt face à mon barrage, on en prendra la contrôle. La partie technique, je vous laisse vous pencher dessus. Je vous aiderai à combattre dans ... la limite de mes capacités.

Maestra soupira dans un soufflement rauque.

- Je ne suis pas au top de ma forme, je suis vaguement tombée des escaliers. Ca vous va ? Pour communiquer, euh.

Maestra lui tendit une oreillette, vaguement fabriquée main.

- C'est crypté. Dernière technologie qui sera dans le marché quand on aura breveté et fait tous les étapes de la fabrication.

Elle lui expliqua vaguement le fonctionnement avant de lui faire un double thumbs up et partir en sens inverse pour rejoindre son véhicule, avant de disparaître dans la nuit. Sa douleur aux côtes était terrible. Maintenant qu'elle s'était échauffée, ça allait un peu mieux, mais sur le chemin vers la rue qu'elle voulait, elle refroidissait et la douleur revenait. Elle se gara à moitié sur un trottoir une dizaine de minutes plus tard, avant d'en sortir, regarder autour d'elle, trouver un conteneur qu'elle poussa au bord de la route, prête à le déployer pour bloquer le passage.

Maestra se préparait à agir, prête à tirer, prête à faire ce qu'il y avait à faire.

EPSILON

Parfait. Il avait accepté son petit plan. Il fallait dire qu'il avait été poncé. Maestra espérait que le plan fonctionne conformément à sa volonté. Cela prouverait qu'elle était capable de planifier des choses seules. Après cet accident, ayant dû lutter jusqu'à son dernier souffle au sens le plus littéral du terme, Maestra s'était mise en tête de chercher à devenir indépendante. De pouvoir aller à son rythme, de défendre ce qu'elle voulait défendre et surtout dépendre de personne... elle acquiesça, toute contente et disparut dans la nuit pour rejoindre son véhicule, qu'elle démarra. Maestra avait appris le chemin par cœur, elle n'avait le droit à aucune hésitation et il n'était pas question de se faire administrer du stress inutile en en prenant pas un maximum d'avance.

Ses mains étaient moites. La jeune femme réajusta son masque et ses lentilles pour mieux y voir dans le noir sans être aveuglée par les phares du camion qui allaient apparaître. Les rues étaient désertes. Il était particulièrement dangereux de s'aventurer là avec tout ce qui se passait. Y compris en étant véhiculé. Le camion arriva et pratiquement au dernier moment, elle poussa le conteneur qui s'arrêta au milieu de la route alors qu'au même moment, elle activa le brouilleur de signal. Nuit noire pour les fréquences les plus utilisées. Personne ne sortait du camion. Patience. Finalement, ne voyant rien débarouler, l'homme qui était à la place du fusil à pompe et qui avait réellement au fusil à pompe descendit du véhicule pour pousser le véhicule.

Maestra le tasa par derrière. Il hurla, tomba au sol en convulsant. L'autre homme démarra le camion en trombe. La jeune femme se rua sur le véhicule et alors qu'il prenait de la vitesse tout en cherchant son flingue le tasa lui aussi avant de se jeter sur lui et pousser son pied pour qu'il lâche l'accélérateur, tout en tirant le frein à main ce qui arrêta le véhicule brutalement. Le conducteur se défendit en tentant de la repousser de la main. Elle saisit son bras et d'une force inespérée parvint à le tirer de son siège. Peut-être parce qu'il était frêle, mais en tout cas elle était parvenue à le dégager. Il se mit à hurler, elle chuta avec lui en bas du camion et le rua de coups alors que d'autres se mirent à sortir et que les premiers coups de feu se firent entendre.

Il lui restait quelques secondes pour lui exploser le crâne à cet enculé. Alors, elle battait.

EPSILON

Grifter avait évidemment moins une philosophie de gentillesse que Maestra. Des balles pleuvaient, et Maestra serrait des dents, fermait les yeux, voire se bouchait les oreilles à chaque coup de feu, tant elle en avait peur. Lorsque l'homme sous elle avait plié sous ses coups, que son visage ne soit plus qu'une bouillie infâme - il fallait dire que ça défoule - elle roula sur le dos et se releva, se frottant les jointures des mains avant de se mettre à couvert le temps de prendre conscience du chaos autour d'elle. Vu les coups de feu tirés, il vaudrait mieux ne pas se prendre de balles perdues.

Ce serait une façon idiote de mourir. Un bruit de choc puissant, comme si on avait frappé quelque chose de métallique la ramena à elle alors qu'elle restait recroquevillée à couvert. Elle sortit discrètement de sa cachette et vit son acolyte à terre, lui et tout pleins de cadavres. L'homme se mit à charger, tremblant, pendant que la tigresse fila d'un pas rapide pour le sucker punch par derrière avant même qu'il eut le temps de l'entendre, de l'anticiper, de la voir. Il tomba sur le côté, cognant le côté de sa tête sur une poubelle qui vint se fermer sur lui. La jeune femme saisit le pistolet du bout des doigts avant de le donner délicatement à son ami au sol. Là, le silence. Elle se jeta sur lui et vérifia son gilet pare-balle pour voir s'il n'était pas blessé. Sa voix métallique demanda :

- Pas blessé ?

Voyant qu'il n'y avait rien, elle le remit sur pied et remit en ordre son costume parce que il devait rester au top de sa classe. La jeune femme croisa les bras contre elle et saisit son téléphone pour y vérifier quelque chose.

- C'est bon. Le véhicule suit sa route selon le GPS. En vérité il est OFF THE GRIDE. On doit aller au point de ralliement, en tout cas partir d'ici très vite avant qu'ils se rendent compte que le véhicule n'arrive pas à destination car ils vont venir. Ca veut dire être loin de la trajectoire en moins de vingt minutes. Vous montez ? Vous avez besoin d'aide ?

La jeune femme tendit sa main fine à Grifter et l'invita à monter sur le siège passager pendant qu'elle montait dans le siège conducteur, après avoir refermé l'arrière du camion. Il y avait des caisses, tout plein, c'était une cargaison énorme. S'il s'agissait d'armes d'essence et de nourriture, ce qui devait être le cas, il y aurait suffisamment pour un mois, ou deux. Le véhicule verrouillé, elle monta sur le siège conducteur auprès de Grifter et partit loin de la trajectoire.

Lalo et quelques hommes devraient l'attendre dans le quartier, prêts à réceptionner la nourriture. Elle n'avait pas l'habitude des camions et ne conduisait pas très bien, n'ayant jamais eu le permis mais plutôt conduit de façon parfaitement illégale, mais elle devait arriver à long terme.

- On vous paiera, et vous pourrez prendre votre part de marchandise. Vous vous êtes bien battus, vous êtes très fort.

L'argent n'était pas vraiment un problème en ce moment.

- Je suis désolée de pas avoir pu aider plus. J'aimerais travailler encore avec vous et devenir plus forte. Comme vous. dit alors Maestra, un peu fatiguée et encore stressée, terrorisée à l'idée de voir des gens poursuivre le camion. Le plan était parfait jusque là ce serait dommage qu'il échoue aussi près du but.

EPSILON