C'était un jour banal pour Becky Albright. Comme tous les matins, elle se rendait à l'université munie d'une lampe torche et armée d'une bombe de gaz lacrymogène, tellement son trajet semblait être un parcours du combattant. Elle partait très tôt le matin et y croisait encore quelques parias de la ville, les racailles, les pauvres erres marqués par le passé mais sans futur, et au présent incertain tellement leur vie pouvait basculer dès le passage d'un assassin ivre de sang et de boyaux.
Comment supporter une telle peur chaque matin, chaque soir, chaque nuit... Becky n'en pouvait plus, elle était épuisée, éreintée, exténuée. Elle devait en finir une bonne fois pour toutes. La nouvelle Becky ne foulerait plus jamais avec la peur au ventre ces allées sombres, ces coupe-gorges aussi étroits que la prison dans laquelle elle s'enfermait depuis trop longtemps.
Elle s'était inscrite à un nouveau cours à la fac, sur les peurs, justement. Un cours parfait pour elle, présenté par un homme à la fois malaisant et magnétique, le Professeur Jonathan Crane.

Quelques heures plus tard, Becky se sentait transformée. Cet homme, elle le sentait, allait avoir un impact très important dans sa vie. Elle se sentait vivre une seconde naissance, et le Professeur Crane avait réveillé la vie qui dormait en elle.
Elle avait bu ses paroles, elle s'était fondue en lui et se sentait mue par une force rayonnante à sa présence, et elle pouvait certifier qu'elle n'avait pas laissé l'intrigant professeur indifférent par l'aura qu'il avait fait naître en elle.
La timide jeune femme n'avait d'ailleurs pas manqué d'aller le remercier à la fin du cours, ce qui était extraordinaire car sa réputation le suivait, il était très peu sociable, voire brutal, sec et cassant dans sa manière de s'exprimer, afin de masquer son dégoût des autres. Son regard mettait ses interlocuteurs mal à l'aise, et le reflet de ses lunettes n'aidait pas.
Mais Becky se sentait poussée par une force intérieure, un aimant, et elle DEVAIT connaître davantage cet homme, car il était la clé, la boite de Pandore de toutes ses phobies.

Durant le cours, il avait insisté sur le fait de devoir plonger dans ses peurs les plus profondes afin de les connaître, de s'en imbiber et de les affronter avec plus de maitrise, c'était bel et bien ce qu'elle faisait.
Fuck la phobie sociale, fuck twice la phobie du contact avec autrui, fuck thrice son corps décharné et déformé par la scoliose.
Ça, c'est fini, la nouvelle Becky sera d'une puissance insoupçonnée et va mettre le monde à terre, elle sera incontrôlable.

En effet, elle ne regretta pas son acte de bravoure, d'aucuns diraient de témérité, car cet homme qu'elle savait étrange, fermé, même fou à lier selon les rumeurs, avait été tout à fait charmant, et tout au long de la discussion, elle s'était sentie spéciale, unique, écoutée.


"Vous avez dit que nous devions plonger dans nos peurs... Voilà, je prends donc les devants pour vous parler de moi, de mes angoisses, parce que je souffre de phobie sociale. L'effort que je fais pour venir vers vous est donc surhumain, je tremble car je n'ai jamais fait cela auparavant, mais je mets tous mes espoirs dans vos cours...
Je vis dans la peur, la terreur, même. Croiser des gens me terrifie, leur parler m'est impossible. Gotham est un film d'horreur pour moi, tellement les criminels se multiplient et rodent dans l'ombre. Je ne sais plus si j'ai plus peur de croiser du monde ou de me retrouver dans une rue déserte tant je crains qu'ils ne se terrent à un coin de rue, ou cachés je ne sais où. Le bruit ambiant me fait sursauter, même le Batsignal me paraît effrayant. Évidemment, cette peur me paralyse et malgré ma bombe lacrymogène, si un jour je me fais attaquer, il m'est impossible d'effectuer le moindre mouvement pour sortir mon arme de défense et de l'utiliser sur mon agresseur. Je ne peux pas me défendre, et ce n'est même pas mon handicap physique qui m'en empêche, mais c'est tout simplement la terreur la plus maléfique, ces ombres cauchemardesques qui s'emparent de moi et qui me ligotent pour me rendre encore plus vulnérable que je ne le suis déjà. Jusqu'à aujourd'hui, j'estimais que la seule solution "viable", si je ne puis dire, pour me débarrasser de cette emprise qui me dépasse était la Mort. Grâce à elle, j'aurais été délivrée du Mal, libérée de toute cette noirceur impalpable. Mais une autre solution, plus lumineuse mais plus terrifiante encore pour l'agoraphobe que je suis, s'offre désormais à moi. Vous, Professeur Crane, êtes la clé. Je sens un lien qui nous unit à travers ses peurs, vous serez mon professeur, mais également mon mentor, mon sauveur, peut-être même mon bourreau puisque vous me mettrez face à mes peurs, que je le veuille ou non, afin de les affronter."

Elle qui était mutique, elle s'est ainsi mise à déblatérer toutes ses angoisses, ses terreurs, sa volonté de les surmonter, elle ne contrôlait plus ses paroles, mais plus elle parlait, plus elle devenait maîtresse d'elle-même, plus elle gagnait en assurance, comme si une nouvelle personne avait pris possession de son enveloppe corporelle.

Le professeur semblait tellement subjugué et conquis par la vie terrifiante de la jeune étudiante qu'il lui avait proposé plusieurs entrevues hors des murs de la faculté, car il voyait en elle un gros potentiel pour travailler ensemble par la suite. La nouvelle Becky est en gestation.

Elle grandissait de jour en jour, gagnait en assurance mais également suscitait plus de peur. Tout ce qu'elle avait emmagasiné en elle commençait à sortir. L'invisible devenait visible et palpable, elle se transformait en une part d'entité absolument horrifiante.

Elle n'en était pas encore consciente, mais son association avec Crane était en train de donner naissance à des nouveaux Cavaliers de l'Apocalypse.
 
Conquête, Guerre, Famine, Mort.
En avait-elle seulement conscience... ?