Encore une nuit, semblable à toute les autres à Gotham. J’observe à l’affut, là haut, assis sur l’une des plus hautes tours de la sombre métropole. Ce soir encore, j’étais de service, en réalité, je le suis depuis toutes les nuits depuis mon retour dans la Ville Noire. Quelques malfrats ici et là, un braquage de banque, une dame âgée à qui faire traverser le passage piéton ; j’étais sur tous les fronts. Rien de particulièrement exaltant à se mettre sous la dent, je ne m’en plaignais pourtant pas. Peut-être même pourrais-je prendre un RTT à l’occasion ; dormir une nuit entière ? Le doux rêve… Bien que, je savais pertinemment que j’occuperai cette nuit à d’autres distractions plus terre à terre pour le commun des mortels. Je devrais également penser à prendre avec moi un thermos pour m’accompagner dans ces nuits froides, un qui tiendrait dans la poche serait le rêve… Je penserais à mettre sur papier un prototype de la création que j’avais en tête… Lucius serait certainement ravi de voir cela sur son bureau à la première heure demain matin, j’en suis sûr !

Un bruit sourd provenant d’une ruelle adjacente à ma position, vint me sortir de mes élucubrations sarcastiques… Je n’étais pas sûr de ce que j’avais entendu. Pour tout ce que j’en savais, cela aurait très bien pu être un simple chat qui renversa une poubelle lorsqu’il en sortit en quête de rongeurs qui infestent les rues de la ville. Je haussais rapidement les épaules avant de me lever de mon perchoir. Il n’y avait pas d’activité en cet instant précis, je pouvais donc très bien aller jeter un coup d’œil et revenir à ma position en l’espace de quelques minutes. A l’aide de mon grappin, je me balançais de toits en toits pour arriver rapidement sur les lieux de l’origine de ce bruit. Une petite ruelle, à l’allure sombre et sinistre, qui à la réflexion me rappelait tant de rues à Gotham, se présentait en dessous de moi. A première vue, rien d’anormal jusqu’à ce que je remarque cette silhouette féminine jonché sur le sol et que j’entende des rires s’approcher dans sa direction.

Le comportement de cette personne était d’ailleurs des plus déroutants, que faisait-elle donc, dans la crasse et les débris, à s’amuser telle une enfant innocente ? N’était-elle pas soucieuse du danger qui la guettait ? N’était-elle pas la demoiselle en détresse que le preux chevalier devait secourir ? Décidément, il ne fallait plus que je ne m’étonne dans cette ville…

J’attendais maintenant mon heure, je souhaitais mettre la main sur ces énergumènes qui s’en prenait à une femme sans défense ! Il était de mon devoir de les arrêter avant qu’ils ne recommencent mais, aussi pour qu’ils soient traduits en justice pour les fautes qu’ils avaient commis. Libre à eux ensuite de réfléchir et de faire un autre choix de vie par la suite ou de recommencer… Je connaissais malheureusement très bien l’option qui serait prise. Les voilà donc, ces sombres animaux au coin de la ruelle, eux qui s’approchent et qui rient tels des hyènes s’apprêtant à déguster le repas le plus facile de leur vie. Ils ignoraient qu’une ombre rodait au-dessus de leurs têtes. Je les regarde, je les jauge et je les toise, j’essayais d’en apprendre un maximum de mes futurs adversaires. Eh bien, demoiselle mystérieuse, il semblerait que tu te sois attiré les foudres de la mauvaise personne… Je reconnais ces peintures faciales imprégnées de spectacle et de pitreries… Les sbires du Joker.

Face à cette information, je m’élançais dans le vide à cape déployée. Cette dernière me permit ainsi de planer discrètement pendant quelques instants. Mon but ? Atterrir sur le front de l’un d’entre eux et de m’occuper du reste aussi rapidement que possible. La première partie du plan fonctionna sans accroc. Le malfrat que j’avais ciblé ne s’aperçut de rien jusqu’au moment ou quelque chose de lourd et caoutchouteux vint rencontrer sa tempe. Mes deux pieds en avant venaient de faire leur office en l’assommant. J’en fauchais rapidement un autre avant de m’occuper du troisième larron qui courrait vers moi, couteau à la main. Je m’empressais d’esquiver la lame et de saisir ce bras tendu qui ne demandait qu’à être contré. D’un mouvement rapide et lourd, je m’aidais de mon dos et de mon épaule pour le projeter à travers la ruelle.

C’est au moment précis de l’impact de ce sbire contre le mur que j’entendis une rafale de fusil semi-automatique et les balles qui sifflèrent près de moi. Je pensais d’abord à la sécurité de la civile ici présente, je ne pouvais pas me permettre qu’une balle perdue lui coûte la vie. Sans attendre, je me ruais dans sa direction avant de la soulever. Je n’attendais pas sa réaction ni même ses griefs si elle en avait ; il fallait rejoindre la sécurité relative des hauteurs. Je tirais ainsi sur le déclencheur de mon grappin. Nous nous envolions alors dans les cieux sous une pluie de minutions qui manquèrent leurs cibles.

« De véritables Stormtroopers, pas vrai ? »

J’avais tenté un trait d’esprit pour dédramatiser la situation et peut-être apporter à la demoiselle un léger sentiment de sécurité et de sérénité. J’avais loisir d’observer cette personne d’un peu plus près pendant cette courte virevolte… Blonde avec les pointes colorées, plutôt jeune, elle avait l’air d’avoir subi quelques traumatismes ici et là. Rien qui ne saurait lui être fatal ; dans le pire des cas, il lui faudrait peut-être deux ou trois points de suture. J’entendais maintenant les sbires s’égosiller en bas, trop loin pour que j’en discerne quelque chose.

Je pose alors mon colis aussi délicatement que possible sur le toit de cet appartement. Je jette d’abord un coup d’œil sur cette blessure à la main, entaillée par un épais morceau de verre. Je lui prodigue donc rapidement les premiers soins, désinfectant et bandage à l’appui. Ma main vint alors se poser sur ce front où une nouvelle entaille se trouve. Elle ne semble pas avoir de fièvre, une bonne chose, qui sait ce qu’elle aurait pu attraper en restant davantage de temps ainsi dans cette ruelle… J’essuie ce visage maculé de sang pour révéler les charmes de la demoiselle et une certaine familiarité dans ses traits.

« Vous allez… Bien ? »

Ma question était restée quelques instants en suspend devant ce visage qui semblait empreint de confusion et de folie… Je me rendais enfin compte de qui j’avais en face de moi… Comment ne l’avais-je pas tout de suite réalisé ? J’aurais dû faire le lien entre elle, son comportement plus tôt et les sbires… Aurais-je réagi différemment ? L’aurais-je laissé se faire tabasser ou pire pour des raisons que je ne comprenais pas encore ? Non, j’essaie de sauver tout le monde. Que vous soyez Madame Smith ou Harley Quinn, cela ne fait aucune différence.

De multiples questions trottèrent dans mon esprit, encore une fois mes méninges tournaient à plein régime. Je voyais encore cette lueur dans ses yeux, cette folie qui l’animait, qui la consumait ; tout était la faute du Joker. Cet homme qui l’avait manipulé, transformé, aliéné pour en faire sa partenaire de crime. Que faisait ici la demoiselle aux cheveux couleur paille et aux mèches colorées ? Pourquoi la poursuivait-on ? Comment n’était-elle pas à Arkham ? Un endroit qui pouvait lui conférer les soins psychiatriques dont la demoiselle avait clairement besoin. Sans doute n’aurais-je pas les réponses auxquelles je m’attendais…

Elle allait bien me répondit-elle, ce n’était pourtant pas le sentiment que j’avais dans ce genre de situation. Comment pouvait-elle aller bien ? Elle venait de se faire agresser et probablement passée à tabac par les gorilles de la ruelle… Le sang et les écorchures me disaient tout le contraire de ses propos. Je la savais forte et résistante mais il y avait des limites à ce qu’un corps pouvait subir… Je la regardais se relever félinement, comme si de rien n’était, comme si tout ce qui venait de se produire n’appartenait qu’à un songe d’une nuit agitée…

Comment pouvait-elle me remercier ? Je ne cherchais pas la gratitude, ni même le respect de cette femme qui avait commis tant d’atrocités par le passé. Je devrais la menotter et la livrer aux autorités compétentes de la ville ; il saurait probablement quoi faire d’elle. Cependant, il n’y avait un je-ne-sais-quoi qui me chiffonnait l’esprit, quelque chose ne tournait pas rond et, ce n’était pas que le cerveau malade de la demoiselle. Un mystère de plus à élucider pour Timothy Jackson Drake Wayne, une enquête de plus pour Red Robin. Sans doute devrais-je jouer un jeu serré avec Harley pour comprendre de quoi il retournait.

« Commence par m’expliquer ce que tu fais ici et pourquoi te poursuivait-on… De mémoire, ce n’est pas dans tes habitudes de jouer les proies pour d’autres bandits… Peut-être cela a-t-il changé depuis que je suis parti… Je vois des ennemis d’hier se transformer en allié et inversement… Raconte moi Harley, que t’est-il arrivé ? Je souhaite comprendre, te comprendre avant d’en tirer les conclusions et aviser sur la suite… De cette conversation dépendra mes actes futurs à ton égard… »

J’avais vu des choses bien étrange depuis que j’étais revenu à Gotham, comme Harvey Dent passant à nouveau du bon côté de la barrière… Plus rien ne me surprend, du moins je le croyais fermement… Peut-être arriverait-elle à m’étonner une fois de plus ? Je n’avais pas menti dans mes propos, de ses réponses dépendrait son sort ce soir, qu’elle pèse habilement le pour et le contre de ses paroles. Je me tenais toujours accroupi à l’observer du regard, quelque chose me disait qu’elle pouvait me donner quelques informations que je n’avais pas en ma possession. Pourtant, Je ne serai pas non plus d’humeur à écouter des balivernes ou les inepties d’une personne malade. En cette nuit, Je serai l’avocat, le procureur et le juge… La séance pouvait commencer.

Ses mots faisaient écho à mon esprit, pour une fois elle faisait du sens et je comprenais parfaitement ce qu’elle voulait dire… Oui, bien que ma chère et tendre ville soit en apparence la même, il suffisait d’en gratter la surface pour se rendre compte que Gotham avait effectivement changé. Je m’étais trompé, je pouvais encore me faire surprendre, Harley Quinn faisant la leçon à Timothy Drake… Quelle ironie, vraiment.

Ainsi donc Harley Quinn avait perdu son Pudding… Voilà quelque chose que je ne m’attendais certainement pas à entendre. Malgré la relation destructrice, malsaine, entre elle et le Joker, il m’était difficile d’imaginer l’un sans l’autre. Une asiatique serait la nouvelle compagne du clown dérangé ? Cette femme doit sûrement être tout aussi dérangé que lui… Si ce n’est plus pour trouver une attirance sentimentale envers le pire criminel de la Cité Noire. Peut-être cette personne avait-elle été manipulé par le Joker tout comme la demoiselle qui se trouvait devant moi… Il faudra que je me renseigne quant à l’identité de sa nouvelle collaboratrice et évaluer le potentiel danger qu’elle représentait pour Gotham.

Elle me parlait ensuite de ses amis et la distance qui s’était installé entre elle et eux… J’imaginais que l’un de ces personnes n’était autre que ma nouvelle belle-mère, Sélina Kyle maintenant Wayne… J’avais bien reçu le carton d’invitation que j’avais jeté aux ordures d’un revers de la main… Encore une fois, je pouvais me mettre d’une certaine façon à sa place ; la seule différence étant que c’est moi qui les aie abandonnés pendant un temps avant de me retourner… Je ne les avais pas encore tous recroisé, j’ignorais même si j’avais le courage de franchir la porte et de faire le pas vers eux… Seul le temps et ma volonté pourraient me donner cette réponse… J’arquais un sourcil lorsque j’entendis le pseudonyme de mon frère… Dick et Harley ? Copains comme cochons pendant un temps ? Cela me semblait difficile à avaler… Qu’est-ce qu’il se passait donc dans cette ville ?! Je n’y comprenais décidément plus rien ! Ma main gantée sur le front, Je finis par m’esclaffer d’un rire guttural et nerveux à la fin de son monologue.

« Désolé mais, je trouve ça extrêmement drôle… Toi ? Harley Quinn ? Eviter la criminalité ? Et tu aurais même une crise existentielle ? J’ai vraiment l’impression d’être entré dans une dimension alternative !! Je ne sais même pas si je peux te croire… En admettant que tu me dises la vérité, pourquoi ? Pourquoi cette envie de changement ? Je croyais que tu te complaisais dans cette vie de criminelle… Tout ceci n’aurait pas un rapport avec le Joker ? Tu te sens perdue sans lui, j’ai raison ? Admettons encore une fois une hypothèse… S’il revenait demain vers toi… Qu’est-ce que tu ferais ? Ne te jetterais-tu pas dans ses bras à la première occasion ? »

Je soupirais avant de m’asseoir à ses côtés… Ses problèmes semblaient à première vue réels… Après tout, on ne se faisait pas agresser sans raison même si on s’appelait Harley Quinn… Pour une raison obscure, j’avais envie de m’intéresser à cette personne désemparée et en fuite.

« Parle moi d’eux… Parle moi de ces ennemis dont tu faisais mention, que leur as-tu donc bien fait pour qu’il s’en prenne à toi ? Je ne pense pas que tu ais simplement volé le hochet de l’enfant d’un des parrains de la pègre… Tu n’as sûrement pas envie d’en parler… Surtout à moi… Mais qui sait ? Je pourrais peut-être trouver un moyen de… T’aider…

Je n’arrivais pas à croire que j’avais prononcé ces mots… Mon estomac s’était noué, une sensation de piqure qui me parcourait le ventre à de multiples reprises… Mon expérience et les événements passés qui me criaient de tout simplement l’arrêter et de la placer dans une cellule capitonnée à Arkham… Mon instinct cependant me disait que je pouvais placer un certain degré de confiance en la supposée Harley Quinn repentie… Après tout, Dick avait peut-être fait la même chose l'espace de quelques jours ou de quelques mois. Red Robin qui tendait la main à ce qu’il considérait être une criminelle… On aura tout vu… Ouais, j’étais définitivement dans une dimension alternative…

Je pouvais effectivement voir les différents problèmes que la simple évocation du nom de la demoiselle malicieuse pouvait engendrer. Comme je l’avais songé précédemment, les ennemis ne devait pas lui manquer. J’arquais légèrement un sourcil à la suite de ses mots. Il n’y avait pas besoin de se travestir en Harley Quinn pour que cette communauté connaisse les embrouilles, pour reprendre les termes de l’aliénée. Je chassais rapidement ces pensées de mon esprit, je n’étais pas là pour disserter des problèmes de société…

Je regardais maintenant le trouble qui se lisait sur son faciès… Ses doutes, ses peurs, ses envies… Un cocktail hautement instable qui pourrait bien nous péter à la figure si on n’y prêtait pas attention… Elle me demandait mon opinion sur sa situation et sa… Création. Mon expérience et ma connaissance du sujet seraient peut-être importantes pour la conseiller, l’influencer.

« Tu veux mon avis ? Sans langue de bois ? Il a fait de toi ce que tu es, c’est indéniable. Est-ce que ton destin et tes choix sont entre ses mains ? Inimaginable. La créature de Frankenstein ne s’est-elle pas rebellée contre son créateur ? Tu es maîtresse de tes choix malgré tous les problèmes que tu rencontres. Tu n’es pas obligé d’être le pantin de quelqu’un qui t’a utilisé, manipulé pour accomplir ses propres envies malsaines… Je comprends que tu veuilles lui trancher la gorge mais tu sais très bien ce que l’on pense du meurtre… Ça ne te rendra pas ce qu’il t’a pris… »

Je n’avais jamais tué, je ne savais pas la sensation procuré par un tel acte ; je ne pouvais simplement que me l’imaginer. Pourquoi pouvais-je me l’imaginer ? Tout simplement parce que l’idée m’était venu à l’esprit à de maintes reprises. Ça serait si facile de lâcher prise, de céder et de se réjouir dans cette euphorie, cette adrénaline qui amplifie toutes les sensations du plaisir. Et après ? Qu’est-ce qu’il se passerait une fois le meurtre commit ? Je ne pourrais voir que le poids de la vérité, j’aurais tué une personne de sang-froid et, je devrais vivre avec ma culpabilité pour le restant de mes jours. Cette simple idée me donnait un avant-goût de la bile qui me monterait le système digestif…

« Tu peux être libre sans le Joker, regarde, il n’est pas là et le ciel ne t’es pas tombé sur la tête. Ça ne te fait pas du bien de pouvoir enfin décider par toi-même ? Sans réprimandes, sans coups ni blessures de la part d’un autre… Crois-moi, il n’y a rien de mieux que le libre arbitre… Alors, qu’est-ce qu’Harley Quinn veut vraiment ? Un rêve à réaliser ? Un endroit à visiter ? Une série à regarder ? Les possibilités sont infinies… »