Même si nous ne sommes pas vraiment passifs et que nous veillons attentivement sur notre précieuse et unique, nous avons décidé de ne pas intervenir afin de ne pas influer dans son développement. Notre dernière intervention dans via ses rêves a été largement suffisante et, bien que nous ayons été là, que nous avons agi quand il le fallait, nous n’avions pas vraiment communiqué avec elle. En dehors de lui faire part de quelques affaires mineures, sans faire conversation, nous n’avons pas discuté.

Nous sommes en elle, dans sa tête et son âme.
Nous savons que son enveloppe n’est pas aussi stable que nous le croyions. Et, ironiquement, les premiers signes d’instabilité n’étaient pas ceux d’un semblant de rejet partiel de sa moitié cosmique et ténébreuse, mais les changements qui s’opéraient dans son esprit. Il est encore tôt pour en juger mais rien n’était encore sûr et nous espérions ne pas la perdre, elle aussi. Malencontreusement, non. Il n’y avait pas qu’une seule façon de la perdre… La mort n’était pas ni la plus facile ni la plus contraignante… Nous ne pourrions rien faire pour l’aider si elle se brisait pour de bon et… même si nous parvenions à la stabiliser, la porcelaine cassée et recollée finit toujours par fuiter.

La voracité de la faim qu’un manque d’énergie entraînait et l’ivresse de la satisfaction qu’on éprouvait en l’étanchant, telle la soif d’un voyageur aux tréfonds du désert, étaient primales et difficiles à contrôler – nous le savions mieux que quiconque, même si nous n’avions pas besoin de nous nourrir aussi souvent. L’appétit était quelque chose de relatif, en nous, mais nous n’étions pas un être parfait. Nonobstant, nous aimerions la guider vers quelqu’un qu’il était temps qu’elle rencontre et qui la surveillait d’aussi près ou plus que nous : la femme qui a fait possible sa création, comme celle de la plupart de ses prédécesseurs – aussi défaillants et inadéquats qu’ils aient pu être. Si nous devions employer un terme humain pour la désigner, cette démone serait sa mère – sa génitrice. Bien que les parasites que notre précieuse et unique portait en elle étaient une partie de nous, la Maîtresse du Purgatoire avait accédé à nous prêter main forte.

Elle avait trompé les Hommes et leur avait procuré notre essence, fait office de messagère et veillé au bon déroulement des premières étapes de l’existence de nos précieux élus et les avait testés, poussés à bout ou réparés quand ils pouvaient l’être. Et, dans le cas contraire, elle nous avait fait la faveur de s’occuper de ce qui resta d’eux, de leurs âmes et d’empêcher que les mortels puissent récupérer cette partie de nous qui vivait en eux et qui les faisait vivre.

— Notre précieuse et unique… Il y a bien de choses dont nous ne t’avons pas encore fait part, mais nous estimons que tu es prête pour certaines d’entre elles. avons-nous fait résonner dans son esprit, de nos multiples et sombres voix. Nonobstant, nous nous inquiétons de ton état. Il conviendrait que tu te reposes et tentes de faire la part des choses... ajoutons-nous, usant des ombres environnantes pour reformer une silhouette amorphe et qui ne lui est pas pour autant inconnue.

Nous avons, au moins, eu la décence de faire jaillir un bras de la forme ténébreuse afin de caresser son visage et d’essayer de la détendre – tout en attirant son attention, levant légèrement son menton pour qu’elle nous regard en face.

— Ne laisses pas la frustration et la haine corrompre ton jugement et ton cœur, notre précieuse et unique… Du moins, outre-mesure… murmurons-nous, marquant une courte pause avant d’ajouter : Lorsque tu seras plus détendue, nous te guiderons là où quelqu’un dont tu ignores l’existence t’attend. Elle saura t’octroyer de quoi te ravigoter, or ce maigre repas ne saura point te satisfaire.