Le temps d'une mission

Enfin, Barbara lui ôta cette cuillère en bois de la bouche. Dick l'avait tellement mordu que des traces de dents s'y étaient incrustées. Il bougea sa mâchoire de part et d'autre afin de soulager celle-ci de la longue tension qu'elle avait subie. L'acrobate arbora une mine enjôleuse tandis que son invitée lui déposa, sans doute comme récompense, un chaste baiser sur la joue. Celui-ci fut de courte durée, Dick répondit à Barbara, qui se demandait si ces malfrats lui étaient familiers.

- A première vue ils ne me disent rien, je vais voir ce que mon logiciel a trouvé. On s'en occupe ce soir. Il la regarda intensément, puis sourit. Merci d'être là, tu n'étais pas obligée.

Alors qu'elle se changeait, Dick se mit à analyser les données sur son écran. Sans grande surprise, la voiture ciblée avait fini sa course en plein dans les docks commerciaux de la ville. Les quatre hommes avaient tous un casier judiciaire, ainsi qu'une famille. Ce détail lui pinçait toujours le cœur. Le justicier savait que lorsqu'il arrêterait ces truands, des enfants seraient privés de leur père. Mais, pouvait-il en être autrement ? Chacun choisissait son destin et ils avaient opté pour la criminalité. Cependant, l'un des quatre hommes avait un lien imprécis avec Zucco, l'assassin de ses parents. Que cela soit une amitié ou une simple alliance, rien de bon ne pouvait en sortir. Les sourcils froncés, le regard de Dick s'assombrit.

Batgirl revint, faisant légèrement sursauter son ami. Celui-ci s'efforça de ne pas ouvertement la dévorer des yeux, il avait toujours eu un faible lorsqu'elle portait son costume. Toutes les courbes de son corps apparaissaient plus sculptées et gracieuses. Sa démarche était délicate et toute en finesse, dans un déhanché qui se voulait discret sous sa ceinture jaune arborant la panoplie de gadgets. Reprenant rapidement ses esprits, il lui résuma ses découvertes.

- Je te laisse regarder tout ça de plus près, je vais prendre une douche, informa-t-il en se dirigeant vers la salle de bain ; il avait encore des tâches de sang séché sur lui.
Ignorant la douleur, Dick se moussa la tête et le corps dans des mouvements lents afin de ne pas faire sauter les sutures. L'eau chaude lui faisait un bien fou, et il en fallait vu la tournure de cette fin de journée. Jusqu'à demain, il lui faudra faire abstraction des lancements qui brutalisaient son bras.
Après avoir enfilé la peau de Nightwing, il retrouva la rouquine au salon.

- On ira à moto jusqu'à l'entrée des docks, proposa-t-il en étirant son membre blessé. Il préférait limiter les acrobaties et les valses aériennes le plus possible durant le trajet, pour soulager sa blessure.

Jusqu'en début de soirée, les deux justiciers discutèrent d'un plan. Barbara s'était occupée de pirater les caméras des différents conteneurs autour de la voiture, garée plus à l'Est. Ils n'étaient que quatre, ce serait à priori un jeu d'enfants. Un véritable casse-croûte sans aucun challenge... Ce qui n'était, au fond, pas plus mal au vu de sa forme.

- Prête Barbie ? lança-t-il en lui décochant un clin d’œil amusé. Ça faisait longtemps, toi, moi, sous la nuit étoilée...
Dick adorait la taquiner, c'était un passe temps sans fin et sans moment opportun. Et elle aimait ça, il en était certain.

Le moment venu, ils grimpèrent la bécane et filèrent à la rencontre des vilains de bas-étage. Les rues étaient quasiment vides, la majorité des habitants n'osaient pas sortir à une heure tardive dans certain quartier. Installé sur le siège arrière, Dick profita de ce rapprochement de fortune pour humer l'odeur des cheveux roux qui s’agglutinaient sur son visage. Si jamais Babs s'en plaignait, il répliquera en disant qu'il n'avait pas demandé à avoir les narines presque enfouies dans sa tignasse.

Le trajet fut de courte durée.
Accroupi sur le toit d'un amas de conteneurs, Nightwing observait le caisson qui l'intéressait ; celui où les individus semblaient trinquer autour d'un jeu de poker. Une fenêtre de fortune lui confirmait qu'ils étaient armés et prêts à tirer. Cela signifiait qu'ils étaient sur leur garde, ils savaient donc que des ennemis rôdaient. Restait à savoir lesquels ; justiciers ou bandes rivales ? La porte de leur habitacle était ouverte, laissant échapper l'odeur contraignante des cigares. Un regard vers Batgirl lui confirma qu'elle était prête. Il hocha la tête et s'élança vers le quatuor qui ne s'attendaient pas à recevoir de la visite.

Le justicier envoya un fumigène à l'intérieur, puis se glissa au milieu d'eux, invisible. Tandis que les quatre bandits cherchaient leur arme, en tâtonnant autour d'eux aveuglément, une voix narquoise les figèrent.

- Je m'incruste à la fête, y a quoi à boire ? balança-t-il avant de donner un coup dans l'humérus de celui qui avait réussi à trouver son gros calibre.
Celui-ci émit un cri de douleur pour lequel Dick s'était vu un instant compatir ; il était vrai qu'il n'y était pas allé de main morte.
Tandis que la fumée s'évaporait petit à petit, il sauta d'un coin à l'autre en tentant d'éloigner les armes à feu. Batgirl était à ses côtés, aussi agile qu'à l'accoutumée. Au milieu des cris, où se confondaient de vaines questions comme « Putain, qui est là ?? », « Où est mon flingue » et autres subtilités, Dick eut un moment d'inattention. En cherchant à garder un œil sur la sécurité de son acolyte, qui n'en avait absolument pas besoin, il baissa sa garde et se prit un coup de cross en plein dans ses plaies. Il étouffa son cri en jurant entre ses dents et sentit ses points lâchés sous la pression. Péniblement, il se redressa et envoya un défilé de combo d'Eskrima qui finit d'achever son ennemi, étalé sur le sol.
Des tirs se firent entendre, un des hommes avaient réussi à dégainer son arme. La fumée avait alors totalement disparue. Un était à terre ; évanoui. Barbara finissait avec le second, tandis que le troisième brandissait fièrement sa mitraillette. Nightwing n'avait qu'une fraction de seconde avant que le malfrat n'appuie sur la détente à nouveau. Il décocha un batarang de son brassard et le visa en plein dans le trou à canon. Batgirl était plus proche de lui pour le neutraliser. Dick regarda autour de lui et remarqua qu'il manquait un sur les quatre.

- L'un d'eux a filé ! L'avertit-il.
Le jeune justicier s'élança à sa poursuite. Il le vit entrer dans la fameuse voiture. Sans hésiter, il bombarda le capot de tout son poids, puis brisa la vitre. Attrapant le conducteur par le col, il le nargua.

- La soirée n'aura pas duré longtemps, mon pote.
Il l’extirpa du véhicule et le jeta à terre. S'accroupissant sur son torse pour l'immobiliser, il le questionna.

- Alors dis-moi, Lenny, c'était quoi votre délire cet aprèm ? De la frime ?
- Va te faire foutre, beugla l'homme qui avait du mal à respirer.
N'étant pas la réponse qu'il attendait, Nightwing prit un air faussement outré. Il lui proposa un marché, que le prénommé Lenny accepta trop facilement. Il lui laisserait quinze minutes de marge pour s'échapper, avant d'appeler les flics.
- C'était pour prévenir que le quartier était à nous, maintenant que notre ancien boss est en taule, maugréa l'homme au visage creux.
- Tu m'as gâché un rendez-vous très précieux avec votre parade.
Le justicier lui liant les poignets, le gangster de pacotille s'indigna en lui rappelant qu'ils avaient conclu un marché.
- Le quartier n'est pas à vous, Blüdhaven est à moi, lui rappela-t-il sévèrement. Dick ne plaisantait pas avec ça.
Quand Barbara se joignit à lui, il fut soulagé de la voir en un seul morceau. Il lui suggéra d'informer le commissaire de la ville de leur prise, pendant qu'il allait inspecter les alentours. Il ouvrit tous les tiroirs et jeta des coups d’œil dans les papiers, à la recherche du nom de « Zucco ». Il ne trouva rien de concluant. Frustré, il rejoignit Barbara, qui avait prévenu la police.

- C'était court mais intense, lança-t-il avec un air le plus sérieux du monde, les mains sur les hanches. J'ai comme un air de déjà vu, plaisanta-t-il.

Éternellement fier de ses innombrables jeux de mots, qui devaient certainement agacer son entourage, il demanda de but en blanc ;

- Tu dors chez moi ou tu reprends la route ? tenta-t-il en masquant son manque de confiance. Faut dire que la route jusqu'à Gotham n'se fait pas en 5 minutes... Et puis, j'ai pris goût à dormir sur mon canapé.

Malgré la douleur dont il se passerait bien, Dick fut dans l'obligation de constater que c'était une de ses plus belles journées depuis qu'il avait quitté Gotham. Cette ville lui collait à la peau, comme tout ceux que ça impliquait ; Tim, Bruce, et tout le reste. Mais surtout, Barbara. Il n'avait plus travaillé en binôme depuis longtemps, et cette escapade fut une bouffée d'air frais qu'il espérait réciproque.