« Ce… Ce n’est pas ma cellule ? »

Le garde ne répondit pas à la question de l’interné. Son visage était aussi stoïque que celui d’une statue, sans toutefois être dénué d’émotion. L’expression sévère qu’il arborait sur son regard fit comprendre au prisonnier qu’il ne trouverait aucune réponse de sa part. Mais même si l’interné savait que ces questions étaient vaines, il ne pouvait s’empêcher de les poser. Pourquoi parmi tous les prisonniers présents dans cet asile, il a fallu qu’un garde le prenne lui, précisément, et l’emmène dans cette grande cellule où se dégageait une délicieuse odeur de viande fumée.
Il n’était pas un détenu connu du public, à vrai dire, s’il ne se trouvait pas dans cet asile, il serait probablement vu comme un individu plutôt pauvre et chétif. Un quarantenaire caucasien atteint de calvitie, légèrement bossu, avec une taille un peu en dessous de la moyenne. Le seul détail physique qui le rendait un tant soit peu spécial était ses dents. Elles étaient pointues, comme celles d’un requin.
Le détenu avait été plutôt sage ces derniers temps. Cela fait trois jours qu’il avait arrêté de d’inonder les pièces de l’asile. Peut-être était-ce pour cela qu’on l’avait convié ici ? Peut-être voulait-on féliciter sa bonne conduite et ses efforts en lui offrant une toute nouvelle cellule pour lui tout seul, plus grande et plus intime ? Avec en supplément un succulent repas bien loin de la bouffe servie à la cantine !
Mais les espoirs du détenu furent de courte durée. Lorsque le garde le fit rentrer avec une certaine violence dans la cellule avant de refermer la porte derrière lui, il put observer trois hommes. Deux étaient debout face à lui, chacun des deux devaient au moins faire deux têtes de plus que le bossu. Au vu de la taille de leurs bras, ils devaient être très costauds. Quand au troisième… Eh bien, il se prélassait tranquillement, confortablement installé sur son lit, le visage caché par la pénombre. Au vu de sa corpulence, il semblait de taille moyenne.
L’interné pouvait sentir que cette personne le dévisageait avec véhémence, il y a des impressions qui ne trompent pas. Les deux géants le regardaient aussi, mais ils semblaient assez déconnectés de la réalité. Le regard aussi fermé que celui du garde qui l’a amené ici, en moins expressif tout de même. Non, l’hostilité venait clairement de la personne posée sur son lit.
D’ailleurs, il n y avait qu’un lit dans la cellule et malgré la bonne odeur de viande, il ne s’y trouvait aucune table, ni de repas à l’horizon. Toutefois, le détenu put remarquer que le parfum provenait de l’homme couché. Avec tous ces détails, il était évident de conclure que la cellule lui appartenait.
« Qui… Qui êtes-vous ? » demanda le bossu, inquiet.
Les deux grands gaillards se tournèrent en direction de l’homme sur son lit, toujours aussi silencieux. Il n y avait plus aucun doute, c’était lui le maître des lieux. Il prit un dossier, qui était posé juste à côté de lui, commençant à le lire à voix haute. Son ton était d’un calme glaçant et pourtant, on y sentait une profonde rancune dans le timbre de sa voix.
« Robert Rodds. 46 ans, patient atteint de zoanthropie. Un trouble psychotique rare consistant à se prendre pour un animal… »
Le bossu fronça des sourcils, n’appréciait nullement ce qui est en train de se passer.
« C’est moi ! Je vous ai demandé qui vous étiez ! »
Mais l’homme caché dans la pénombre ne lui répondit toujours pas. A la place, il continua sa lecture.

« Avant d’être interné ici, Rodds a provoqué le meurtre de 6 victimes, allant d’une petite fille âgée de 6 ans, à une personne âgée de 85 ans… Ah ! Ecoutez donc ça ! Son mode opératoire est un cas unique à Gotham ! Déguisé en requin, le patient restait près des cours d’eau, attendant patiemment qu’une personne s’approchait pour l’attraper et la plonger dans l’eau où il mutilait les victimes qu’il noyait à coup de morsure… Ces meurtres firent connaitre Robert Rodds sous le nom du Requin-Tueur de Gotham ! »
Le bossu perdit patience, ne supportait plus la situation.
« Assez ! Mais qui êtes-vous à la fin !? Qu’est-ce que vous me voulez ? »
L’homme qui était couché sur son lit commença à se relever, non sans fixer le regard apeuré de Rodds. Sa tête sortit dans la pénombre, permettant à l’interné de le voir enfin.
Il avait un visage pâle, sans cheveux, sans sourcil et sans moustache. Il n’avait pas d’oreille, ni de nez et ses dents étaient aussi acérées que celles de Robert. Les cicatrices sur son cou étaient comparables à des branchies, lui donnant l’apparence d’un véritable requin.
Ne s’attendant pas à cela, Rodds se recroquevilla sur lui-même, bouche bée. Il faisait face à un autre requin, qui semblait bien plus féroce que lui. Il approcha son regard menaçant, le jugeant de toute sa hauteur avant de se pencher lentement en direction de son visage pour lui annoncer sur un ton froid.
« Moi, je suis ton prédateur. Et je suis là pour rappeler ta place dans la chaîne alimentaire. »
Effrayé, Robert se mit en boule, mains sur la tête, tremblant. Suppliant qu’on ne lui fasse aucun mal.
«- P… Pitié ! J’vous connais pas ! J’vous ai rien fait !
- Oh que si ! répondit White avec colère. Tu as usurpé mon nom ! Sache qu’à Gotham, il n y a de la place que pour UN SEUL Grand Requin Blanc ! Moi !
- [color=#0099ffJ’voulais pas ! J’savais pas ! Je… je…  Qu’est-ce que vous allez me faire ?[/color] bégailla le détenu. »
Le requin se retourna en direction de son lit, soulevant son matelas, il prit une grosse pince. Le simple fait de posséder un tel objet dans cet asile était strictement interdit. Il s’approcha du détenu d’une manière hostile, exprimant un sourire sadique.
« [color=#ff3333Je vais faire en sorte que tu ne puisses plus mordre qui que ce soit. Un requin sans dent… C’est comme un lion sans crinière ![/color] »
Apeuré comme jamais, Rodds tenta de fuir son prédateur mais fut bloqué par les barreaux de la porte. Fort heureusement, il trouva un garde en face. Le même qui l’avait emmené ici. Tendant sa main face à lui, il lui exprima toute sa détresse.
« Pitié ! Sortez-moi de là ! Pitiiééééé ! »
Mais le garde resta de marbre. Il ne lui accorda même pas un regard. Ce qui ne manqua pas de faire rire le requin, qui s’amusa tel un prédateur jouant avec sa proie avant de la dévorer.
« Dommage ! Sur toutes les espèces qui vivent en ce lieu, tu as choisi d’usurper l’Apex Prédateur ! Cet aquarium m’appartient ! Personne ne te sauvera de la mâchoire du Grand Requin Blanc ! »
Rodds désespéra. Il comprit qu’il n y avait aucune issue face à White. La folie regagna son esprit. Et il marmonna quelques mots.
« De l’eau… de l’eau… Il me faut… de l’eau. »
Quand l’interné se sentait en danger, il n y avait que l’eau qui était capable de l’apaiser. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle il tentait d’inonder des pièces à l’asile. Quand il y avait de l’eau, il pataugeait dedans, se sentant en sécurité. Tel un poisson dans l’eau… Mais c’est également en présence d’eau que le détenu se montrait plus agressif et bestial.
White, comprenant ce que Rodds allait faire, fit appel à ses deux hommes de mains qui n’avaient pas bouger depuis tout à l’heure.
« Chopez-le et gardez-lui sa sale gueule ouverte. Il est temps d’en finir avec cet imposteur. »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Les deux géants capturèrent Rodds lui retenant à genoux, tentant difficilement de lui bloquer sa bouche. Il ne cessa de crier en permanence.
« DE L’EAU ! DE L’EAU !!! DE L’EEEEAAAAUUUUU ! »

…

Depuis ce jour, Robert Rodds perdit tout goût de vivre. Il ne mangea plus, ne dormit plus et faisait ses besoins par terre. Le contact humain n’avait plus d’effet sur lui. Les médecins considèrent la réhabilitation désormais impossible.
A l’autre bout du couloir, une bonne odeur de fumée se dégageait de l’antre du requin. Il avait encore bien mangé ce soir-là…