Sujet: Kids in America [Solo] Ven 18 Déc 2020 - 8:46
En route pour la ville qui ne dort jamais...clickRP SoloKids in AmericaLes gouttes d’eau glissaient le long de la surface de verre, venant en lézarder la buée. Au dehors, la lueur blafarde des lampadaires était vacillante, semblant se métamorphoser en trainée de poudre d’or. L’habitacle du car se secouait dans un ronronnement régulier, qui semblait vouloir bercer la petite silhouette emmitouflée qui se tenait sur la plage la plus en arrière. La tête reposant contre la fenêtre, les yeux grands ouverts, ces derniers se perdaient à suivre les chemin sinueux tracés par la pluie. Le froid venait pénétrer ses membres, seulement protégés par un grand pull à capuche, qui semblait peiner à lui servir de manteau. Un sac à dos était coincé entre ses bras, comme pour le retenir davantage contre elle. Elle était seule, seule et unique voyageuse, perdue dans ce car qui remontait le long de l’Interstate 95. Le conducteur avait bien essayé de lui parler, pour tuer son temps et celui de sa petite partenaire insomniaque, mais elle n’avait bredouillé que deux ou trois banalités, enfermée dans un mutisme qu’il n’avait pas cherché à davantage percer. C’était qu’il avait l’habitude de toutes sortes d’oiseaux qui venaient trouver leur perchoir dans son chez lui ambulant, mais rarement aussi jeunes. Pour autant, il n’en était pas non plus le plus surpris : sa destination, Gotham City, attirait des étudiants de tout le pays, pour peu qu’ils ne craignent pas la menace de la faune qui s’y était établie.
Rachel se redressa légèrement sur son siège, venant recaler sur ses oreilles son casque anti-bruit. Il n’était certainement pas le plus confortable, mais pour autant était-il le plus rassurant pour elle. Certainement qu’il était présomptueux, du fait de son état de fatigue avancé, d’espérer seulement supporter un dixième des émotions de son conducteur, aussi bienveillant puisse-t-il être à son égard. Elle avait eu moins de scrupules au moment de choisir son « carrosse » à la gare routière d’Atlanta, quand bien même l’usage de sa capacité l’avait laissée K.O. pour le restant de la journée et qu’elle n’était même pas certaine de ce qu’elle avait perçue. Dans le doute, elle préférait, pour une fois, être optimiste quant à sa situation : son compagnon d’infortune s’en était tenu à son job et c’était tout ce qu’il lui importait.
Machinalement, elle prit entre ses doigts son smartphone, le tournant et retournant. La batterie l’avait lâchée depuis longtemps maintenant et elle ne pouvait plus espérer l’utiliser jusqu’au terminus. Avant que l’appareil ne s’éteigne, elle avait pu y distinguer les nombreux messages que Maxine lui avait laissé, les appels, les tentatives multiples de la contacter, auxquels elle n’avait pas donné suite. Elle avait pris soin de désactiver la localisation, par précaution, et d’utiliser le moins possible le net, si ce n’était pour consulter les cartes et horaires de transport.
Encore maintenant, elle ne savait tout à fait s’il s’agissait de la meilleure ou de la pire idée qu’elle ai pu avoir. Certainement que Maxine lui reprocherait de toutes les manières son geste absolument irréfléchi, mais c’était tout le contraire. Elle avait soupesé sa décision un milliard de fois, et ce, au soir du 31 octobre, là où tout avait… Fini, ou commencé, elle ne savait trop désormais. Mais c’était en tout cas le moment où ce qu’elle était, ce qu’elle faisait, s’était retourné contre sa seule famille.
Elle aurait bien voulu croire que cela était une histoire de malchance, un coup du sort qui l’avait poussée par malencontreux hasard, à s’en prendre à sa cousine. Mais non. Elle se souvenait que trop bien de la rage qui l’envahissait à ce moment-là, cette colère attisée par ses pensées bouillonnantes, et cette voix… La voix. Celle qui anéantissait toutes ses autres réflexions, soufflant seulement sur les braises de sa colère, et qui lui avait ordonné… Non, qui l’avait à peine poussé à en vouloir à Maxine, abattre sur elle des coups qu’elle aurait souhaités lui infliger, mais que seule sa volonté, son pouvoir, pouvait appliquer. Comment pouvait-on justifier ça ? Ce ressentiment à son égard, cette colère quand elle l’avait empêché de fracasser Tommy Torres jusqu’à ce que le dernier du moindre de ses os ne craque… Elle avait eu cette émotion-là. Cette émotion qui n’était devenu qu’un danger pour tout son entourage, et qu’aucune méditation au monde ne pouvait faire disparaitre.
Elle aurait pu partir au hasard, quelque part au fin fond des Etats Unis, voir même ailleurs. La frontière avec le Mexique était encore loin, mais elle savait qu’elle aurait pu disparaitre là-bas. Mais non. Car elle ne voulait pas seulement partir. Elle voulait des réponses. Sur ce qu’elle était, sur le pourquoi de ce qu’elle était. Des deux seules personnes qui auraient pu lui en apporter, l’une était presque morte par sa faute, l’autre s’était murée dans un silence assourdissant.
Il ne lui restait rien, si ce n’était ce mystérieux pendentif, que Tommy Torres avait voulu voler spécifiquement, pour elle ne savait qui, et une piste, une seule, de ses origines : sa mère biologique venait de là-bas. Gotham City. Et elle, Rachel, y était née et y avait été adoptée, selon ses papiers. Cette mère, dont elle ne savait rien, ne lui avait laissé que ce nom de famille, mais elle espérait, peut-être, trouver un début de réponse sur ses traces. Maigre piste, mais elle voulait commencer quelque part. Gotham serait ce quelque part.
Les lumières devenaient plus vives à l’extérieur, se muant en couleurs multiples, chatoyantes. Elle sentait le bus ralentir considérablement, s’arrêter par moments, évoluant dans un milieu urbain bien différent de l’interminable autoroute que la jeune fille avait parcouru lors de ces derniers jours. Son cœur battait désormais un peu plus vite, la sortant de son apathie. Elle se redressait un peu, venant essuyer la buée sur la vitre, cherchant à y distinguer davantage l’extérieur, mais rien ne semblait vouloir se dessiner, seulement un flou persistant. Les saccades de l’autocar finirent par la ramener à son siège, sur lequel elle se contenta de demeurer sagement, jusqu’au terminus final.
« On y est, ma petite dame ! N’oubliez rien avant de descendre ! »
Son sac à dos entre les bras, comme trop intimidée pour le lâcher, Rachel resta un long moment sur les dernières marches qui menaient hors de l’habitacle. Malgré la protection de son casque, qu’elle avait prit bien soin de replacer, le vacarme qui se trouvait là, au dehors, faisait dresser les poils sur sa peau. Pourtant, enfin, elle finit par mettre le pied sur le bitume, s’aventurant, enfin, à l’extérieur.
L’air, glacé, était lourd, crasseux, au moins autant que le sol constellé de déchets et chewing-gums abandonnés. Malgré l’heure terriblement tardive, ou matinale, c’était selon, le trottoir était encore bondé de passants pressés, qui se bousculaient les uns les autres, se chahutaient, disputaient, jouaient d’elle ne savait quels instruments pour lui réclamer ses fonds porte-monnaie… Ici, ça vendait encore des hot-dogs à la criée, là, ça posait déjà les panneaux de l’édition matinale du Gotham Globe…
Toute la ville n’était qu’une effervescence continuelle, où Rachel évoluait avec effarement et émerveillement, ses pas ne l’amenant que dans une ronde effrayante. Là, elle pouvait se prendre une gaufre qui ferait office de petit déjeuner, à un prix tout bonnement indécent. Ici encore, elle pouvait se poser sur un banc, assaillis par les pigeons qui n’avaient plus aucune crainte de l’homme tant ils étaient dans leur élément de remue-ménage incessant… Tant de rues, tant de monde, tant de possibilités… Tant de bruit aussi, toutes les pensées et émotions du monde, concentrées en un seul lieu, dont les murmures perçaient la confortable protection vissée sur ses oreilles.
Ailleurs, un endroit plus calme, pour commencer… Un lieu pour dormir aussi… Combien lui restait-il en poche ? Il lui semblait avoir dépensé une bonne part de ce qu’elle avait piqué à sa tante, elle s’en voulait encore pour ça d’ailleurs… Mais au moins un repas chaud, quelque chose… Du reste, emportée dans les fantaisies de la nuit, Gotham était prête à lui montrer toute l’étendue des mystères et secrets qu’elle recelait…