Bien que tu aurais pu rentrer à la maison ou suivre le Pr. Van Helsing après avoir réglé le problème des fées, tu avais besoin d’être seul. Tu n’avais envie de rien et, bien qu’il faisait froid, dehors, tu es resté à l’intempérie pendant des heures. Tu as traîné par la forêt, seul, portant ce qui restait de ton chat entre tes bras. Son âme n’était plus de ce monde et tu ne pouvais pas t’empêcher de pleurer à chaudes larmes. En fait, tu n’arrivais pas à arrêter une fois que la pression est suffisamment retombée pour défaire le blocage psychologique que ta colère avait imposé pour te redonner la force et la détermination nécessaires pour affronter la situation, la perte et ce que tu avais appris à ton sujet.

Savoir que tu n’étais pas ce que tu pensais être n’était qu’un souci à l’arrière-plan. Ce qui occupait ton esprit, c’était ton incapacité à sauver Gin. Si tu avais su avant, tu aurais fait n’importe quoi pour le sauver, y compris alourdir ta dette auprès de Garash, voire de son Maître. Maintenant, il n’y avait plus rien à faire… Le fait que le cancer n’ait pas gagné le combat et que ton fidèle ami ronronneur ait doucement succombé à l’hypothermie et une hémorragie massive n’était que d’un maigre réconfort : il n’avait pas souffert, car, après tout, il était sous sédatifs à ce moment-là.
Ceci dit, tu te sentais coupable parce que tu ne l’avais pas su avant… Tu aurais dû ignorer l’avis de ton chat et aller chercher d’autres vétérinaires pour avoir d’autres avis jusqu’à trouver ce qui clochait. Tu aurais dû, je ne sais pas, demander à ton créancier pour voir s’il savait quelque chose, mais tu te complaisais dans ce semblant de calme et de bonheur. Tu savais que ton chat n’allait pas bien et ce n’est pas pour rien que tu l’as confié à son vétérinaire préféré – individu que tu as dans le collimateur et que tu vas pulvériser dès que tu auras la foi de retourner en ville.

Reniflant et essuyant vainement tes larmes, tu es retourné à l’orée de la forêt et as désincrusté la moto de la neige. Tu ne sais même pas ce que tu as fait après – tu ne t’en souviens pas tellement. Tu sais juste que tu as roulé pendant des heures et que tu t’es retrouvé dans essence, donc tu as été dans une petite station de service à quelques minutes de l’entrée nord de Burnside. Là-bas, tu as mis un peu d’essence et, quand tu as été payer en cash avec le peu d’argent que tu avais sur toi, à ce moment-là, tu as cédé à la tentation et tu as pris deux bouteilles d’une vodka pas chère qui était exposée près du comptoir.
Tu détestais la vodka pure, surtout, cette pisse alcoolisée de n’aurait servi qu’à désinfecter des blessures, mais tu n’avais pas faim et tu n’étais pas en état de faire quoi que ce soit d’autre. Tu t’es garé derrière la station de service et tu t’es assis près des toilettes, sur une borne en béton qui était vaguement protégée par le toit du bâtiment. C’était un coin vraiment miteux, mais dans ton état d’esprit actuel, tout ce qui était autour de toi n’avait aucune importance.
Tu as bu comme un trou sans rien manger, caressant par moments la fourrure givrée de Gin – dont le corps reposait sur tes genoux. Quand tes jambes s’engourdissaient à cause du froid, tu bougeais, tu tournais, tu donnais des coups de pieds à tout ce qui se trouvait à ta portée. Tu t’es même acharné sur un vieux conteneur de poubelles avant d’éclater dedans tes bouteilles vides.
Tu avais beau être torché, complètement et à peine tenir debout, tu n’arrivais pas à te sortir ce qui était arrivé de la tête : tu n’allais plus voir ton ami. Jamais. Il n’était plus-là et c’était ta faute – selon toi. Tu avais été trop négligeant, même si tu n’y étais pour rien. Le troll et le vétérinaire étaient les vrais fautifs, et encore, pour l’instant, tu ne connaissais pas toute la vérité, donc tu ne pouvais diriger ta haine contre la vraie source de ce malheur.
Les voix dans ta tête ont essayé de te réconforter, en vain. Alors, Constance et Robert ont préféré ne pas se mêler davantage, te laissant du temps pour toi. Seul Lestât qui, en général, était une mauvaise influence, avait plus ou moins réussi à te secouer suffisamment pour te raisonner et te dire de rentrer à la maison ou, à la rigueur d’appeler Garash pour qu’il t’ouvre un portail.
Puisque tu ne voulais pas rentrer directement et que tu n’étais qu’une épave, tu as erré au bord de la route encore un moment avant de reprendre le volant. Tu avais dessoûlé, mais tu avais une migraine anormalement forte depuis que tu avais renvoyé les fées et ça ne faisait qu’empirer. Tu avais des palpitations dans le crâne et tu avais l’impression que tu allais tomber dans les pâmes à n’importe quel moment.

La nuit allait bientôt tomber quand tu repris la route, prenant le chemin plus long et droit. Tu n’étais pas quelqu’un de raisonnable ni de prudent dans ce genre de situations. Tu tombais facilement dans tes vieilles habitudes autodestructrices, donc, recherchant un peu d’adrénaline pour soulager ta peine et occuper ton esprit, tu devenais un danger au volant. Tu avais dépassé aisément les 180km/h sur la bécane que tu avais empruntée, sur des routes pas très sûres et qui avaient assez des allers-retours de camions et de voitures entre la ville et l’aéroport. Inutile de dire que tu zigzaguais en doublant tout le monde. Il faisait déjà noir et il n’y avait pas un mort sur les routes de Bristol quand, seulement toi, qui avait ralenti un peu, puisque tu te rapprochais du Pioneers Bridge.
Alors, une voix perça vaguement dans ta tête et te ramena à la réalité : la voix de Daegan. Tu n’as vu que quelques secondes plus tard qu’il avait atterri en plein milieu de la route. À la vitesse à laquelle tu allais, tu risquais de lui rentrer dedans ou de te casser la gueule si tu faisais un mouvement brusque, alors, tu as freiné sèchement et les pneus ont glissé sur du verre-glas, te faisant déraper. Heureusement pour toi, tu es tombé dans un gros tas de neige, à l’opposé de l’endroit où la moto a continué de glisser et se râper contre l’asphalte givré.
En soi, tu n’as rien eu de grave, mais tu t’es fait mal aux genoux en t’enfonçant aussi brusquement dans la neige – il y avait de la caillasse en dessous. Ta priorité avait été de protéger le cadavre de ton chat, le gardant contre toi. Tu l’avais mis entre ton haut et ta veste pour que tu ne le perdes pas pendant que tu conduisais. Ça empestait le sang, mais tu n’avais pas d’importantes blessures. Juste la griffure sur le front et quelques égratignures après être tombé plusieurs fois dans la forêt et quand tu étais bourré.

Le Jason que ton compagnon connaissait aurait râlé, il aurait fait preuve d’un humour douteux et auto-dérisoire pour dire que ça allait… Mais ça n’allait pas. Tu étais fatigué, démoralisé, blessé et perdu. Tu n’as pas bougé directement et, quand tu l’as fait, tu t’es difficilement recroquevillé, reniflant avant de fondre de nouveau en larmes. On voyait que tu n’avais pas dormi, tu avais les yeux gonflés et rougis, tu sentais le sang, l’alcool, la boue et tu portais encore des résidus des odeurs de ton professeur, du troll et des deux fées.
Bien évidemment, l’odeur de ta boule de poils préférée était très forte, mais elle était froide et toi-même, malgré la quasi-congélation de son corps, tu pouvais sentir que, après plus de deux jours, il avait commencé à se décomposer dès l’intérieur. Tu hoquetas et passas une main sur ton visage d’une façon presque enfantine, sanglotant. Tu avais froid, mais tu tremblais surtout à cause des pleurs et de la fatigue qu’autre chose.
Daegan s’était précipité vers toi, mais, puisque tu n’arrivais pas à bien entendre ce qu’il disait ou à prononcer un seul mot à force de pleurer comme s’il n’y avait pas un lendemain, tu ouvris un peu ton manteau pour montrer le corps de ton chat qui avait saigné pas mal sur toi. On voyait une incision ouverte au niveau du ventre rasé de l’animal avec des sutures qui avaient sauté. La fourrure était pleine de boue, de sang sec et mouillée par la neige qui avait fondu à cause de ta chaleur corporelle.

Daegan était là, pour toi, et il s’inquiétait…
Mais, voilà que tu lui montrais cette pitoyable facette.

Plus le demi-démon tentait d’essuyer tes larmes, plus elles coulaient. Au vu de l’état de ton visage, on voyait que tu avais pleuré tout autant avant de croiser ton cadet. Il ne semblait pas vraiment très sûr de lui, mais il faisait de son mieux pour t’aider. Puisqu’il sentit que ton corps était très froid, il tenta de te réchauffer en te prenant contre lui et te couvrant avec ses ailes. Tu n’avais même pas remarqué qu’il avait des ailes, sur le coup, mais te garder contre lui fut une sage décision. Tu tremblais toujours, mais moins, cachant ton visage contre son cou : tu avais honte de toi-même et, bien que tu aurais aimé qu’il ne te voit pas dans cet état, c’était un peu trop tard.
Te blottissant contre lui, tu passas tes bras autour de son torse, sous son manteau, le serrant aussi fortement que tu le pouvais – sans écraser la dépouille de Gin entre vous. Tu savais que Daegan devait être aussi en colère, autant à cause de ton imprudence comme du fait que tu n’avais pas donné de détails et que tu n’étais pas rentré directement. Tu n’avais même dit à Garash que tu avais pris l’une de ses motos, mais tu l’avais fait. Tu aurais pu te tuer sur la route, tu aurais pu te faire du mal, tout seul, quelque part en forêt ou finir très mal dans la station de service si tu t’étais accroché avec quelqu’un qu’il ne fallait pas.

Même si tu n’arrivais pas à étouffer tes larmes, tu commençais à rependre un peu le contrôle sur ton corps grâce à la présence et la proximité de ton compagnon. Tu sanglotas quelques instants, essayant de mettre de l’ordre dans tes pensées afin de dire quelque chose de cohérent, mais ce n’était pas évident. Surtout, que, dans ce genre de situations, tu avais un sérieux trouble de l’attention. Tu ne remarquas ses ailes qu’à cet instant-là et il put sentir que tu te décrispais un peu, fixant cette nouvelle information qui s’imposait dans ton esprit.
Doucement, tu levas l’une de tes mains, caressant son dos – un peu à tâtons – jusqu’à effleurer la base d’une de ses ailes du bout de tes doigts. Tu levas un peu la tête, posant ta tempe contre son épaule, tout en gardant un œil sur ses ailes, reniflant. Cette découverte, couplée de la chaleur corporelle du ténébreux, avait eu l’effet d’une tétine sur un bébé : ça t’avait apaisé assez rapidement, même si c’était toujours le bordel dans ta tête.

— Je… Je suis parti chasser la chose qui avait niqué la clinique et enlevé Gin. J’ai réussi à trouver la trace malgré la neige et tout, mais… mais Gin… Gin était déjà mort... parvins-tu à répondre d’une voix étouffée. J’suis tombé sur une connaissance... et on a trouvé la chose qui avait embarqué Gin…

Tu serras les dents, essayant de ravaler tes larmes. Tu ne voulais pas re-pleurer aussi fort, il fallait que tu te reprennes tant que tu en avais l’occasion. Tu n’avais pas envie de parler du reste, tu n’arrivais pas à le digérer : c’était beaucoup trop à assimiler d’un seul coup.

— Des trucs bizarres sont arrivés… troll et deux fées… j’ai vu Gin et on a parlé… résultats… un cancer... marmonnas-tu, avant de grimacer et de te crisper. Tu avais l’impression que quelque chose était en train de te vriller le crâne. Tu ne pus pas t’empêcher de couiner et plaquer une main sur ton front, appuyant sur tes tempes. Tu avais soudainement envie de vomir et la tête qui tournait. J’ai la tête qui va exploser… J’suis pas bien.

Oui… Qu’est-ce que ces choses faisaient dans votre monde ? Surtout que ces trois-là ne semblaient pas être particulièrement emballés par ça et qu’ils s’étaient farcis plusieurs centaines de kilomètres pour trouver un moyen de rentrer chez eux. Et bien, ils l’avaient trouvé, mais ils avaient fait des ravages… Le troll avait bouffé plusieurs personnes et les fées n’ont pas pu faire grande chose pour l’en empêcher, même si elles semblaient l’encadrer à leur façon. Au vu de leur comportement, c’était comme si elles étaient responsables du troll ou, du moins, de le surveiller – ce qui, à tes yeux, n’avait aucun sens.
Frottant doucement ta joue contre la clavicule de Daegan, tu hochas la tête pour approuver ce qu’il avait dit : il fallait que vous rentriez, tu allais sûrement être mieux au chaud et au calme. Tu avais passé un jour et demi dehors, sans à peine t’abriter, tu n’avais pas dormi depuis des jours, tu n’avais pratiquement rien mangé depuis que tu avais eu les résultats des analyses de ton chat et tout ce merdier commençait à passer facture.
En effet, même si ton corps était gelé, tu commençais à avoir de la fièvre et la migraine n’allait pas partir de sitôt. En comparaison avec la température corporelle du métis, pour l’instant, c’était difficile de sentir la différence en posant la main sur ton front, mais toi, tu le sentais. C’était rare que tu sois malade, sauf quand tu te surmenais. Comme on dit, les idiots ne s’enrhument pas et tu as toujours eu une excellente santé. Il n’y avait qu’à voir toute la merde que tu mangeais, même périmée ou tombée par terre, sans qu’il ne t’arrive quoi que ce soit.
Laissant que Daegan caresse le cadavre de ton chat, tu écoutas ce qu’il te disait à son sujet : tu en avais parfaitement conscience. Il fallait que vous vous occupiez du corps de Gin, mais tu ne voulais pas l’enterrer et tu n’avais ni la foi ni l’envie de le confier à qui que ce soit pour qu’il soit incinéré.

— Je sais… J’ai eu le temps d’y réfléchir depuis avant-hier ou hier, j’sais plus... soufflas-tu, essuyant tes larmes du revers d’une de tes manches – où il n’y avait pas de sang. Le froid mordait ta peau et faisait que tes yeux picotent – ils étaient très irrités, à force. Je veux juste le garder un petit moment de plus… Enfin, jusqu’à la maison… Je ne veux pas l’enterrer dans cette ville de merde et je ne veux pas qu’on touche à mon chat. répondis-tu amèrement, même si tu n’étais pas désagréable contre lui – tu étais, plus neutre. Tu avais, juste, la haine rien qu’en repensant au vétérinaire et à ta négligence. Tu peux me faire une faveur ? Si tu sais flamber des trucs, tu veux bien l’incinérer pour moi ? Je lui ferai une urne…

Tu pinças tes lèvres en gardant cette moue déconfite que tu avais depuis que tu avais quitté la forêt. En temps normal, tu aurais peut-être blagué ou râlé, mais tu te laissais porter sans faire d’histoires. Tu te calas contre lui avant de poser ta tête contre son torse, regardant le boule de poils qui reposait à jamais sur ton ventre.

— Je… Je suis désolé d’être parti comme ça. J’ai débloqué et je t’ai causé du souci, Dae... fis-tu, levant les yeux vers lui, finalement. Je pouvais pas abandonner Gin et j’ai détalé sans même prendre de la tune… J’ai failli canarder le troll sans rien demander pour avoir ce qui restait de Gin… Si l’autre personne n’avait pas été là, j’aurais fait une grosse connerie... J'ai fait de la merde...