☼ L'AMI DU DENTISTE ☼

Duke Thomas marchait tranquillement dans les ruelles de Gotham lorsqu’il reçut une notification, le prévenant d’une agression en cours dans un vieil entrepôt hospitalier. En quelques clics, il évalua la distance qui le séparait du lieu de crime et conclut qu’il était le plus proche pour s’occuper de la situation. Toujours via son smartphone, il commanda l’apparition de sa moto et de son armure, profitant de l’excellente technologie de Wayne Enterprise. Son transport arriva en quelques minutes, naviguant, invisible, entre les grandes lignées de véhicule jusqu’à le rejoindre dans un coin excentré, loin des regards indiscrets. Le système de camouflage s’éteignit dévoilant un engin rutilant jaune canari et une armure que le jeune homme enfila rapidement. Comme un enfant, il fit vrombir la bête avant de s’insérer sauvagement dans la circulation. Sa tenue renvoya la lumière pour le cacher des automobilistes et il s’enfonça dans la marée des voitures en évitant, çà et là, les fous du volant qui auraient pu le percuter pendant qu’il roulait.

Le lieu du crime était situé dans une zone abandonné, dans un quartier excentré de la grande ville. Un policier se tenait devant hurlant qu’il avait besoin d’aide le plus vite possible. Le cadavre de son camarade reposait contre le trottoir, la boite crânienne complétement détruite sur le sol sale du parking. Duke fit déraper sa machine avant de poser pied-à-terre, analysant la situation. Ses deux pupilles s’allumèrent comme deux étoiles, lui dévoilant le chemin meurtrier qu’avait pris auparavant la lumière. Des êtres fantomatiques s’agitèrent devant ses yeux comme des patins : un homme d’à peu près cinquante ans était entré dans le bâtiment poursuivi par la victime. D’un simple geste, il avait réduit la tête de son opposant en une bouillie informe, sans même se retourner.

Le jeune homme pensa un instant demander lui-même de l’aide pour s’occuper de la situation. Mais, fier comme il l’était, il s’engagea tout de même dans le bâtiment, la peur au ventre. C’était manifestement un méta humain qu’il allait rencontrer et il devait faire extrêmement attention. Dégainant ses deux bâtons longs, le justicier sortit de sa couverture en faisant face à l’agresseur, dans une tentative inespéré de calmer la situation.

— Il est encore temps de vous rendre, monsieur. Ne m’obligez pas à utiliser la force pour vous restreindre. J’ai vu ce que vous avez fait, ne prenez pas le risque qu’une  telle chose vous arrive à votre tour, bégaya The Signal.

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Le discours de Duke n’avait été d’aucun effet sur le bonhomme qui restait prostré dans son coin. Il s’approcha alors doucement en soulevant un nuage de poussière, pas à pas, très lentement pour ne pas brusquer l’étrange homme. Les yeux du justicier avaient repris une couleur noisette pour épargner ses capacités et il en profita pour ranger ses armes. Il était peut-être possible de résoudre calmement la situation.

L’autre ne semblait pas avoir tous ses moyens mentaux et l’agresser ne pourrait qu’aggraver les choses. Une silhouette se glissa cependant derrière et prit la parole, faisant sursauter l’adolescent. Les deux semblaient se connaître, probablement un des gérants de l’hôpital dont s’était échappé le patient.

Sans s’y attendre, Johnson traversa en un instant les quelques mètres pour se jeter sur le nouveau venu. Le Signal, hébété, prit un moment avant de réagir et de se mettre à courir pour protéger le civil. D’un coup de pied dans le creux de la jambe droite, le méta-humain mit à genoux le criminel avant de le faire valdinguer un peu plus loin. Soucieux de mettre de la distance, le héros posa sa main sur le professeur Hollmann pour l’écarter un peu de la zone de combat.

— Reculez-un peu, je vais vous protéger, glissa-t-il avant de prendre une pose martiale.

Physiquement, Duke n’avait pas beaucoup de possibilités. L’homme face à lui avait une force herculéenne et il pourrait le broyer en une simple pression. Non, pour rester envie, il allait devoir muscler son jeu de jambes et préfèrer la technique à la puissance. Le fou se releva en hurlant de rage, fonçant droit sur les deux agressés.

Analysant la situation en faisant défiler la lumière, le mutant s’élança dans les airs en utilisant l’explosivité de ses quadriceps, avant de se réceptionner sur l’homme, toujours en pleine course. D’un geste de bascule, il entoura ses jambes autour du cou de son adversaire et utilisa ce qui lui restait d’énergie pour le retourner, complétement, et le faire s’écraser au sol la tête la première. De la sueur coulait sur le front du jeune adulte alors qu’il s’extirpa d’une pirouette. Son attaque avait fait des dégâts mais, malheureusement, pas suffisamment pour mettre hors d’état de nuire l’agresseur.

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— Ne vous inquiétez pas, je ne prends pas de risque inuti-

Souffla Duke Thomas avant d’être coupé dans sa lancée. Chargeant sans se retourner, le patient le percuta en plein ventre lui coupant la respiration et l’emmena, quelques mètres plus loin, s’écraser contre un des murs de l’entrepôt. La puissance de la charge fut telle que le super-héros sentit la pierre se briser au contact de son dos, protégé par une armure blindée et matelassée.

Sans cette armure dernier cri, le jeune adolescent n’aurait plus de colonne vertébrale du tout et la majorité de ses os  seraient en miettes. Du sang coula de la commissure de sa bouche alors qu’il se releva, trébuchant, faisant face à un Goliath prêt à abattre David pour de bon.

— Tu ne comprends pas ! Les zombies, les zombies nous observent dans la nuit, ils viennent pour moi ! Ils viennent pour moi ! bafouilla l’agresseur, les yeux tournant dans leurs orbites.

De la bave éclaboussait ses lèvres gercées. Manifestement, il devenait de plus en plus incontrôlable et il fallait le mettre hors d’état de nuire le plus rapidement possible. Le médecin avait annoncé l’arrivée de renforts et le Signal devait alors gagner du temps. Malheureusement pour lui, la douleur le paralysa quelques secondes de trop alors qu’il voulait s’avancer. D’un geste de la main, l’agresseur attrapa le casque jaune de l’adolescent et envoya sa tête, et l’ensemble, voltiger à l’autre bout de la pièce. Il se retourna alors vers le docteur Hollmann, une grimace de pure haine sur le visage.

— Toi ! Toi !

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Signal était encore étourdi lorsqu’il vit les deux infirmiers neutraliser l’individu. Le médecin avait agi prestement, sans que le justicier puisse ne voir ne serait-ce que qu’un instant ce qu’il venait de faire, et la présence du taser. Se relevant en se tenant au mur, les muscles engourdis par les coups et les chocs répétés, l’adolescent rejoignit les autres personnes de la pièce. Bien que violent, le patient avait déblatéré des choses insensées avec une peur viscérale dans les yeux. Quelque chose ne tournait pas rond et il devait savoir quoi. Le docteur Hollmann le rejoignit bien vite en s’intéressant à son état de santé. Le bonhomme était très avenant, peut-être même un peu trop.

— Oui, ça va. J’ai pris un peu cher mais je vais m’en remettre, merci de votre aide. Je vais réussir à marcher, il faut juste que je détente un peu ma jambe. Et vous ? Comment vous vous sentez ?

Glissant un regard au fou à terre, Duke remarqua une nouvelle fois l’expression de sincère frayeur sur son visage. La bave aux lèvres, le super-héros ne peut s’empêcher de se sentir un peu coupable de son état, quand bien même celui-ci avait pu tuer de sang-froid un policier.

— Vous venez d’où, si je peux poser la question ? Vous en avez d’autres de ce genre, dans votre hôpital ? Vous êtes bien médecin, c’est ça ?

Le brancard arriva bien vite et les infirmiers soulèvent le corps inerte pour le placer dessus, sans un bruit, tout en silence. En prenant son portable, Le Signal notifia la fin de son intervention tout en restant à l’intérieur du bâtiment. Il avait certes aidé à sécuriser la situation mais, il ne savait pas pour autant ce qui avait provoqué cette colère ni pourquoi. L’enquête ne faisait que s’ouvrir.

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Le docteur se présenta comme le professeur Hollmann de la clinique du même nom. Intérieurement, Duke Thomas nota cette information pour la vérifier plus tard, pour s'assurer de l'identité de cet homme qui semblait plein de déférence. Une impression étrange émanait de ce bonhomme, qui avait gardé un calme Olympien même sous la menace d'une mort certaine.

— Appelez moi Le Signal, c'est mon nom de justicier,   dit-il en se sentant un peu bête de dire une telle phrase à voix haute. Et que faites-vous ici, monsieur Hollmann ? Vous devez être bien proche de vos patients pour venir vous même les ... intercepter.  

Oui, quelque chose ne sentait pas bon mais l'adolescent n'aurait pu savoir quoi. Que pouvait faire une personne de sa trempe ici : lui qui était à la fois directeur et chirurgien. Les deux personnages sortirent de l'entrepôt, le chevalier de Gotham garda un air suspicieux. A l'aise, confiant, le médecin discuta directement avec les policiers qui ne posèrent pas plus de questions, oblitérant la nécessité d'une déposition lors d'une telle intervention. Duke échangea rapidement ses coordonnées avec eux, pour discuter plus amplement de cette affaire, lui avait tout enregistré. Une fois dans le véhicule, le jeune adulte attrapa la bouteille qu'on lui tendit et trempa ses lèvres avec impatience, il n'avait pas bu de la journée.

— Gratuitement vous dites ? On se croirait presque en Europe, souffla le justicier. Et qui sont vos sponsors privés, si ce n'est pas trop indiscret ? Quelle est la spécialité de votre clinique ? Puisqu'on est là, peut-être que vous pourriez me faire une petite visite de votre établissement.

Peut-être que son ton légèrement cynique semblait trop évident. Pour se rattraper, l'acolyte bafouilla quelques mots en faisant de grands gestes avec ses bras. Après tout, il n'avait aucune justification, légale comme illégale, pour inspecter le bâtiment. Tout se basait sur des suppositions, un pressentiment, et Duke se sentit un peu enfantin de débattre avec un adulte de son propre travail. Pour qui se prenait-il ?

— Je ne veux pas vous fliquer, évidemment. Comprenez juste que je m'intéresse, c'est de ma responsabilité de m'assurer que ce genre d'évènements ne se reproduisent plus, on a déjà assez à faire. Mes collègues et moi pouvons peut-être vous aider à faire en sorte d'assurer la sécurité de vos patients. Je vais d'ailleurs vous laisser mon numéro, pour que vous puissiez me contacter si vous souhaitez avoir un peu d'aide.

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Les deux hommes échangèrent leurs cartes, dans un semblant amical. L'explication financière du docteur sembla porter ses fruits. Tout était facilement vérifiable de toute manière, Duke n'avait donc pas de raison de continuer à le questionner à ce propos. Bien que méfiant, le jeune homme devait se rendre à l'évidence : Hollmann était peut-être un gars étrange, énigmatique mais, il ne semblait pas être une mauvaise personne. L'adolescent s'en voulu un peu de l'avoir interrogé si crûment.

— Bien, merci à vous. Je n'hésiterai pas à vous contacter si jamais j'ai besoin de vos services. Gotham est une ville aussi folle que ses habitants, l'aide d'un médecin pourrait être utile. Une question cependant me taraude : quelles sont les raisons qui ont mené ce patient à finir dans vos locaux ?

Oui. Là, Duke sentait qu'il tenait quelque chose, le bout de la queue d'un serpent qu'il suffisait maintenant de tirer pour le voir apparaître complétement. Il se repositionna sur son siège, les mains sous le menton, transperçant de son regard étoilé son interlocuteur.

— Vous m'avez dit, si je ne me trompe pas, qu'il était un patient de l'asile d'Arkham, n'est-ce pas ? Comment se fait-il qu'il soit transféré dans votre établissement, dont la spécialité est la chirurgie ? Ce bonhomme est clairement aliéné, perdu dans ses pensées ... Mais il est aussi un méta-humain. Cela m'étonne donc que sa sécurité soit transférée à une clinique spécialisée comme la vôtre ...

Ses mots se terminèrent par un grincement, celui du frein à main de l'ambulance, se garant devant l'établissement médical. Le Signal regarda à travers la vitre et s'apprêta à sortir, une idée derrière la tête :

— Comment est-il sorti, déjà ? fit-il accompagné d'une moue songeur.

Si Hollmann mentait, le fils de Gnomon n'aurait qu'à faire défiler la lumière pour voir les fantômes du passé. Confiant, il descendit du véhicule en premier, profitant des rayons solaires sur sa peau d'ébène.