L'ouverture du Dojo Funakoshi avait certes été peu relayé dans la presse occidentale, mais qu'importe. Lady Shiva portait le nom d'emprunt de madame Ling, en hommage à une de ses servantes, et pour bénéficier d'une couverture des plus tranquilles à ce stade. Mais la Lady savait parfaitement qu'elle n'était pas là pour faire de la décoration, et encore moins, être une simple entraineuse. Non. Son plan visait à installer sur le long terme sa vision de la Ligue des Assassins à Gotham City. Son but serait d'entrainer de pauvres ères, et de les conditionner pour qu'ils soient sous ses ordres. L'ouverture officielle du dojo avait eu lieu, et pour tout dire, la Lady savait comment elle allait orchestrer son plan. Mais cela mettrait du temps. Beaucoup de temps. En cette sombre journée pluvieuse de décembre, Lady Shiva attendait les premiers élèves qui viendraient à son cours. Quelques personnes avaient demandé à rejoindre ses cours particuliers, à venir découvrir ce monde merveilleux des arts martiaux. Beaucoup de gaïjins, beaucoup d'occidentaux avaient fait leurs demandes. Des pommes pourries qui ne donneraient aucuns fruits. Mais Lady Shiva était certaine de trouver quelques éléments prometteurs. Alors que la pluie tambourinait doucement sur les vitres du dojo, Lady Shiva méditait. Pieds nus, respectant les usages d'un tatami, elle était éclairée par la lueur des bougies sur le sol. Portant un simple kimono rouge, un pantalon qui lui descend au-dessus des chevilles, elle attendait, les yeux fermés, les participants qui avaient fait leur inscription pour cette séance. L'odeur d'encens se propageait dans la pièce, donnait un effet de relaxation ultime, de calme. De tranquillité méritée. Shiva réfléchissait, du moins, j'essayais d'organiser mes pensées. Ma douce Cassandra était hélas, corrompue en son cœur, de choisir la voie de la bête, tandis que Talia Al Ghul semblait montrer les crocs. C'était amusant de voir comment les choses se passaient. Elle qui avait parcouru le Monde dans le plus simple dessein d'apprendre des grands maîtres avant de les terrasser sans autre forme de procès ne se sentait pas de passer un quelconque flambeau : elle ne sentait pas véritablement digne, car toute sa vie n'était finalement qu'une longue et ininterrompue excursion en dehors des clous. Une fille des bas-fonds sordides de Kowloon violée par une organisation secrète, qui se retrouvait catapultée dans un dojo minable en plein centre de cette Gotham fantasmée après d'innombrables péripéties, voilà qui était un récit rocambolesque. Un bruit, la clochette. Apparemment, les premiers étudiants arrivèrent, et dans un fracas perceptible, moi, je ne bougeais pas, et je les écoutais. Ils passaient par le vestiaire improvisé pour enfiler la tenue réglementaire et de circonstances. Toujours assise sur le sol, je garde les yeux fermés et j'écoute. Le bruit du tramway qui passe non loin d'ici. Les vendeurs de Chinatown qui crient pour vendre du poulet, des épices et certains opiacés. J'entends l'Asie dans mes oreilles. Un calme soudain m'envahissait tandis que les premiers élèves me rejoignirent.

<< Restez debout. >>

Dis-je avant de me relever. Peu de monde. Quelques occidentaux, quelques asiatiques. Mon regard les jauge avant de fixer certains d'entre eux. Le regard de la maître se posa sur ces étrangers des colonies, qui cachaient sous leurs airs de sauvageon civilisé, leurs visages sales et les barbes mal taillées, un physique qui ne faisait pas de doute sur les épreuves que chaque homme, chaque femme avait enduré. L'œil de la tueuse experte, celui qui ne voyait pas une personne, mais mille et un points de vulnérabilité, les auscultait silencieusement, les jaugeait, tout en sirotant avec un calme et une nonchalance consommée son thé en n'affectant pas même la chaleur infernale du breuvage dont la fumée pouvait pourtant témoigner. La douleur était présente, et le gosier de la quarantenaire était bel et bien en flammes, mais elle n'en laissait rien échapper, car parmi les épreuves les plus absurdes qu'elle s'imposait, celle-ci était probablement parmi les plus anodines, mais veillait à lui rappeler la spartiate nature de son existence : le confort n'était certainement pas pour elle, et c'était sûrement à cela que l'œil entrainé pourrait la reconnaître.

<< Vous venez dans ce dojo pour apprendre. Pour connaitre, et pour vous dépassez. Ceux qui pensent que c'est un sport bon pour le moral ou qui ne voient que l'aspect zen de la chose, je suis désolée, mais vous n'êtes pas au bon endroit. >>

Pragmatique, je préfère mettre les choses à plat, plutôt que de voir les échecs et retarder mon travail. La Sandra d'alors aurait peut-être pu se laisser aller à ses émotions, montrer comment elle était émue, et réellement, véritablement émue de voir des gens s'intéresser à ce noble art martial, mais la Shiva d'aujourd'hui l'en gardait. Elle était la Lady Shiva, l'unique, elle avait grandi, elle avait évolué, et elle ne pouvait laisser de place aux théories et encore moins à la mièvrerie. Ne trahissant certes pas la certaine volonté de trancher violemment qui s'éveillait en elle en gardant ce calme olympien qui trouvait dans le sarcasme un soutien certain, elle reprit une gorgée de thé, accélérant sa descente d'une manière certaine. Un sourire perla sur mon visage tandis que j'auscultais des yeux, chaque individu. Trois d'entre eux quittèrent le tatami avant de retourner dans le vestiaire. Ce sport n'est pas un simple loisir, et cela me permettait de voir qui avait la motivation, qui avait l'envie. Qui avait le moral suffisamment fort pour tenir le coup dans ce bas monde. Elle aussi, finit sa tasse d'une traite. Une seule longue gorgée, parfaitement mesurée, avant de la reposer et de s'essuyer des lèvres trop apprêtées avec un soin particulier, à l'aide d'une petite serviette de soie. Mais c'est au tour de Shiva de sortir, de montrer les crocs. Je frappe des mains.

<< C'est un début. Nous sommes peu, mais je pense que nous pourrons faire du bon travail ensemble. Qui osera mettre en pratique ce qu'il sait pour venir me mettre à terre ? Allons ? Ne soyez pas timides. >>

Il était vrai que d'aucuns auraient vu un combat à mains nues contre Lady Shiva comme un suicide en règle, et il fallait bien avouer que ceux qui lui avaient survécu par leur seul talent se comptaient sur les doigts d'une main. Pour Shiva, pourtant, un homme ne s'exprimait guère mieux qu'au travers d'un combat. L'artiste martial y voyait le reflet de l'âme, comme le musicien ou le peintre dans leurs arts respectifs ... Un sourire perle sur mon visage, je pose ma garde et j'attends les jeunes recrues. Qui osera venir vers moi ? Qui viendra se faire rétamer en guise d'exemple pour les autres ? Cela pourrait être une très bonne leçon. Mon calme me permet de bien analyser les gens qui sont en face de moi. Qui osera oui ?

Le calme dans ma tête, malgré l'arrivée des membres pendant ce cours laps de temps où je réfléchissais à ce que j'allais leur apprendre. Des cours faciles, pour les novices, oui, dans un premier temps, mais après ? La suite viendrait, pour ceux qui tiendraient ... La maitresse de la Ligue des Assassins rouvrit les yeux et posa son regard en amande sur les membres présents. Peu de membres oui, tant mieux. Ce n'était pas pour me déplaire, il faut dire. Il est plus facile d'enseigner aux élèves quand le nombre est réduit. Une chose en entrainant une autre, il fallait cependant dispenser l'enseignement. Je me relève sans aide, avec une grâce presque inhérente à ma silhouette, je suis calme, méthodique, et je sais comment apprendre aux élèves. Ne suis-je pas la redoutée Lady Shiva après tout ? Ne suis-je pas la maitresse des assassins et "celle qui détruit les empires" selon les légendes que l'on me prête ? Il était de nature commune que tous mes connaissaient dans le milieu. Mais pourquoi la Lady serait ici, à Gotham City, dans un boui-boui aussi immonde que celui dans lequel elle se trouvait ? Peut-être le charme ... Lady Shiva aimait le calme d'un lieu isolé et peu confortable. Peut-être qu'elle avait besoin de quitter la foule de Nanda Parbat pour entrainer les plus affables et les plus désireux de recevoir ses enseignements ? Ou bien était-ce pour toi, ma douce Cassandra ? Est-ce pour toi que je suis ici ? Certains diront que oui, d'autres penseront que je suis là pour m'occuper de Al Ghul. Ils ont raison. Mais autant joindre l'utile à l'agréable non ? Revenons à notre séance d'aujourd'hui. D'une voix calme, je me lève et j'éteins la lumière pour laisser la lueur des bougies autour de moi.

<< Fermez les yeux ... Chaque geste est relié à une sensation. L'écoute, le toucher, l'odorat, la vue. Vous les connaissez. >>

Un sourire sur mes lèvres, au goût de jasmin. J'aimais prendre une petite infusion de thé avant de commencer à travailler, cela me permettait de me détendre, d'apprécier la beauté de mon noble art. Tuer n'est pas un art, non, mais exécuter des prouesses techniques, devenir une déesse de la guerre, c'était de la beauté, c'était de l'art, c'était quelque chose qui relevait d'une certaine forme de talent, qui n'était pas donné à tout le monde. Mais je me dois de repenser que ce studio était là pour leur apprendre à se défendre, à faire de ce dojo, un lieu d'apprentissage. Pour le moment oui ... D'un geste de la main, sec et fort, sans toucher la lueur de la flamme. Mon poing à quelques centimètres de la première bougie. Celle-ci s'éteignit. Puis une deuxième, avec la même méthodologie. Un coup de poing, assez loin pour ne pas toucher la bougie ou encore la flamme, et celle-ci s'éteignit, puis, une troisième.

<< Vous n'apprendrez pas simplement à exécuter des techniques dans ce cours. Vous apprendrez à utiliser vos sens, à écouter l'environnement qui vous entoure. Vous fondre dans les ténèbres ... >>

La dernière bougie s’éteint, et tel un chat, je me déplace mystérieusement entre les membres qui se tiennent debout. L'entrainement des ombres, celui de la Ligue des Ombres. Apprendre à se faufiler, à se déplacer, à devenir une ombre en elle-même. Je me faufile entre les membres de ce cours, ils ne sentent rien, aucune présence, mais moi je les sens, je les sais près de moi. Je peux deviner leurs silhouettes et je peux même les entendre respirer. Ils ont peur, peur de ce qui les attends. Qu'est-ce que l'inconnu ? Une simple notion à maitriser. La peur de l'inconnu nous empêche de comprendre les choses que nous ne voulons pas comprendre, et aujourd'hui, ces gens allaient comprendre ce que c'est, de rentrer dans un monde fait d'ombres et de noirceur. Je rallume la lumière au moyen du bouton. Ils ne m'ont pas vu passer entre eux, ils ont sûrement senti l'odeur du jasmin, une odeur assez forte, et pourtant, ils ont senti quelque chose, comme quelque chose d'intangible, une présence, mais ils ne peuvent pas encore comprendre le délicat art des ombres.

<< Je n'attends rien de vous. Vous n'êtes que des novices. Des élèves qui attendent la moindre grappe information bonne à exécuter. Vos bras, et vos jambes sont à moi désormais. Et maintenant que les choses sont dites. Je vous défie de vous en prendre à moi. Montrez-moi ce que vous savez, montrez-moi ce dont vous êtes fait. Je vous laisse le choix de vos techniques. Mais sachez une chose, je suis redoutable. >>

Dis-je avec un sourire tandis que j'invitais les quelques membres présents à venir me rétamer. Je les invitais à venir s'en prendre à moi, à essayer du moins. Je parerai, ou j'esquiverai sans soucis, leurs attaques, ce qui est normal après tout, je suis la Lady Shiva. Imaginez un peu le pot de fer contre les petits pots de terre. Qui va finir en morceaux à votre avis ? Ce n'était pas juste au final, du moins pour eux, car ils vont avoir mal, et ils vont prendre une sacrée déculottée, mais cela leur apprendrait une certaine humilité. Personne n'est fort, il n'existe que le combat et ceux qui sont suffisamment intelligents pour vouer leurs vies à devenir les meilleures armes. J'étais une arme, et eux allaient comprendre ce que ça fait de rencontrer une des plus dangereuses maitresses de l'assassinat au monde. Avec un sourire, je les invite, tous, à venir s'en prendre à moi. Mais ce serait plié, en quelques secondes, ils seraient au sol. Ils seraient rétamés, ils seraient en train de hurler de douleur. La douleur est une excellente information, elle permet d'enregistrer les choses à faire et à ne pas faire. En l’occurrence, venir à ce cours, allait être, pour la plupart, une très grosse erreur. Souriant de toutes mes dents, je me permets de les provoquer, de les amener directement vers moi, histoire de voir qui serait assez bourrin ou assez intelligent pour envoyer les autres se faire battre en premier.

<< Et bien ? Aucun volontaire ? Je vous promet qu'en moins d'une minute, le combat sera fini. Toi là, la jeune brune qui recule, tu seras la première. Viens par ici. >>

<< Fermeté. Calme. Maitrise. Voici trois mots que je vous pourriez utiliser lorsque vous comprendrez l'essence de mes cours. >>

Dis-je avec un petit sourire tout en les observant. Il y'en avait deux trois qui se refusaient à me combattre, tandis que les autres se faisaient décimer. La jeune femme essaya, pendant longtemps, elle effleurait même du poing mon visage. Un bel essai, mais qui ne conclue pas. La fatigue, les tentatives de neutralisation, tout ça était réfléchi pour ne pas donner de coups létaux et ne pas commettre de meurtres. Une concentration de mes membres pour ne pas faire de mal à qui que ce soit. Avec un sourire, je la vois essayer. Toujours avec un sourire, toujours. Il suffit de garder un sourire pour décontenancer et démoraliser son adversaire. Prévoir, c'est gagner. Dans mon cas, j'avais déjà triomphé, mais sans gloire. C'était peut-être cela qui conditionnait la volonté farouche de ces candidats à affronter leur hôte à mains nues. Est-ce qu'il fallait y voir un véritable vœu ou une simple justification ? Peut-être était-ce une volonté de la frapper, moi qui voyait le combat sans armes comme la discipline suprême, et ces pièces de matériaux qu'on appelaient des poings, étaient aussi divers que variés comme autant d'outils à même de composer d'infinies variations dans autant de "disciplines". Le combat ne fut pas bien long il faut dire, et les éléments me montrent une certaine tentative, une certaine envie de se démarquer, de se relever. Comme certains de mes élèves, la flamme de la jeunesse, de l'envie de faire ses preuves était forte dans les jeunes esprits. La plupart des combattants venaient de se faire rétamer. Lamentablement, mais dans l'échec nous apprenons toujours. Un maigre sourire vint sur mes lèvres, tandis que je les fixais tous.

<< Avez-vous vraiment essayé ? Ou c'était tout ce que vous pouviez m'offrir ? Dans les deux cas, je suis un peu déçue. Mais satisfaite de voir qu'il y'aura du travail à accomplir. Passons à l'entrainement. >>

Ce n'était plus Sandra qui parlait mais la Lady Shiva, sous les traits de mademoiselle Ling. Avec un sourire, la maître adressa un grand geste circulaire, désignant les bâtons de combat qui reposaient sur les murs, comme pour les inviter à se servir. Il était vrai que d'aucuns auraient vu un combat à mains nues contre Lady Shiva comme un suicide en règle, et il fallait bien avouer que ceux qui lui avaient survécu par leur seul talent se comptaient sur les doigts d'une main. Pour Shiva, pourtant, un homme ne s'exprimait guère mieux qu'au travers d'un combat. C'était elle d'ailleurs, qui avait formé Tim Drake, un des Robin du Chevalier Noir. Et ce-dernier avait choisit le bô. Une arme sans grande aspiration à faire couler le sang, mais une ténacité capable de renverser ses adversaires et capable d’assommer de la manière des plus brutales si bien utilisé. L'artiste martial y voyait le reflet de l'âme, comme le musicien, l'auteur ou le peintre dans leurs arts respectifs ... Restait à savoir si seulement ces élèves pouvaient être un matériel un peu plus facile à modeler. Elle jeta néanmoins son regard sur un des participants, une des personnes qui n'avait pas pris part au combat. Elle l'avait déjà vu, autrefois, à Nanda Parbat. Alors que Sandra était encore en arrière-plan, Shiva, elle, dispensait l'art de la guerre, implacable, meurtrier, et froid.

<< Sachez que je n'attends rien de vous. Je n'attends pas le moindre progrès, pas la moindre réussite. Je ne vois que des larves au stade embryonnaire qui tentent de survivre dans un monde qui ne veut pas d'elles. C'est à vous de décider si vous voulez évoluer ou non. Qui deviendra un singe parmi les larves ? >>

Dis-je tout en souriant, n'effaçant pas mon sourire devant mes élèves. J'ai été comme vous, autrefois. Empreint d'une certaine envie d'apprendre et novice dans mes études, mais avec ma sœur, nous avions travaillé pendant des années, pendant des semaines, pendant des mois pour se perfectionner. Nous étions rivales, mais aussi les meilleurs, aussi bonne l'une que l'autre. Jusqu'au terrible accident ... Depuis, le combat n'avait plus la même saveur, plus la même empreinte sur moi. J'étais devenue une arme de mort, bonne à entrainer ou à assassiner. Entrainer, je sais faire. Diriger aussi, et indirectement, ces larves que j'entraine seront ma ligue à moi, ils seront mes soldats dans un but futur. Prenant un bô, je décide de prendre la jeune femme brune qui avait un peu de mal et l'homme que j'avais déjà vu autrefois. Tandis que les autres travailleront en trio eux aussi. Je les désigne du doigt, tous les deux.

<< Aujourd'hui, nous commencerons avec le bô. Vous deux, vous serez avec moi. Mettez-vous face à moi, et essayez de parer mes coups. Si votre garde n'est pas haute, ou peu défensive, vous prendrez un coup de bâton là où ça pêche ? Les autres, même exercice, apprenez à manier le bô. Apprenez à respecter l'outil que vous avez entre les mains. Ce n'est pas qu'une arme, c'est votre moyen de survie dans un monde impitoyable. Le bô est le prolongement de votre main, il est un membre de votre corps. Apprenez à le manier et vous apprendrez à vous défendre, et à attaquer. >>

C'est alors que l'exercice commença. Plutôt que d'esquiver ou même d'attaquer mes élèves, je pris, pour sa part, un grand plaisir à bloquer les attaques de ses deux adversaires avec la paume de ma main. M'aidant rarement du bô. Je voulais montrer que la force physique n'est rien quand on a un mental d'acier. Je pouvais prévoir les attaques, et j'avais une longueur d'avance sur eux. Et c'était ça, ce qui faisait de la légende de Lady Shiva, une combattante des plus dangereuses dans ce bas monde. En ce qui concerne l'homme qu'elle avait en face de moi, je gardais mes suspicions pour moi. Est-ce qu'il était ici pour s'entrainer, ou pour m'assassiner ? Bonne question. Ce que l'étranger avait à m'offrir n'était pas vraiment ce à quoi je me serais attendue. Il était décevant de constater, finalement, que tout le savoir emmagasiné, que toutes les épreuves qu'il avait dû parcourir, l'avaient amené à cela, venir se perdre à Chinatown, dans Gotham, c'était un petit peu une surprise non ? C'était même surprenant une telle idée hasardeuse de la part d'un membre de la Ligue des Assassins. L'improvisation, une bonne alliée, cela était certain, mais contre un adversaire du calibre de celui qu'il affronterait ? Oh, il avait encore bien des choses à apprendre, à propos du combat, et de la nature des adversaires qu'il aurait à affronter. Quant à la jeune femme, elle semblait uniquement là pour se former, pour apprendre, avec le regard pétillant de l'élève qui veut en savoir plus. Quoiqu'il en soit, ils apprendraient à manier, ou à remanier le bô. Les exercices ne sont pas simplement des retours en arrière, les exercices permettent de rester humble, et de garder une forme physique irréprochable. Lady Shiva formait ses élèves. Une pierre, l'une après l'autre, et un sourire sur mes lèvres tandis que je retrouvais les bases du combat.

<< Redressez le bô, le haut en avant, et on attaque avec un geste souple et précis. Une. Deux. Une. Deux. C'est comme ça que ça fonctionne. Une. Deux. Une. Deux. >>

Je n'attends rien de vos vaines tentatives d'apprendre un art qui nécessite plus de trente ans de perfection. Vous êtes déjà tous trop vieux à mon goût, trop âgés pour comprendre la noblesse du combat et pour essayer d'en percevoir tous les sens. La formation doit se faire dès que l'enfant est en âge de marcher, qu'il doit apprendre les premières bases et lire les mouvements de ses adversaires. Je n'étais pas conciliante en temps normal, mais dans la peau d'une femme qui dispense des cours de combat, je me devais de rester professionnelle et souriante, leur donnant des conseils pour s'améliorer, et surtout, pour se démarquer. Sachez que vos tentatives m'amusent, mes amis. Bloquer, parer, bloquer, parer. Quand on s'appelle Lady Shiva, lire les mouvements des gens est d'une facilité déconcertante. Prévoir, anticiper, tout ça requérait certes, des attributions de pensées difficiles à cerner, hors du commun, mais quand on apprend à lire le combat, quand on voit le combat comme une danse, comme un exercice d'amusement, tout devient limpide, tout devient si facile à comprendre ... Vous ne comprendriez pas mon point de vue. Personne ne peut le comprendre. Sauf peut-être toi, ma très chère fille ... Le combat est un art, un loisir, un plaisir. Combattre, c'est se défendre, et dans la plupart des cultures orientales, j'étais "La briseuse de mondes", j'étais Lady Shiva. L'incomparable et unique, Lady Shiva. Sans efforts, je bloque les bô de mes adversaires, toujours ce petit sourire en biais sur mon visage, non pas pour les narguer, non. Mais ils sont tellement prévisibles, tellement compréhensibles, tellement linéaires dans leurs attaques. Ils ne pensent pas à l'inattendu, ils ne pensent pas à ce besoin primordial de sortir des sentiers battus pour imposer un chaos dans leur état de combat. Personne ne le pense. Personne ne peut le faire. Et c'était le problème de bien des gens. Toujours avec un sourire, je lisais en leurs attaques comme dans un livre, comme dans un parchemin moisi par le temps, c'était comme si je revenais en arrière et que je relisais un vieux livre de mon enfance.

<< Relevez la tête, gardez une posture droite, gardez vos jambes fléchies. Vos jambes et vos pieds sont le support de votre défense. Sans équilibre, vous tomberez. Vous devez plier tel un roseau dans le vent. >>

Une image, une allégorie. Contrairement au chêne qui se fait emporter, le roseau, lui, reste parfaitement enraciné dans la terre. Il ne plie pas, ne tombe pas. C'était la force, la base en elle-même. Garder les pieds sur Terre et faire en sorte de rester parfaitement concentré. Si une posture est parfaitement exécutée, alors cinquante pour cent du travail était fait. Mes yeux roulaient vers les deux partenaires qui essayaient de m'attaquer, tandis que j'exécutais avec mes mains, les différents blocages. Il suffisait de faire attention, et surtout, de rester concentrer. La concentration, c'est la base de toutes choses. C'est alors que la personne que j'avais déjà vu tente quelque chose d'inédit, elle tente de me frapper dans les côtes. Intéressant, mais facile à parer, après tout, je peux lire les mouvements de mes adversaires à l'avance. Alors qu'il essaie de me frapper droit dans les côtes au fur et à mesure que la vitesse ait été plus rapide, je bloque le coup, et de ma main, je saisis le bô par le bout, d'une manière si rapide qu'il ne verrait rien, avant de frapper l'individu en face de moi sur le genou. Pour lui apprendre une leçon. Ce n'était plus la gérante qui s'exprimait, ce n'était plus la femme qui gérait ce dojo qui parlait, mais bel et bien la terrifiante Lady Shiva que je tentais de contenir. Impérieuse, directe, il était temps que je montre que je ne suis pas quelqu'un que l'on peut abattre de cette manière.

<< Se contenir est essentiel, jeune homme. Si tu n'es pas capable d'avoir de la discipline, tu n'as rien à faire dans mon dojo. Suis-je bien claire ? Ou dois-je te fracturer le second genou ? Je ne tolère pas ce genre d'attitude. Pas ici, et pas maintenant. >>

L'envie de lui écraser la gorge avec mon pied me démange. Je pourrais lui broyer la trachée avec une simple pression de mon pied, ou je pourrais même lui arracher les yeux et il ne verrait pas le coup venir, mais je me retiens, je dois calmer la bête assoiffée de sang au fond de mon esprit. Je repose le bô sur le sol, le lâchant carrément tout en fixant l'énergumène en face de moi. Qui était-il ? Un agent de la Ligue des Ombres envoyé pour me tuer ? Est-ce qu'il était là pour me tester ? Est-ce que ça cachait encore un jeu macabre de Ra's Al Ghul ? Il n'avait pas intérêt. Je me demandais si Ra's m'en voulait encore après que j'ai tué quinze de ses meilleurs hommes en vingt-huit secondes ? Ils étaient faibles, et je crois que j'avais fait une fleur à Ra's ce jour-là. En le débarrassant de ces rebuts qui s'appelaient assassins. Je reprend mon calme, et je garde ma contenance, je garde ma colère pour plus tard, ce sera beaucoup mieux ainsi.

<< Ce sera tout pour aujourd'hui, notre cours reprendra dans trois jours. Vous pouvez déjà apprendre à vous familiariser avec les premières techniques de défense au bô avec un bâton chez vous. Reproduisez les mouvements et nous examinerons le reste plus tard ... >>

Je peux comprendre la jeunesse, et je peux comprendre l'envie de se démarquer, de se montrer sous son meilleur jour, de montrer de quoi on est capable, mais ici, c'est moi qui dicte les règles, et c'est moi qui instaure la discipline. J'en suis le senseï de ce dojo, et je compte instaurer un ordre qui me semble propre et familier, pas les horreurs que l'on voit dans les monastères de Ra's Al Ghul. Je m'incline face à l'homme et face à la jeune femme que j'avais en binôme. J'avais besoin de boire un peu d'eau, et pour tout dire, je ne savais pas comment prendre ce qui venait de se passer. Peut-être ne suis-je pas fait pour entrainer des gaïjins ? Après tout, ce n'était pas Nanda Parbat, ici, la médiocrité semblait faire office d'excellence. Mais l'être qui avait osé s'en prendre à moi, je jurais que j'allais l'avoir à l’œil. Que voulait-il ? C'était ma grande question. J'affiche cependant, envers mes élèves, un dernier sourire. L'important était de garder les apparences, de garder un bon état d'esprit, et surtout, de ne pas faire trop de vagues. Pour le moment ...

<< N'oubliez pas, un esprit sain dans un corps sain. Essayez de jeûner un peu et infligez-vous des privations, votre corps s'en renforcera bien mieux. >>