Rencontre entre le soleil levant & l'Empire du milieu

M
a silhouette était prostrée près de la fenêtre. Debout, les mains croisées derrière le dos, je scrutais d’un regard sceptique la voiture qui se garait dans l’allée. Chinatown était grand, était parsemée de ruelles sombres et étroites, nous étions beaucoup d’asiatiques à la peupler. Et pourtant, cette visite de courtoisie ne passera pas inaperçue. Déjà, dans les balcons avoisinants, je décelais les ombres de citoyens curieux de voir ce qui pouvait bien se tramer chez l’amie des triades. Ils savaient que La Magnolia n’était pas simplement ce qu’elle paraissait être, à savoir un bar de strip-tease où mes filles se trémoussaient la poitrine contre les bars en fer. Mon bordel avait déjà été le refuge de beaucoups de chinois appartenant à tel ou tel gang, mais jamais je ne m’étais prononcée sur une appartenance précise. Mais les temps se compliquaient, la situation devenait complexe. Je sentais une pression sur mes épaules qui n’existait pas il y a encore un an. La porte de ma chambre s’ouvrait sur le visage angélique de Mei Lin qui m’annonçait l’arrivée de mon invité. Pour toute réponse, je hochais de la tête, le regard perdu sur l’homme qui descendait du véhicule. Toshiro Yamashita, surnommé le Dragon Doré pour des raisons qui m’étaient encore inconnues. Bien que ses origines japonaises frôlaient la discordance, nous étions de cette même souche asiatique. Son désir de me rencontrer avait soulevé beaucoup de questions, de mon côté. Venait-il réellement en paix ou ce n’était qu’une mascarade visant à me nuire dans un futur proche ? Quelque soit les idées qui découlaient de sa démarche, je lui montrerais très vite à qui il avait affaire. Je n’étais peut-être qu’une femme aux yeux de la gent masculine de mon pays, mais ici on était en Amérique, alors leur condescendance serait punie de mes propres mains. D’une manière, ou d’une autre.

Avant de quitter la pièce où mon intimité était le mot d'ordre, je jetais dans la glace un dernier coup d’œil sur mon image. J'avais lâché mes longs cheveux, raides et sombres comme les plumes d'une corneille. Les traits de mon visage resteraient impassibles tout le long de notre discussion aux caractères encore inconnus. Je ne comptais pas lui faciliter la tâche en gloussant bêtement comme le font les blanches de ce pays, c'était particulièrement navrant d'en arriver là. Vêtue d'une très longue robe en soie de couleur moutarde, je portais autour de la taille une fine corde où un tessen reposait silencieusement, attendant l'instant fatidique où il serait dégainé. Mais pour l’instant, mon divin fessier se posa sur ce fauteuil en cuir où je finissais par croiser les jambes. Celles-ci étaient visibles jusqu’à la moitié de mes cuisses, dans le seul but de laisser regarder sans qu’on ose seulement penser y toucher. Attiser le désir était, chez moi, un passe-temps que je maîtrisais à la perfection.

─ Le plaisir est partagé, Dragon Doré. Je me penchais sur le présent qu’il venait de déposer sur mon bureau. Du bout de l’ongle, je venais caresser l’objet avec intérêt. J’avais le chic pour m’entourer de richesses que j’accumulais, mais ce genre de cadeaux m’avaient été rarement faits. Le jade était une pierre robuste et tenace, très utilisée en joaillerie. Que signifiait cette offrande, pour une femme comme moi ? Dans la hiérarchie, à ces yeux, je n’étais qu’une chinoise de plus dans le quartier. Je n’avais pas de statut et ne faisais partie d’aucune mafia. C’était du moins la version officielle, car dans l’ombre je me plaisais à les côtoyer de très près sans pour autant me brûler les ailes. J’aimais mon indépendance. ─ Quant à moi, c'est de mon hospitalité dont vous vous contenterez. Je lui désignais le divan derrière lui, afin qu'il prenne place et qu'on soit plus à l'aise. J'attendais qu'il s'installa pour venir à ses côtés, toujours dans cette attitude mielleuse qui prêchait néanmoins la distance. Des verres et des en-cas nous avaient offerts tandis que la conversation allait prendre, je l'espérais, une tournure qui me mettrait la puce à l'oreille sur ses intentions. ─ Parlez-moi de vous, Yamashita. Qui êtes-vous ? Les japonais passent rarement le seuil de mon établissement sans y chercher un quelconque intérêt, alors je vous avoue être intéressée par votre visite.